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Agents of Shield : moyenne-onction

Pourquoi moyenne ? Parce qu’Agents of Shield n’en est pas encore à une situation extrême. Seule survivante du crash test des upfronts (Agent Carter annulée, Marvel’s Most Wanted qui ne verra jamais le jour), la série aura une saison 4. L’occasion de faire le bilan sur les acquis.

ATTENTION SPOILER SUR TOUTE LA SAISON 3 DE AGENTS OF SHIELD. LA LECTURE DE CET ARTICLE SE FAIT A VOS RISQUES ET PÉRILS. 

A mi-saison de Agents of Shield, nous avons donc vu le retour de Grant Ward. Ou presque : c’est le premier Inhumain, l’originel, objet d’une quête mystique d’Hydra, dont Gideon Malick est le fer de lance, qui a pris possession du corps de l’agent renégat. Et le moins qu’on puisse dire c’est que cet Inhumain, appelé Hive, très puissant et pouvant mettre à sa botte tous les Inhumains tout comme il peut absorber le corps et les souvenirs d’une personne, a faim de domination. Epaulé par Malick et ses quelques néo-fidèles, il va mettre en oeuvre son plan, à savoir rendre la planète entière à son image : inhumaine.

©ABC
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Agents of Shield a un mal fou à torturer ses personnages. Le paradoxe est tel que surtout, la série sait absolument maîtriser ses enjeux, tant au niveau de l’action que des phases plus posées, ce qui donne lieu parfois à des saillies vraiment bien fichues (quand Yo-Yo prend une balle pour Mack, histoire de transcender son affection naissante ; quand Rosalind est assassinée de loin par Ward, sous les yeux de Coulson). Mais quand il faut conclure, la série hésite, temporise, part à droite, à gauche, ouvre des chemins intéressants, en referme d’autres, met ses personnages à l’épreuve, mais finalement se condamne à un final plutôt calibré, efficace à défaut d’être vraiment bouleversant, où un personnage de second plan est livré en pâture à un cahier des charges (ici, Lincoln). Alors que la première partie de saison avait été véritablement intense, avec une Jemma Simmons pour la première fois totalement livrée à elle-même, survivant avec l’énergie du désespoir, terminant sur un plot twist concernant Will assez inattendu et sur un pas crucial franchi dans la psychologie de Coulson, la seconde partie s’étire beaucoup en longueur, histoire de justifier un peu les 22 épisodes et de laisser à Ward/Hive le temps la jouer Evil Maître de Cérémonie façon The Walking Dead, avec une armée d’Inhumains à sa botte, à grands coups de petits sourires et catchphrases en coin. Ca marche, certes. Mais on ne peut s’empêcher de se dire que la série pourrait être encore plus cruelle.

C’est un problème qui de toute façon est assez intrinsèque au MCU lui-même, dans la mesure où, de plus, Agents of Shield n’est qu’une petite ramification parallèle (et accessoirement le dernier rempart à l’oubli des Inhumains dont le film a été retiré du planning il y a quelques semaines) de ce gigantesque monde que Marvel est en train de bâtir. Prenons Avengers 2 : toute une situation dramatique plutôt bien agencée, mettant à mal les convictions et principes de superhéros devant se battre sur une étendue de terre qui vole, où tous se donnent corps et âme pour défendre le bien commun, pour au final déboucher sur une situation où l’incarnation de la pensée du bien commun, la Vision, finit par détruire son double maléfique, Ultron. Et histoire de nous sortir quelques larmes, la mort de Vif-Argent, l’ado-préadulte auquel on s’attachait tout juste, presque dans l’indifférence, histoire d’avoir une petite pousse sur laquelle bâtir pour la prochaine fois. Parce que toute la gomme a déjà été étalée sur les événements précédents, l’ultime rebondissement final vient simplement s’ajouter à ce qui s’est passé avant, sans plus d’impact que sa signification même. C’est peu ou prou la même logique dans ce final de Agents of Shield : avec deux épisodes finaux nommés Absolution et Ascension, pour un feu d’artifice qui termine dans l’espace, on était déjà avertis que tous n’allaient pas faire dans le détail au moment de combattre l’incarnation du Diable que leur inspire Hive.

