Suite, remake, reboot

Le Docteur Strange va vous recevoir (Critique 100% spoilers)

Attendu à la fois comme le messie (enfin quelque chose de différent des Avengers depuis les Gardiens de la Galaxie ?) ou comme une curiosité (qui est ce mec sans armure, sans pouvoirs à la base, et qui n’est pas un Dieu ?), Doctor Strange arrive enfin sur les écrans, fort de la présence de Benedict Cumberbatch dans le rôle-titre. Verdict.

Le Dr Stephen Strange est ce qui se rapproche le plus d’un salopard : arrogant, prétentieux, sûr de lui, collectionnant les conquêtes, les montres et les voitures de sport, c’est aussi un brillant chirurgien qui vit par défis médicaux et attrait financier. Mais un jour, un accident de voiture lui ravage les terminaisons nerveuses de ses mains, qui deviennent dès lors inopérantes. Dévasté, il tente absolument tout pour les guérir, et n’arrive à rien. Jusqu’au jour où, perdu pour perdu, il se rend au Népal, à Kamar-taj, rencontrer l’Ancien, détenteur de pouvoirs mystérieux…

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©Marvel

Le Docteur Strange est un nouveau pari. Maître des dimensions, tributaire d’une magie ancienne et mystique, il n’a pas franchement quelque chose à voir avec les Avengers et leur équipe de boy-scouts à personnalités variables (le playboy millionnaire, le bon soldat américain, la Russe taciturne, le mec sur les nerfs, et le dieu), et de fait, dans cette fameuse phase 3 qui doit mener à Avengers Infinity War, il fait figure de petit nouveau. Mais c’est un héros fascinant : parce qu’il a la mainmise sur les dimensions, sur une magie que seule la Sorcière Rouge peut a priori lui contester parmi les personnages connus, il est un personnage à prendre en compte, une autorité relativement supérieure (conscient des dangers mais souvent réfléchi, en témoigne sa neutralité dans Civil War), dont la personnalité viendrait enfin contester celle de Tony Stark, autre arrogant de service, et un allié important quand on sait l’instabilité de la Sorcière Rouge, la fourberie de Loki, et les velléités de domination interplanétaire de Thanos (voir plus bas pour la scène post-générique). Le Docteur Strange tire son importance de son rapport aux événements surnaturels qui l’occupent suffisamment (il doit veiller sur la Terre, contrer les pouvoirs de la Dimension des Ténèbres, et bientôt un Mordo qui dans la deuxième scène post-générique est définitivement passé du côté obscur de la force) ET de son rapport à ce qui menace la Terre en général, que ce soit Ultron, Loki ou Thanos, une double relation paradoxale au monde lui donnant ainsi un double intérêt.

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©Marvel

Le film a une grande force : il embrasse absolument tout ce qui peut prêter à confusion, sourire, incompréhension, incrédulité, concernant le personnage et son univers, et le condense dans un film de deux heures, en y incluant le cahier des charges Marvel (origin story, humour, quelques placements de produits…). Docteur Strange se présente ainsi comme un tout : l’humour, jamais lourd, est partie intégrante de l’arrogance du personnage, désolé qu’on ne risse pas à ses vannes alors qu’on le trouvait « désopilant » dans le temps ; ou même à son nom, parfois en plein milieu des scènes d’action (en témoigne ce mythique échange avec le méchant Kaecilius où tout épique est désacralisé : -« Et vous êtes Monsieur… » -« Docteur ! » -« Mr Docteur » ?). De fait, le film se représente comme un personnage-tout : Scott Derrickson, connu pourtant pour ses incursions dans le mysticisme plutôt dark, semble prendre un malin plaisir (un peu forcé par la firme Marvel tout de même) à prendre à contrepied lesdites incursions pour toujours plus de fun, et englobe le projet-univers Docteur Strange avec le cahier des charges Marvel. Si cela édulcore un personnage qui quand même porte en lui une certaine part d’ombre et d’incertitude (encore une fois, son boulot est souvent la compréhension et le grand saut conscient dans l’inconnu), cela a la faculté de le rendre totalement accessible et compréhensible au public non-lecteur de comics, à l’image d’un Gardiens de la Galaxie qui utilisait le côté rétro-pop de son leader pour entraîner son public dans un trip héroïco-buddy movie, et sans oublier la part d’ombre inhérent à un anti-héros. Marvel persévère donc dans sa stratégie de coolitude, simple mais efficace, mettant le paquet sur le côté comic-movie pop corn, quitte à écarter la substantifique moëlle de ses personnages. On est à une période de leurs projets où désormais, vu la place qu’occupe Marvel dans l’espace cinématographique actuel, on ne peut presque plus leur reprocher leur stratégie, si on continue d’aller voir leurs films : quelque chose d’assez symbolique est le fait que Strange fiche des crises cardiaques à Christine avec ses pouvoirs, sans s’en préoccuper le moins du monde, manière de dire que désormais, il faut vivre avec ce super-héroïsme marvellien.

