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Retour sur la saga Star Trek

A l’occasion de la sortie de Star Trek : Beyond (ou Sans Limites, en VO), effectuons un petit recul critique sur ce que les deux premiers films ont pu nous offrir depuis la résurrection de la saga à l’écran en 2009 par le sieur J.J Abrams.

C’est en 2009 que la franchise a fait son retour sur les écrans, portée par J.J Abrams, le plus célèbre admirateur de Spielberg, et qui s’y connaît en univers connus (coucou Mission Impossible). Sobrement intitulée « Star Trek », manière de ne pas vouloir empiéter sur les plates-bandes et rendre hommage au film originel, qui s’appelait « Star Trek : The Motion Picture », cette nouvelle aventure ne voulait du reste pas toucher aux canons, et préférait se développer avec le postulat « déroulement au sein d’un univers parallèle ». Petit lifting également pour le casting : Chris Pine succède à William Shatner en James T Kirk, Zachary Quinto à Leonard Nimoy en Spock, Karl Urban à DeForest Kelley en Bones McCoy, Zoe Saldana à Nichelle Nichols en Nyota Uhura, John Cho à George Takei en Hikaru Sulu, Simon Pegg à James Doohan en Scotty, et le regretté Anton Yelchin à Walter Koenig en Pavel Chekov.

Leonard-Nimoy-in-Star-Trek-2009-Movie-Image

L’avantage pour ce Star Trek, c’est qu’il passe après une poêlée de films (dix précisément, le premier en 1979, le dernier en 2002) qui peu à peu ont fondu dans un nanardesque touchant et émouvant, mais un peu bavard, et pas aussi regardables en tant qu’aventure spatiale qu’un bon gros blockbuster des familles (accrocher un ado d’aujourd’hui au premier Star Trek relèverait d’un miracle tant le rythme est lent, un syndrome que connaît aussi, du reste, son cousin Star Wars né deux ans auparavant). Abrams avait donc tout à faire en transposant l’univers à notre monde actuel. Mais à l’instar du cas de Star Wars : Le Réveil de la Force, autre entreprise de revival risquée s’il en était, on sait JJ Abrams profondément respectueux de ce qui a marqué son enfance, de ce qui a fait ses divertissements d’ado, et on sait, dès lors qu’il saura rendre attractif par cette proximité avec le public, apprise auprès de son mentor Spielberg (qui lui l’a montré avec Roald Dahl ou Tintin), lui permettant d’offrir un spectacle grand public et non dénué de substance, une substance enfantine, qui le démarque de blockbusters anonymes. En outre, sa capacité à mettre en scène ses héros (Alias), voire groupes de héros (Mission Impossible 3, Lost), pouvait se fondre avec le projet de réinitialisation d’un des plus fameux équipages du cinéma : l’Enterprise.

Le pari est réussi. Dans le premier film, Abrams réussit le tour de force de rajeunir la saga, de l’épurer de tout ce qui pouvait la rendre barbante et inattachante pour un public, disons, non averti, et, dans le même temps, de donner des origines à ses personnages dans la plus grande traditions de ces héros trekkies : Bones la grande gueule, Kirk la tête brûlée, Spock le tiraillé, notamment, avec la mise en scène de cette rivalité de personnalités entre l’Humain et le Vulcain, qui tournera à la grande amitié, magnifiée à la fin du second film. Sans trop s’appesantir sur ses personnages et chacune de leurs particularités, leur laissant un maximum d’espace pour s’exprimer le plus naturellement possible et donc favorisant nettement l’esthétique, l’alentour duquel gravitent les personnages, JJ Abrams a réussi à ramener au XXIe siècle le lustre de la saga Star Trek, et en a fait un film efficace sur le plan cinématographique (une histoire bien ficelée, des acteurs attachants, des décors et une lumière sublimes, un spectacle total, et un regain d’intérêt pour une saga qui s’épuisait). Mais plus encore, en réussissant ce Star Trek, Abrams a rappelé l’importance et l’empathie, au cinéma, de ces équipes de héros, qui ne sont pas parfaits, mais qui sont tellement spontanés et volontaires, francs dans leurs parlers et toujours dévoués à leur cause.