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Du reste, ce season finale est rempli de considérations religieuses purement américaines, absolument pas subtiles, puisque non content d’avoir appelé ses titres Absolution et Ascension, pour évoquer l’âme au sens spirituel, Agents of Shield s’est crue obliger d’ajouter la présence d’une croix sur laquelle on multiplie à l’envi les plans. Dès lors les enjeux dramatiques s’en trouvent véritablement alourdis tant ils sont surlignés, et rendent la suite plus ou moins quelconque. La mort de Lincoln, personnage secondaire auquel on attache plus ou moins d’importance, devenue ultra-prévisible voire cliché quand il sort « après Hive, je m’en vais, je ne suis pas un héros ou un agent du Shield », associé au fait que, avec le recul, il était le plus à même d’être victime de cette absolution, lui qui tâchait de conserver son identité propre (d’abord en fuite, puis même au sein du Shield), de faire avec ses amours naissants pour Daisy, et surtout d’être accepté comme un membre à part entière de cette famille, apparaît presque comme un aveu d’impuissance de la série à proposer quelque chose de véritablement tragique, puisqu’elle fait même en sorte que Lincoln, qui n’a pas le même intérêt ni la même puissance que les autres personnages, vole, dans son dernier souffle, la croix, afin de compléter pleinement son ascension, tentative désespérée et maladroite de le sacraliser. On a vu plus frissonnant… Jamais, du reste, les personnages vraiment principaux, du style Fitz et Simmons, intouchables depuis leur mésaventure aquatique, ou Coulson, grâce à son statut de directeur, ou encore May, qui pourrait être le personnage le plus à même de provoquer un choc chez le spectateur, ne semblent en danger dans ce final. Seule YoYo, la speedster du pauvre et personnage tertiaire, prend une balle, c’est dire. Au final, c’est le départ de Bobbi et Hunter, pour un motif presque frustrant (et ce malgré le fait que l’on ait dû passer par la forme rasoir d’un épisode flashback), et donnant lieu à une belle scène d’adieux double, de la série et du monde dans lequel ils évoluaient, et qui devait lancer de nouvelles aventures solos, qui restera comme le déchirement le plus marquant de la saison, surtout quand on sait maintenant qu’on ne les reverra pas.

Car par ricochet, et outre l’aspect christique où tous les personnages semblent vouloir s’accomplir au sein de ce chaos, c’est aussi beaucoup autour de Daisy que cette saison tourne. De manière générale, la Whedon family adore triturer ses personnages féminins, et c’est le cas de cette saison 3, qui, dans la souffrance qu’elle provoque, tire le meilleur de ses héros et héroïnes. Donner un mari à May, c’était comme donner une copine à Coulson : un grave danger. Or, en orchestrant la chute brutale de Rosalind d’un côté, et la longue décadence d’Andrew de l’autre, Agents of Shield a donné une nouvelle dimension, plus dure et féroce, aux deux vétérans de la section (Ming-Na Wen et Clark Gregg n’ont ainsi jamais semblé aussi bons), qui impressionnent par la maîtrise qui s’en dégage. Le cas de Jemma ayant été évoqué plus haut, revenons à Daisy, qui est le personnage dont l’évolution est le véritable fil rouge de la série, tel la personne identificatrice pour ce public qui tente d’entrer dans l’univers marvellien, et la corde à laquelle se rattacher pour prendre la mesure de la série. Passée de hackeuse à Inhumaine, la fille de Mr Hyde polarise l’attention, entre une May qui se la joue professeur (elle sacrifie même Andrew pour la sauver), Coulson en père protecteur, Mack le grand frère, Lincoln le petit copain et bien sûr Ward en symbole du passé. Difficile de ne pas penser, après tout ce qu’elle a vécu dans cette saison, que les larmes des personnages à la suite de la mort de Lincoln, ne sont pas pour Lincoln, mais pour Daisy en tant qu’elle a perdu Lincoln. Tandis que dans la saison 2, Daisy n’était qu’un vecteur de filiation au sein du Shield par rapport au problème des Inhumains, elle devient dans cette saison 3 un enjeu à elle toute seule, avec des visions déterminant directement les événements à venir, outrepassant même Malick qui non seulement ne la vainc pas, mais se voit en plus tué lamentablement par elle.