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Benedict Cumberbatch, aussi studieux dans la préparation de son rôle que son personnage dans la maîtrise des arts occultes, se fond dans le personnage avec aisance, et rappelle que dans sa faculté à être un acteur dramatique se cache, inhérent, un acteur comique, magnifié bien entendu par sa performance dans Sherlock, qui, forcément, a déteint quelque peu sur ses rôles post-Holmes (Imitation Game, voire Star Trek Into Darkness dans une veine plus bad guy). Magnétique, reptilien, jamais dans la facilité, et sachant excellemment jouer l’ambivalence (son grand atout théâtral shakespearien), Cumberbatch fascine, intrigue en Stephen Strange, un peu Asperger refoulé, qui cache une profonde sensibilité derrière son ego surdimensionné (voir le moment où il renvoie violemment Christine Palmer en lui disant qu’ils ont été « à peine amants » et qu’elle ne représente rien dans sa vie, et encore moins par rapport à ses mains, spectacle de la perte de sa virilité), sensibilité qui se dévoile évidemment dans la difficulté. Mais la plus grande force et le plus grand intérêt de Docteur Strange, c’est que cette sensibilité n’en fait pas un héros, mais le conforte dans cette ambiguïté propre à l’anti-héros. A la différence d’un héros « classique », s’il a un esprit de sacrifice, il est aussi prêt à faire des compromis, à « marchander », comme il le répète inlassablement pour vaincre Dormammu à la fin du film ; s’il est prêt à sauver l’Ancien, et à faire le bien, il garde quand même en tête et plus que tout sa grande résolution personnelle, égotiste et égoïste, à savoir remettre ses mains en marche. Et à la fin, quand il s’installe à Greenwich Village pour aider à préserver l’équilibre du monde, il ne fait que compromettre encore et encore, pour se prouver qu’il n’est pas fichu (c’est d’ailleurs ce que lui inculque l’Ancien au travers de l’exemple de Jonathan Pangborn, ce tétraplégique qui marche en faisant continuellement appel à la magie). Et cela, l’interprétation profonde et investie de Benedict Cumberbatch, jonglant entre vannes et sérieux, en rend parfaitement compte : le personnage est personnifié en même temps que respecté à la lettre, l’une des grandes réussites de Marvel au cinéma et à la télévision.

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Film qui va donc droit au but, posant ses jalons personnels, efficace dans la construction et la réalisation, sublime visuellement (il faut voir les chorégraphies se marier avec les effets spéciaux, qui érigent la magie en personnage à part entière et en enjeu conséquent), Docteur Strange est une réussite, mais une réussite avec quelques défauts, écueils souvent classiques des productions Marvel. Outre un humour donc parfois un peu trop présent (le mot de passe de la wifi) sans être déplaisant, le défaut majeur réside dans la caractérisation des personnages gravitant autour de Strange. A l’exception de la brillante Tilda Swinton, parfaite en Ancien (alors que c’est un personnage masculin dans le comics, mais le jeu sur la capacité androgyne de Tilda Swinton est proprement génial), aux interventions toujours ponctuelles pour s’octroyer sa part d’action et de responsabilité dans l’intrigue, Mordo (impeccable Chiwetel Ejiofor en âme dévouée mais rigide) semble un peu effacé avant la fin du film, mais il est sauvé par le fait (bien mené) que c’est Strange qui crée celui qui sera le futur Baron (en lui disant que l’Ancien leur ment sur la nature de son pouvoir), accentuant un peu plus l’anti-héroïsme de Strange et le basculement de Mordo ; et quant à Wong, il est là pour jouer les sidekicks, principalement. Le personnage qui souffre un peu de la comparaison avec les autres, c’est Christine Palmer. A la décharge de Rachel McAdams, pas mauvaise pour autant mais un ton en dessous, jouer un personnage qui n’existe pas dans les comics pour jouer un love interest qui n’en est pas, ca n’a rien de facile, et ce n’est pas la meilleure idée de Scott Derrickson. Christine est là pour jouer le « pied-à-terre » de Strange dans le monde humain, aussi bien au niveau de sa personnalité que de sa mission magico-mystique. Mais d’une part, n’importe quelle actrice aurait fait l’affaire, et d’autre part, elle risque très vite de devenir une Jane Foster bis, type qui colle à Thor mais pas au personnage du Dr Strange, et donc être plus un bâton dans les roues qu’autre chose. Mais son relatif retrait dans le film ne lui octroie pas (encore) tel titre. Quant à Mads Mikkelsen, on sent bien qu’il est dans l’optique de ce personnage de guerrier silencieux dans Valhalla Rising, mais en beaucoup plus radical et excité : si le Danois n’en fait pas des caisses, jouant sur son charisme légendaire pour faire un méchant de classe aussi à l’aise en comique que tragique, sa performance ne sera pas mémorable.

Docteur Strange est une nouvelle confirmation de l’aisance de Marvel à s’installer au cinéma et à présenter de manière concise ses héros, préparant sagement son prochain Avengers sans s’exciter. Et il se pourrait bien que l’excitation finisse, elle, par arriver chez le spectateur, toujours bon client.

Sortie le 26 octobre.


CAMEO ET SCENES POST-CREDITS

Stan Lee est dans un bus, lisant Les Portes de la Perception  (livre où Aldous Huxley raconte son trip sous mescaline ; ultime marque de fabrique du fun presque absurde de Marvel) alors que la bataille fait rage autour de lui

La première scène post-générique montre Strange discutant avec Thor au sujet du voyage sur Terre de celui-ci et Loki, à la recherche de leur père. Strange leur dit qu’il va les aider (Docteur Strange confirmé dans Thor Ragnarok ?)

La seconde montre le Mordo, devenu maléfique, qui visite Jonathan Pangborn et lui retire la magie qui lui permet de marcher alors qu’il est devenu tétraplégique

Leo Corcos

Critique du peuple, par le peuple, pour le peuple. 1er admirateur de David Cronenberg, fanboy assumé de Doctor Who, stalker attitré de David Tennant.

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