Critiques de films

Belle, de Mamoru Hosoda : un film magnifique

« Belle » (竜とそばかすの姫, « le dragon et la princesse aux taches de rousseur ») est le dernier-né des films d’animation de Mamoru Hosoda, le créateur des longs-métrages « La Traversée du Temps » ou encore « Les Enfants-Loups, Ame et Yuki ». Ce long-métrage, déjà plusieurs fois repoussé en France, sortira enfin sur nos écrans le 29 décembre prochain.

Nous avons eu le privilège de le voir en avant-première et nous pouvons d’ores-et-déjà nous en faire une idée. Cet animé en vaut-il la peine ? Est-il à la hauteur de nos espérances ? Smallthings vous dit tout.

Attention, cet article contient de nombreux spoilers : veuillez lire à vos risques et périls.

Suzu est une jeune lycéenne de 17 ans qui s’ennuie dans sa campagne lointaine. Très introvertie, elle est passionnée par le chant, mais elle est incapable de se produire en public. On apprendra plus tard qu’elle a perdu sa mère secouriste lors d’une noyade et que cela lui a coupé toute envie de se lancer dans la musique. Elle semble éprise de Shinobu, un garçon de son âge, mais là encore, elle est incapable de mettre au clair ses sentiments. Pourtant, elle finit par se lancer sur le réseau social de « U », une plateforme avec une intelligence artificielle capable de modéliser un avatar à l’image de la psychologie de ses utilisateurs. Un avatar, « Belle », est créé en réutilisant les taches de rousseur de Suzu, tout en lui apportant la beauté et les beaux vêtements qui la mettent plus à l’aise pour chanter devant des milliards d’inconnus. Et ça marche, à un point tel qu’elle devient une idole. Pourtant, un autre avatar à l’opposé d’elle-même, la Bête, semble avoir des ennuis. Suzu va tout faire pour tenter de lui venir en aide, mais pour cela, elle devra commencer par s’accepter elle-même…

Belle de Mamoru Hosoda

Ce n’est pas la première fois que Mamoru Hosoda explore l’internet dans ses animés : il a déjà abordé ce thème dans le très réussi « Summer Wars », mais qui était davantage focalisé sur l’action et les plots twists de dernière minute. Je craignais que « Belle » soit une redite de « Summer Wars » à cause de cela, mais heureusement, ce n’est pas du tout le cas. « Belle » est beaucoup plus consacré aux émotions, et les actions laissent la place aux interactions psychologiques. Les chansons, ainsi que la voix de Suzu, sont interprétées par la chanteuse Louane, et la musique est vraiment très belle. Elle transporte le spectateur de manière inattendue, et cela apporte une vraie plus-value au long métrage, ce qui est une première chez Hosoda. Certes, les sentiments étaient mis en valeur dans ses précédents films, surtout dans les « Enfants-Loups », mais là ça va nettement plus loin. C’est beaucoup plus touchant et poignant, à un point où l’on se sent très ému après avoir vu le film.

Ce qu’il y a d’agréable, c’est qu’Hosoda semble bien connaître internet et ses travers : Belle reçoit beaucoup de critiques une fois lancée sur le web, et c’est exactement ce que subissent la plupart des youtubeurs et influenceurs sur la toile ! Le film ne va pas jusqu’à aborder le cyberharcèlement, mais il esquisse une critique très pertinente des dérives de l’anonymat et de leurs conséquences. Pas seulement sur internet, mais aussi dans la vraie vie, comme à l’école.

Belle de Mamoru Hosoda

La CGI est utilisée dans le long-métrage, mais elle y est employée intelligemment. Elle ne sert qu’à illustrer le monde virtuel de « U », tandis que l’animation classique prend le relais dans le monde réel. La CGI est souvent mal utilisée dans les animés récents, du moins à mon goût, et cela peut donner des catastrophes, comme pour le prochain « Dragon Ball Super » dont le trailer nous donne déjà des sueurs froides. Heureusement pour ici, tout va bien. Une seule chose peut être déstabilisante dans ce long-métrage, c’est qu’il semble y avoir un plagiat de « la Belle et la Bête » de Disney. En effet, le passage où la Bête chasse Belle de son Château est constitué des mêmes plans utilisés que dans la version de Disney ! Tout y est, même le moment où la Bête se cache le visage avec la main car Belle vient de s’enfuir. Oups ! C’est quand même très étrange d’avoir fait ça, sachant que la version de Disney est très connue et que tout le monde a pu s’en rendre compte. C’est assez incompréhensible de l’avoir repris aussi fidèlement… Mais mis à part cette fausse note (c’est vraiment la seule dans ce long-métrage), cet animé demeure une belle réussite dans son ensemble et cela ne gâche en rien l’expérience.