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En plaçant Ward comme figure du méchant, la série a capitalisé plein pot sur la figure antagoniste par excellence qu’il représente en tant que renégat, et par rapport à Lincoln : tous deux Inhumains, l’un qui veut son bien, l’autre qui le veut aussi, mais d’une façon plus machiavélique, histoire de jouer à fond la carte de la fibre intime de Daisy. Plus encore, en choisissant de la faire contaminer par Ward, les enjeux eux-mêmes, à savoir les dangers de la race Inhumaine, les avantages et les inconvénients d’une race supérieure (comme un prologue au récent Civil War, auquel il est fait référence), et bien sûr, les plans de Ward lui-même, se sont mis en rotation autour de Daisy. Agents of Shield a placé tous les personnages, qui ont tous un « soft spot » pour Daisy, dans un rapport de dépendance à une cause qui va au-delà de la haine de chacun pour une nouvelle figure de Ward. C’est de ce soft spot, ce côté humain qui fait que justement ce ne sont pas que des agents mais aussi des humains qui ont une relation spéciale entre eux (comme le départ de Bobbi et Hunter le montre), et du côté identificateur de Daisy, que la série tire sa puissance émotionnelle et son intensité, quelque chose qui avait déjà lieu dans la saison 2 avec le tiraillement famille biologique/famille professionnelle de Daisy, et qui a de nouveau lieu ici avec la mort de Lincoln, autre forme de figure relationnelle. Comme si, malgré l’établissement de l’identité de Daisy Johnson, qui n’est plus Skye, il fallait encore sauver le soldat Daisy, comme si Daisy, au centre de l’attention de cette saison 3, était ce monde qui revient tout le temps comme la grande cause. Agents of Shield continue de garder une politique efficace, fidèle à sa réputation et aux idées qu’elle a bâties depuis 3 saisons, à défaut de se lancer dans quelque chose qui retournerait complètement la table (oui parce que la petite jeune un peu naïve et tête brûlée qui passe à l’ennemi, c’est du déjà-vu) et lui permettrait peut-être de remonter des audiences de plus en plus critiques. Surtout quand on sait que ce petit univers, qui a la même facture que le MCU, souffre de n’être qu’une petite série dans l’ombre dudit MCU qui occupe déjà énormément d’espace cinématographique pour les spectateurs.

En lien avec tout cela, on a notamment le combat entre Mack et Daisy, où celle-ci est à deux doigts de tuer son partenaire, sans jamais le faire, montrant l’hésitation de la série quant aux personnages, sous couvert d’un traitement lui-même hésitant de Daisy, dont la dépendance à Ward semble bien fragile pour un lavage de cerveau, comme si la série, là encore n’avait pas su quoi faire après avoir rebattu les cartes, à part, donc appuyer sur cette corde émotionnelle unissant les personnages. Du reste, le jeu limité, notamment facial, de Chloe Bennett (qui vire au surjeu dans le final avec ses complaintes assez pénibles à quasi chaque plan) ne permet pas de se faire une idée vraiment ambiguë de sa situation quand elle est avec Ward, entre amie ou ennemie, ce qui peine à la rendre véritablement bouleversante, tant au moment de l’action qu’après sa libération de l’emprise de Ward. Les seuls semblant tirer profit de cela pour se transcender sont Fitz et Simmons (excellents Iain de Caestecker et Elizabeth Henstridge), avec l’accomplissement tant attendu du « ship » qu’ils formaient, et qui, malgré leur union, restent fidèles à eux-mêmes (Fitz est impayable quand il dit à Jemma qui réserve un voyage : « c’est moi le romantique dans ce couple », tandis qu’elle lui dit « je vais te faire un truc jamais fait sur cette plage… non mais regarde, il y a une telle faune marine aux Seychelles ! », tel deux émouvants petits geeks). Le paradoxe d’Agents of Shield est donc dans ce jeu sans fin de progression/digression, jamais linéaire malgré son intelligence d’écriture, et donc pas suffisamment appuyée pour suffisamment toucher un spectateur qui reste diverti, mais reste aussi un peu sur sa faim.

Malgré tout, la saison 3 de Agents of Shield reste agréable et de bonne facture. En espérant un baroud d’honneur à la hauteur de ce qu’elle a apporté dans sa saison 4 !

Leo Corcos

Critique du peuple, par le peuple, pour le peuple. 1er admirateur de David Cronenberg, fanboy assumé de Doctor Who, stalker attitré de David Tennant.

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