13 Reasons Why : série d’urgence
Une adaptation d’un roman teen pour Netflix avec des acteurs inconnus et produite par Selena Gomez, c’est un peu ce qu’était 13 Reasons Why avant qu’on pose les yeux sur le premier épisode. Et d’épisode en épisode, une grande série essentielle est née.
SPOILERS MINIMES, aucun rebondissement n’est dévoilé1 semaine que Hannah Baker s’est suicidée et que le lycée Liberty essaye d’oublier. Mais Clay Jensen reçoit chez lui une boite à chaussures avec plusieurs cassettes audio à écouter. Toutes les faces sont numérotées jusqu’à 13. C’est Hannah qui se confie à 13 personnes en dévoilant les raisons qui ont mené à son suicide.
Cette lente descente aux enfers pour Hannah qu’est 13 Reasons Why est aussi une lente montée en puissance pour le spectateur. La série est devenue après quelques semaines un phénomène sociétal. Alors, grande série ? Welcome to your tape, 13 Reasons Why.
Bryan Yorkey est un homme de théâtre. Pourtant, il est derrière le projet 13 Reasons Why adapté du roman de Jay Asher de 2007. Côté rôles principaux, on retrouve Dylan Minnette (le fils de Jack, dans Lost) et l’inconnue Katherine Langford et tout un casting de jeunes talents. Kate Walsh (Private Practice) joue la mère de Hannah.
Le premier épisode est un exemple de « pilote » efficace et exemplaire. L’ambiance est immédiate, les enjeux simples et perturbants et les personnages sont déjà très marqués. Il faut attendre l’épisode 5 pour que la série prenne une ampleur qui va au-delà de la simple fiction. Le cas Hannah Baker devient un sujet de discussion. Le spectateur est pris aux tripes, il apprend les douleurs des personnages, saisit l’instantané des drames et construit peu à peu une empathie assez incroyable. Depuis 4 épisodes, on apprenait les dessous des relations entre chacun et sur cet épisode, on rencontre de plein fouet l’aspect macabre de la série. La puissance quasi mystique de Hannah pèse sur tous et sur Clay principalement. Il découvre enfin qui il est par rapport à elle, il se révèle alors comme une sorte d’amant fauché devenu martyr amoureux. En procurant chez le spectateur un profond sentiment de malaise, cet épisode fait gagner à la série un statut particulier. Voir la tombe défraîchie de Hannah, voir Clay perdu, soutenir son regard, ces tableaux glauques, sont autant d’épreuves et d’expériences que le public gardera longtemps.
Clay et Hannah forment un couple non-sensique. Leur relation est esquissée d’épisode en épisode, on croit comprendre leur lien, on devine des sentiments mais rien n’est jamais confirmé et surtout, pour un teen show, ce n’est jamais exposé de façon concrète. Cette histoire d’amour est d’une beauté macabre hallucinante. Sentir grandir ce sentiment amoureux chez Clay dans cette situation post-mortem est un moment de grâce d’une puissance sérielle rare. Et les moments de grâce sont légion. La nostalgie ne pointe que rarement, il y a surtout un souvenir plutôt qu’autre chose, voire un manque pour Clay qui comprend alors qu’il ne pourra jamais renvoyer la balle à Hannah. La narration qui peut paraître complexe n’est que brillamment décomplexée par un montage et une mise en scène d’une intelligente rare.
13 Reasons Why impose un style particulier mais nécessaire. La photographie change dès lors que nous sommes dans un flashback. Les tonalités bleues laissent place à des tons oranges immédiats. Même la musique d’Eskmo (envoûtante) évolue au gré des temporalités. Cette astuce de mise en scène est renforcée par un montage d’une fluidité exemplaire. Chaque mouvement se voit commencé et terminé dans deux scènes différentes. Les rappels de geste, de décors ou de sons sont à chaque tentative une réussite. Et que dire de l’incrustation de Clay dans les souvenirs qu’il se fait de Hannah dans les lieux qu’elle décrit… Les limites sont constamment floues dans la série, l’aspect fantasmagorique de la mise en scène produit beaucoup de sens, crée une atmosphère et dessine au gré des séquences une ambiance mélancolique à tomber. 13 Reasons Why est une série à la beauté froide dans le temps présent et chaude dans le passé.
L’autre grande qualité de la série est qu’elle propose un traitement des dramas ados d’une simplicité exemplaire mais qui ne tombe jamais dans les clichés. La série a beau traiter de choses bien américaines (le charisme des sportifs du lycée, le bal de promo, le One Dollar Valentine…), on n’en ressent pas le poids. Il y a souvent un décalage entre l’adolescence dans les séries et la notre, la française. Qui se retrouve dans la jeunesse de Skins ? De Gossip Girl ? De Riverdale ? 13 Reasons Why parle à tout le monde. Il y a beau y avoir le footballeur ou le basketteur, la pompom girl, le salaud, la fille timide, ces gens-là existent ! Ils sont des rôles que nous nous créons tous pour exister. Les cases vides sont des enveloppes quasiment imposées lors de notre entrée dans des groupes sociétaux. Ce qui diffère des autres teen shows est que 13 Reasons Why n’est pas plombé par les identités des personnages. On ne parle plus d’archétypes ou de stéréotypes. Ainsi, la série nous parle car c’est avant tout le propos qui est en vedette et non les personnages.
Que faut-il faire pour que cette série soit vue par le plus grand nombre et surtout comprise ? Il y a encore et sûrement beaucoup de jeunes spectateurs qui vont regarder ça comme tout autre programme : comme de la fiction et donc du faux et donc de la rigolade. Sur Twitter, un internaute avec une profil picture de Hannah Baker était en train de faire du bodyshaming à quelqu’un d’autre… On est vraiment dans l’urgence. Et si une série peut changer quelque chose, ça ne peut être que 13 Reasons Why.