Belle de Mamoru Hosoda

Suzu est de plus en plus obnubilée par la Bête et comme celui-ci refuse de se dévoiler, elle va devoir passer par la musique pour pouvoir l’attendrir. Le Mythe de la Belle et la Bête est plutôt bien exploité, car ce sera à Suzu (qui est pourtant « la Belle ») qui sera amenée à dévoiler sa propre laideur (les taches de rousseur, son côté introverti, son physique banal) pour se présenter à la Bête, ce qui est intéressant. Et ce Mythe trouve un autre écho dans la vie réelle dans le lycée même de Suzu, où Luka, considérée comme la plus belle du lycée, tombe amoureuse de Kamishin, un garçon bizarre et pas très beau ! Les contraires s’attirent irrésistiblement et se complètent, à la manière du Yin et du Yang. Et la musique transcende merveilleusement bien un panel d’émotions très vaste. Les chansons permettent de traverser les différentes étapes de l’acceptation de soi, de l’amour, du deuil, de la filiation et du passage à l’âge adulte. L’une des dernières scènes du film est juste phénoménale : Suzu abandonne son avatar pour se montrer elle-même devant des milliards de followers dans « U ». Ce passage donne des frissons : telle une fin de concert fantastique, tous les spectateurs reprennent en chœur sa chanson, dans une ambiance d’une folle beauté jusqu’aux larmes. Personne ne rejette Suzu, au contraire : ses followers n’en sont que plus touchés et peut-être même qu’ils se sont reconnus en elle. C’est en se montrant elle-même que Suzu en ressort davantage aimée. Au Japon, c’est très difficile de se montrer sincère : on doit cacher ses émotions, ne jamais donner son avis, et ce film est donc très révélateur de ces problèmes-là. Même le spectateur endurci peut lâcher une petite larme à la fin, car cette scène concert était tout simplement sublime. 

Belle de Mamoru Hosoda
Kei finit par reconnaître « la Belle » en Suzu

A la fin, notre héroïne parvient enfin à retrouver la Bête dans la vraie vie : il s’agit de Kei, un jeune garçon maltraité de 14 ans. Ce n’est pas pour rien que « U » lui a donné cette laideur : c’était pour mieux illustrer toutes les souffrances par lesquelles il était passé. Chaque blessure correspond à une blessure psychique qui se reflète dans son avatar. Peut-être que le moment où Suzu devient sa « sauveuse » est un peu alambiqué, mais ça n’enlève rien au côté touchant de la rencontre. Comme quoi, Hosoda a bien cerné que le web finit toujours par rejoindre le réel, car le web, c’est la vie réelle. 

 

En conclusion, nous sommes vraiment ravis de cette séance de « Belle » : ce film est un vrai bijou. C’est beau visuellement, la CGI est employée à bon escient pour décrire le monde virtuel, les chansons sont magnifiques, le film est très émouvant, bref : quoi de mieux pour finir 2021 en beauté ? Foncez le voir. Hosoda semble avoir beaucoup muri depuis « Summer Wars » car celui-ci, bien qu’il fût riche en action avec de très bonnes idées, était rempli de clichés, comme la fille au caractère fort et le héros trop timide qui saigne du nez quand il reçoit un bisou. Là, avec « Belle », c’est quand même un autre niveau en ce qui concerne les émotions : elles sont beaucoup plus approfondies et surtout beaucoup plus sincères. La fin est vraiment satisfaisante tandis que pour « La Traversée du Temps » et  « Les enfants-loups », c’était loin d’être le cas. On sent une bonification du travail d’Hosoda avec le temps, et cela fait vraiment plaisir. Alors n’hésitez plus, vous pouvez vous laisser bercer par les chansons de Suzu en toute sérénité. 

 

 

Rebecca

Juste une Otaku qui a chopé le virus de la Japanimation et qui ne guérira jamais ! Egalement incurable en ce qui concerne le cinéma, les blockbusters, les comics et la littérature

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