Blunt Talk : Shakespeare in Life
La chaîne Starz a mis en ligne gratuitement les deux premiers épisodes de Blunt Talk, la nouvelle série produite par Seth McFarlane, avec Patrick Stewart en tête d’affiche. Retour sur ses débuts
Blunt Talk (qui est le nom du show de Walter) met en scène Walter Blunt, un présentateur télé anglais un peu fantasque, alcoolique et drogué, qui cherche à s’imposer comme la référence télévisuelle, mais dont les exactions le conduisent à systématiquement foutre en l’air ses bonnes intentions envers le peuple américain. Dans les deux premiers épisodes, il se retrouve arrêté par la police après avoir conduit ivre, sollicité une prostituée, et résisté à la police, ce qui le conduisent, lui et son émission, à être sur la sellette.
Blunt Talk est ce qu’on pourrait appeler un ovni. Qu’est-ce qui a l’air plus tordu que d’associer Seth McFarlane, le roi de la comédie graveleuse aussi subtile qu’un coup de corne de rhinocéros dans le derrière, et Patrick Stewart, soit la figure de sagesse par excellence (coucou Professeur Xavier), la classe britannique à son summum, et un aspect shakespearien certain ? En fait, Stewart et McFarlane sont de vieilles connaissances, Stewart ayant doublé à de nombreuses reprises l’agent de la CIA Avery Bullock dans American Dad, est intervenu dans Family Guy, et était le narrateur de Ted. Il faut croire que Patrick Stewart a plus d’un tour dans son crâne chauve, puisque ces deux sensibilités se sont rencontrées pour un partenariat cette fois concret, ce qui amène Patrick Stewart à un registre qu’on ne l’avait jamais vu exercer, la comédie, car après tout, à 75 ans et avec une carrière bien remplie, on peut se lâcher.
Quant à Seth McFarlane, on aime ou on n’aime pas ce type d’humour, et il est vrai qu’il faut une certaine tolérance pour pouvoir l’apprécier. Toutefois, ici, la magie semble opérer : le pilote est un pur condensé de scènes plus décalées les unes que les autres : Stewart enchaîne les situations délurées, se moquant ouvertement de son personnage (il répond « Je suis Anglais » à une prostituée qui lui demande s’il est gêné d’avoir des relations sexuelles avec une transgenre) ou bien de lui-même (se déclarant être un aigle, il rectifie par « aigle chauve »), buvant des verres à tour de bras, le tout au nom de sa dévotion envers le peuple américain. La séquence, dans le second épisode, où pour couvrir le fait qu’il ait lamentablement loupé son avion qui l’emmenait sur les lieux de son prochain reportage, il emprunte le fond vert de son voisin réalisateur de films pornos, montre bien à quel point la série ne va pas se contenter de laisser la bienséance de côté : elle va lui piétiner la figure à grands renforts de vannes bien what the fuck. Comme le dit Stewart quand son psychiatre lui laisse de la cocaïne : « Ah, c’est bien un Freudien ». Walter Blunt est un personnage typiquement anti-héroïque, aux pulsions jamais refoulées (et les personnages de McFarlane ne sont pas connus pour cela, pas vrai Ted ?), mettant les pieds dans le plat toujours où il ne le faut pas, tout cela par morale personnelle. Cocasse mais non-consensuelle, la série maintient un rythme hallucinant dans le premier épisode, avec une suite de scènes parodiant les courses-poursuites comme la comédie dramatique, entre Blunt chantant du rap et Blunt défoncé déclamant du Shakespeare : le décalage est permanent.
Il a été dit que Blunt Talk était une sorte de The Newsroom écrite par Seth McFarlane, et c’est tout à fait vrai. Sauf que McFarlane exacerbe le vice journalistique jusqu’à rendre Walter Blunt plus corrompu (par le vice, l’alcool et la drogue) que ce qu’il dénonce dans son show. Le bouchon est poussé à l’extrême avec la relation sadomasochiste que Blunt entretient avec Harry Chandler, le majordome le plus fidèle de l’histoire britannique. Blunt et Chandler se moquent du monde, et se moquent des vers : Harry, tel Podrick dans Game of Thrones, sera particulièrement gâté côté sexuel, ce qui l’amènera à se « sacrifier » pour son patron (qu’il appelle Major) pour que celui-ci puisse faire sa fausse émission, ou encore lui proposera sans ciller le Coran comme lecture du soir. Des Anglais bien particuliers, qui évoluent dans leur propre monde et selon leurs propres règles, jouant une autre forme de Shakespeare (outre la déclamation de vers, Walter Blunt est le nom d’un personnage d’Henry IV, de Shakespeare, histoire de renforcer la caricature) désespérant leur équipe technique, à l’image d’un autre Walter, Larson, dans The Brink, avec son assistante Kendra. C’est bien simple : plus ca avance, et plus on a du mal à croire que tout cela ne soit pas qu’un délire imaginé par Blunt au cours d’un énième burn-out. Blunt Talk est le genre de série en laquelle on a du mal à croire au début, mais qui va finir par prendre d’assaut notre cerveau attentif à bras-le-corps pour ensuite le régler sur la bonne fréquence d’appréciation.
En symbole, bien sûr, Patrick Stewart, que l’on imagine bien trop sage pour endosser tant de vices, mais qui use de tout son talent pour complètement faire passer le fait qu’il soit presque à contre-emploi. Stewart bouffe littéralement l’écran (vert) par ses facéties plus étonnantes les unes que les autres et se fond dans son rôle comme dans du beurre, se rapprochant plus de Kristen Stewart dans American Ultra que de James Stewart dans La Vie est Belle. Dommage que cela fasse complètement passer au dixième plan les autres personnages, à l’exception peut être de Harry, personnage particulier du fait qu’il représente presque toute une partie de la personnalité de Walter Blunt.
Après un pilote franchement réussi et toujours dans le bon ton tout en s’affranchissant des convenances, le second épisode a un peu relâché cette « concentration » non-consensuelle. Mais il est clair que la série, qui ne se prétend rien d’autre qu’une bonne grosse parodie du monde journalistique, vaut le coup d’oeil, et les comptes se feront à la fin sur ce qui s’annonce comme un trip inédit.