©Paramount/Bad Robot
©Paramount/Bad Robot

Il ne s’agit pas chez Abrams de congédier les vieilles traditions et de promouvoir la jeunesse selon une vision caricaturale, mais plutôt de perpétuer l’héritage. C’est ce que l’on voit avec la figure de l’amiral Pike, ou même la naissance du jeune Kirk alors que son père va mourir dans une bataille galactique, mais surtout avec le caméo de Leonard Nimoy en Spock âgé, mentor de Spock jeune ; c’est ce que l’on voit avec le personnage de Han Solo guidant les Rey et Finn dans Star Wars VII. Dans une Amérique et un monde qui a envie d’y croire, le public a besoin de cet imaginaire fait pour lui et qui le réconforte, le protège face à ce qui pourrait menacer jusque dans ses traditions les plus profondes. Il a été dit que ce film incarnait les années Obama, et c’est vrai : sorti en même temps que l’élection du président actuel, le film respire le Yes We Can (peut-être un peu trop), le melting pot des âmes et des arts contre la menace extérieure. Abrams n’invente rien : déjà Star Trek VI : Terre Inconnue avait un scénario qui se calquait sur la déliquescence de l’empire soviétique (les Klingons), aidée néanmoins par les généreux Etats-Unis (Starfleet et la Fédération). Le film était donc du pain béni pour le Abrams gosse et le Abrams réalisateur : et on retrouve cette joie, cette puissance, cette intensité, dans la représentation de ce groupe livré à lui-même au cours de sa première mission ensemble, et y affronte la destruction d’une planète. Les scènes d’action s’enchaînent, le rythme est bon, l’équipe séduisante, l’univers attirant. Le film a la fraîcheur d’un reboot, l’expérience d’un remake, le background d’un revival, la puissance d’une suite réussie, et l’originalité d’une émancipation. C’est fait : Star Trek est devenu un porte-étendard.

Arrive alors Star Trek : Into Darkness (critique ici). Second volet, il a la lourde tâche de perpétrer ce nouvel héritage au cinéma, et consolider pleinement ce que le premier film a brillamment réussi. Et le défi est de taille, puisque dans le film, ce n’est ni plus ni moins que Khan (« Khaaaaan ») Noonien Singh qui est le principal antagoniste, en miroir de Star Trek : The Wrath of Khan, déjà deuxième volet lors des aventures de l’équipage original. Le tout avec une tension forte entre Starfleet et les meilleurs ennemis de l’univers, les Klingons, sorte de transposition trekkie des adversaires moyen-orientaux (il a été dit, et la ressemblance est en effet frappante quand on voit que chaque commandant klingon veut absolument abattre James T Kirk, que ce peuple est celui de Ben Laden, en guerre contre les Etats-Unis/Starfleet). Abrams, toujours autant biberonné à Spielberg et aidé de son acolyte de Lost, Damon Lindelof, fait ainsi de ce nouvel opus celui de l’espoir, une sorte d’Avengers alternatif, une équipe « d’humains » (même Spock est à demi-humain) qui se rassemble et qui n’a peur de rien, et surtout pas d’un loup solitaire qui se fait un devoir de s’attaquer frontalement à Starfleet (et tuant par là Pike, le père spirituel de Kirk, en plein dans les sentiments). Exploitant pleinement son ressort dramatique d’une double opposition plus classique trekkie tu meurs, Into Darkness attire son équipage en enfer (d’où le titre) et le met face à ses responsabilités d’équipage, celles-là mêmes développées dans le premier film ; et ce sont ces responsabilités, en test grandeur nature, parfois terribles, qui doivent mener le petit groupe à la lumière des effets visuels abramsiens.

