Baby Driver : tuer n’est pas jouer
Baby Driver est le dernier-né d’Edgar Wright, bien connu pour sa trilogie Cornetto avec Simon Pegg et Nick Frost. Pas des deux susmentionnés dans ce film, mais un casting de velours et un scénario tout à fait adapté aux folies du réalisateur. Pour un résultat, forcément, positif. Explications.
Baby Driver, c’est l’histoire de Baby, un post-ado un peu taciturne et victime d’acouphènes liés à un accident de voiture. De ce fait, il a toujours des lunettes de soleil sur le nez, et de la musique dans les oreilles, lui attirant quelques regards de travers. Mais c’est aussi un conducteur hors pair, et c’est pour cela que Doc, un chef criminel notoire, l’embauche pour ses braquages. Sauf que jeunesse oblige, et les amours arrivant, Baby souhaite s’émanciper de ce monde malaisant. Et se rend compte que ce n’est pas si facile…
L’histoire, en somme, est assez classique sur la forme : un thriller, racontant un monde de rouages en apparence bien huilés mais pas forcément fonctionnels en toute circonstance, des personnages qui ont du mal à concilier passion et profession… Edgar Wright n’invente rien. Mais c’est loin d’être son souci : de la même manière que pour Shaun of the Dead (films de zombies), Hot Fuzz (film policier) ou le Dernier Pub avant la Fin du Monde (film catastrophe), la préoccupation du réalisateur est surtout dans la réappropriation. Ce qui fait son succès, le look déjanté de ses films, et de fait, leur appréciation, c’est sa manière de reprendre à son compte les films à codes, et de s’en inspirer pour son propre dessein. Cela se voit dans le côté désacralisateur de ses films : même pour Baby Driver, qui est le plus « sérieux » qu’il ait fait, on ne peut réprimer un rire quand on a un protagoniste appelé Baby et des criminels dont les noms de code sont Darling, Buddy ou Bats, chose à laquelle les personnages font plusieurs fois référence et qui joue comme ressort comique du film. C’est ce qui nous permet de garder en permanence une porte d’entrée dans ce film, telle une voiture, à plusieurs vitesses. S’il conserve bien, toujours, une certaine intensité, avec très peu de temps morts, il mélange plusieurs veines : buddy movie, sentimental, thriller…, ce qui en fait un film au rythme atypique, avec quelques envolées, des retours plus calmes, et l’explosion en fin de film. Au gré, en fin de compte, des pérégrinations de Baby (excellent Ansel Elgort), de son caractère bien particulier et à la personnalité assez énigmatique.
Car c’est finalement bien de ce personnage, surtout, dont il est question. On nous ramène plusieurs fois à son passé tragique, qui l’a vu perdre une partie de son audition et ses parents dans l’accident. Du reste, tout le film, dans lequel la musique ne s’arrête JAMAIS (oui, vraiment jamais), est calibré sur ses faits et gestes. Le film est donc hybride : intime, puisqu’il suit un personnage, et extime, puisqu’il dépeint un monde concomitamment aux actions de ce personnage. En ce sens, le travail d’Edgar Wright, des scénaristes et autres artificiers a été monstrueux, jusqu’à la névrose, de précision. En miroir du personnage de Baby, qui fait ses actions au rythme de sa musique (au point de redémarrer la chanson en cas de faux départ), le film calibre ses notes sur les moments les plus opportuns en termes d’illustration. Quand la musique ralentit, Baby ralentit ; quand elle s’emballe, lui aussi. Une grande partie du film est, de ce fait, misée sur une exactitude qui force le respect, pour offrir non seulement une histoire, mais aussi une expérience. Et nous, spectateurs, de bien mieux sympathiser avec la façon d’être du personnage, et le rendre plus fascinant encore. Ce qui est bien avec Baby Driver, c’est que s’il n’évite pas tout à fait les écueils classiques du film d’action/thriller (les histoires de rédemptions ou rébellions déjà vues, avec le love interest venu mettre la pagaille dans les sentiments du personnage au passé lui-même déjà un peu bordélique sauvé/transcendé par ledit amour), il assume complètement d’en faire un matériau de base, et le sublimer pour raconter sa propre histoire. Ce n’est pas tant l’histoire d’un gang qui se dissout que celle d’une émancipation forcée : l’histoire d’un gamin qui, pour payer sa dette, se retrouve dans ces situations mais bien souvent contre sa volonté. Et donc, pour nous, avec une telle mise en scène, de mieux appréhender le monde criminel, par ce prisme, que par une énième histoire en caméra externe, qui se contenterait de filmer (le maître étant évidemment Coppola et son Parrain). L’avantage, c’est qu’avec un tel personnage principal, l’identification fonctionne mieux, et tout le film s’attelle à cela (notamment quand l’on voit qu’hors de sa voiture, Baby est très vulnérable). Edgar Wright fait ainsi de son film une espèce de voyage initiatique dans lequel se croisent le mentor (Kevin Spacey n’a même pas besoin de forcer), la tête brûlée (Jamie Foxx très plaisant en grand taré), l’homme à femmes (très bon Jon Hamm, loin des standards de Mad Men), et bien sûr, le trouble amoureux (bon, par contre, Lily James est franchement coincée dans un rôle un peu ingrat de seul personnage féminin, aux lisières de la potiche). Et Baby Driver de se nourrir aussi, dans tout cela, de références pops (toute la bande-originale) et surtout de cultes (Thelma et Louise, Les Gardiens de la Galaxie, Les Affranchis…).
Que l’on soit bien clairs : Edgar Wright n’invente pas la poudre. Le film brille en bonne partie par une efficacité redoutable : de l’action quasi constante, une bande-son de feu, et surtout des acteurs de haut niveau. Mais c’est sa manière de sublimer quelque chose de somme toute banal, d’en faire un espèce de feel-good movie qui n’en oublie pas, pour autant, son scénario (mention spéciale à Jamie Foxx qui offre plusieurs moments tragicomiques d’anthologie), et qui compte avant tout proposer une expérience au spectateur, de le concerner directement. Avec ce film, Edgar Wright confirme bien qu’il est un réalisateur sur lequel compter, et aux velléités artistiques confirmées. Baby Driver sort aujourd’hui au cinéma.