On a aussi reproché à la série de faire parler les adolescents comme des adultes. Citons l’équipe de Rockyrama (voir le fil des tweets) par exemple qui y voit un gros problème. Qui parle comme Jack Pearsons de This Is Us ? Qui a une vie comme les jeunes de Skins ? Le problème n’est pas tant de faire parler des ados comme des adultes mais de savoir reconnaître un dialogue écrit et pensé à une parole irréfléchie. Ce sont les mêmes problèmes qui ont été mis sur le dos de Dawson. Les jeunes ne parlent pas comme ça. Peut-être pas la grande majorité mais qui aimerait voir des jeunes parler comme dans la vraie vie dans une série ? Pas grand monde. Et les mêmes personnes ne disaient rien quand Angela de My So-Called Life parlait de manière beaucoup plus abstraite que Dawson Leery… Si 13 Reasons Why ne fait pas parler les ados comme des adultes c’est parce que les adultes mêmes ne parlent pas comme ça. Les personnages de la série sont matures, parlent de leurs ressentis, mettent des mots justes et ne sont en aucun cas des personnages « adultés ». ils sont simplement dans une réflexion constante et il existe des scènes où on reconnaît bien des réflexes d’ados dans la série, il ne faut pas les occulter.
D’ailleurs, pour revenir sur le traitement et le genre teen-show, la grande force de la série est de voir les relations dépendre, non pas de leur propre existence ou essence, mais de la conscience qu’elles sont liées au cas Hannah, jamais de leur propre sort. On ne verra jamais Jessica et Justin, couple de la série, parler de leur relation en dehors du fait qu’ils sont atteint psychologiquement par l’affaire des cassettes. Il n’y a pas d’histoires d’amour dans la série, il y a surtout des histoires de relation. Qu’elle soit amicale, amoureuse, parentale ou autre, la relation est toujours remise en question par rapport au sujet de base de la série. Cela peut paraître assez lourd à supporter mais il reste tout de même assez de légèreté pour avoir des sas de décompressions tout le long des 13 épisodes.
Tout teen-show qui se respecte doit savoir gérer la place du parent et 13 Reasons Why parvient sans mal à faire mieux que Riverdale. Kate Walsh, qui joue la mère de Hannah, a une place importante dans le traitement du sujet et elle parvient à retranscrire un personnage fauché dans ses entrailles de mère. Les personnages adultes de la série ne tirent pas la couverture sur eux et sont toujours très bien ancrés dans le récit. Le conseiller d’éducation est un personnage qui erre dans le récit comme un point d’ancrage vers une certaine idée de l’institution. On sent alors le décalage entre la vie perçue par l’adulte, la vie de l’ado et la vie rêvée. C’est dans cet aspect essentiel du traitement d’un teen show que 13 Reasons Why trouve encore des forces pertinentes.
Evidemment, il y a des points négatifs qu’on peut soulever. La fin, qui se permet de ne pas être un grand final mais plutôt une conclusion naturelle, nous laisse sur notre faim et garde des cartouches pour une saison 2 insensée puisque la série-titre se suffisait à elle-même à l’instar du livre. On garde pourtant en tête qu’il y a encore des choses à dire et que Hannah pourrait être la narratrice de belles et amères chroniques adolescentes. En 2003, Still Life était une série qui n’a jamais vu le jour après son pilote commandé. On y voyait une famille (dont Jensen Ackles) vivre après la perte de leur fils et ce dernier était la voix-off omnisciente du show. Comme dans Desperate Housewives aussi, cette voix-off disparue mais qui veille sur les personnages donne une identité assez spéciale à la narration.
On pense aussi que le personnage de Hannah Baker est vraiment poissarde, multipliant et enchainant les problèmes. Et dans les derniers épisodes, comme si ça ne suffisait pas, on rajoute un drame ultime qui rend le personnage proche d’une martyre. On pense alors à Jessica qui semblait plus proche de la tragédie que Hannah. Cette différence de traitement psychologique ou cette abondance de drames humains rend la série un peu trop dense et artificielle alors que la réalité glaçante prenait souvent le pas sur le reste. En faisant le bilan des tragédies, on imagine alors que 13 Reasons Why est peut-être un peu trop « écrite » et fait dans la sur-abondance. Et si fidèle elle est, accusons le roman.
Comment conclure cet article si ce n’est en conseillant vivement cette série que ce soit pour vous-même mais aussi à ceux qui seraient réticents à suivre un teen-show. 13 Reasons Why est une nécessité comme d’autres oeuvres marquantes d’une époque, une série peut être une obligation. Les adolescents doivent aussi la voir en la comprenant comme une oeuvre qui va au-delà de la fiction. Elle ne glorifie rien, ne rend pas le suicide beau, elle rend compte de la bêtise humaine, elle souligne avec force et fracas que les relations à cet âge sont primordiales, que les gens que votre enfant vont croiser sont peut-être des amis de substitution pendant un ou deux ans mais qu’ils sont surtout le seul lien qu’ils ont pour le partage. L’amitié est précieuse, toute relation est précieuse. La communication et la compréhension aussi. Et quoi de mieux que de discuter de tout ça autour d’une oeuvre qui sait montrer du doigt les faiblesses de chacun ? 13 Reasons Why nous a créé un personnage qui doit faire date, qui doit devenir exemplaire. Certains gimmicks (les cassettes par exemple) doivent perdurer dans les discussions comme toute série devenue…. culte.
Hannah Baker est devenue immortelle pour moi. Qu’elle le soit pour vous !