©Paramount / Bad Robot
©Paramount / Bad Robot

Khan (d’abord nommé John Harrison) est le côté obscur de Kirk : lui aussi à la tête d’un équipage, il a vu ledit équipage lui claquer entre les doigts et compte bien, fort de ses intentions, le récupérer et continuer l’entreprise de puissance déjà commencée. C’est ce dont on se rend compte quand John Harrison trahit la bonne foi de Kirk et se révèle en tant que Khan (bien aidé en cela par la performance de l’excellent Benedict Cumberbatch, parfait contrepoids de froideur à la fougue de Kirk). La confirmation de Spock âgé (Leonard Nimoy) vient confirmer à la fois la persistance de l’héritage trekkie par-delà les univers et la nécessité pour ces « nouveaux » personnages de faire appel à leur propre substance de versions récentes pour s’en sortir et pleinement s’accomplir en tant qu’héritiers et bâtisseurs d’une mythologie. C’est en cela que le film, au grand dam cependant de beaucoup de personnages secondaires, s’axe énormément sur la relation entre Kirk et Spock, peut-être plus que les films originaux, et en fait un moteur de cette avancée décisive de l’équipage de l’Enterprise : les oppositions de style entre Kirk (le lumineux abramsien) et Khan (le darkness du titre), mais aussi entre Khan (qui veut faire de l’ombre (darkness) à Kirk et le rayer de la carte) et Spock (qui veut lui être le double de Kirk et dont l’attachement naît et tire sa force de l’adversité), sont intenses et agissent en un puissant catalyseur. Abrams filme superbement, par une alternance de plans larges (notamment cet incroyable combat entre un Spock déchaîné, abandonné à son côté humain, et Khan) et rapprochés, sculpte les visages à coups de zooms, et magnifie le tout par ses toujours saisissants effets visuels. Preuve d’une maîtrise désormais totale de son nouveau jouet. Et comme tout bon disciple spielbergien, c’est toujours l’Amérique qui gagne à la fin : Starfleet malmenée renaît, persévère, a vaincu ses ennemis et consolidé ses acquis. Un peu comme Obama en Afghanistan, et avec Ben Laden, quatre ans après son élection.

C’est désormais Star Trek Beyond (Sans Limites en VF) qui nous arrive. Après quelques petites galères derrière la caméra (Abrams restant producteur exécutif seulement car occupé sur Star Wars VII, Roberto Orci, scénariste des deux premiers, devait réaliser, mais a quitté le navire, remplacé par Justin « Fast and Furious » Lin), le film s’est tourné a priori sans encombre, malheureusement endeuillé par la mort de Leonard Nimoy en 2015, puis de Anton Yelchin il y a quelques semaines, qui feront de ce Star Trek un film un peu particulier émotionnellement parlant. Sur le plan technique, il y a fort à parier que vu le passé de Lin, le côté maman poule, couvant ses jouets bien rangés dans la caisse-univers, de Abrams, sera plus effacé. Mais nul doute que le côté efficace, lui, sera présent, d’autant plus avec la présence au scénario de l’acteur Simon Pegg (Scotty), appelé à la rescousse et jamais avare d’un coup de main, et surtout maître ès punchy. C’est en tout cas ce que prévoient des bandes-annonces très plaisantes, qui ne laissent pas vraiment de place à l’imagination (un nouveau traitement du patrimoine trekkie, par exemple l’Ultime Frontière, qui portait sur la rencontre de Dieu ?).

Réponse le 17 août, tandis qu’en janvier prochain, une nouvelle série de l’univers Star Trek fera son apparition sur CBS, sans plus d’informations pour le moment. Vous pouvez en tout cas revoir tout ce que la franchise a apporté sur Netflix, qui vient d’en racheter tout le patrimoine.

Leo Corcos

Critique du peuple, par le peuple, pour le peuple. 1er admirateur de David Cronenberg, fanboy assumé de Doctor Who, stalker attitré de David Tennant.

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