Chefs (France 2) : Cuisine Sous Haute Pression
Auréolée de bons retours aux festivals de La Rochelle et de Luchon, « Chefs » débarque demain soir sur France 2. Emmenée par un Clovis Cornillac qui s’est fait rare sur grand écran, elle constitue un des paris pour la fiction de France 2 cette saison. On a pu goûter aux quatre premiers épisodes.
Exit les comédies romantiques en cuisine. Exit aussi les cuisiniers qui doivent faire leurs preuves. « Chefs », ce n’est pas une version série de Top Chef ou Masterchef. Et celui-ci n’est pas non plus un antihéros aisément disert à la Gregory House. Bref, une sorte d’OVNI dans le PAF. Si on dit que l’habit fait le moine, ce Chef s’en tient -du moins au début – à ses habits. Une discipline militaire, un tablier sobre, une barbe fournie : si on n’en apprend pas forcément plus en pénétrant la cuisine du Chef (y compris son prénom et ses faits d’armes), celle du Paris (tout un symbole, encore) le personnage n’est pas une coquille vide.
Arnaud Malherbe (cocréateur et réalisateur des 6 épisodes) filme finalement assez peu les plats, et ne se concentre sur la partie culinaire que lorsqu’elle sert l’histoire. « Chefs » n’a pas pour but de faire saliver, mais de rassasier le téléspectateur en manque de bonne tension dramatique. Et avec l’entrée de Romain (Hugo Becker), fraîchement sorti de conditionnelle, il est servi. Le premier épisode détaille ses premiers pas, et les quelques personnes qui viennent le chercher à sa sortie : celle qui suit sa conditionnelle, Angélique (la chanteuse Juliette, un des excellents seconds rôles), sa tante et le serrurier avec qui il a commis des petits larcins et des escroqueries. Une intégration difficile, violente et in medias res : pourtant on ne tique pas devant cette énième histoire d’apprenti et de mentor.
Car Chefs a une mise en scène qui ne ressemble à aucune autre, et lorgne plutôt du côté du film noir. Pour rester au top, on s’arrange un peu, et quand on a besoin d’aliments rares, on va voir des bandits à la petite semaine tout droit sortis des 60s/70s. L’imaginaire de Chefs est élégant, mais la série sert plus sa propre mythologie qu’un point de vue authentique sur les arrières-cuisines d’aujourd’hui. Le Chef est au bout du rouleau, joue autant sa dernière chance que sa nouvelle recrue ; et s’il a l’entière confiance de son équipe et de sa machine bien huilée, la maintenir à flot va le faire amener des mécènes qu’il va devoir séduire et dont il va devoir gagner la confiance. Et très vite, celui qui est présenté comme son sauveur, le tout aussi anonyme Monsieur Édouard, va nommer une businesswoman qui va engendrer une lutte intestine.
Chefs est donc une série tendue, propre aux dérapages, et qui -pour le moment – sait gérer des cliffhangers qui ne jouent pas sur l’implausibilité. Elle sait aussi maintenir à bras-le-corps le caractère borderline du Chef en dévoilant, ça et là, la part d’humanité via Cornillac. Mais en refusant de céder à l’appel des papilles et des relâches feelgood, « Chefs » dresse un croquis convainquant et psychologique de sa cuisine.
Des défauts, il y en a : on pense à la fade bienveillance d’une Annie Cordy en tante de Romain, ou encore au second du Chef cyclothymique, Yann (Nicolas Gob), dont les abus verbaux et physiques ne constituent pas une vraie couche pour le personnage. Mais en ayant des partis pris comme une place prépondérante donnée à la musique d’Olivier Daviaud, « Chefs » sort des sentiers battus et donne une certaine tenue à ses arches. Et en dévoilant ses surprises et les caractères de ses personnages qu’au fur et à mesure, de maintenir la curiosité au-delà de sa première soirée (de 2 épisodes). « Chefs » ne cède donc pas à la facilité et à bouleverser sa recette très vite : reste à savoir si les téléspectateurs de France 2 auront la digestion facile.