Vinyl : The Rock Brothers
Vinyl s’est achevé cette semaine, encore secouée toutefois par le départ annoncé de son showrunner star Terence Winter en saison 2. Ca n’a heureusement pas influé sur sa qualité.
ATTENTION SPOILER SUR TOUTE LA SAISON DE VINYL. LECTURE A VOS RISQUES ET PÉRILS.Fantasme de Scorsese
et de Mick Jagger, Vinyl pose les enjeux d’une nouvelle grosse production télévisuelle. On a donc Richie Finestra, fils d’immigrés italiens, qui a réussi dans le rock, passant de barman à manager puis à gérant de son propre label, American Century Records. Il a tout pour être heureux, surtout quand Polygram lui fait une offre de rachat avantageuse. Toutefois le label est en crise, les voix de l’époque (ABBA, Led Zeppelin) lui passent sous le nez, et à la suite d’une visite qui tourne mal, Richie tue le petit truand Buck Rogers. Retombant dans la drogue, il envoie même chier Polygram et leur offre. Richie doit donc maintenant assumer ses choix et addictions, entre sa famille, le poker menteur autour du meurtre, et la gestion de sa boîte…
La grande crainte qui se dégageait du visionnage du pilote était celle de savoir si la série réussirait à se défaire de l’ombre pesante de son créateur Martin Scorsese, qui avait offert un pilote-film tellement massif qu’il aurait pu être autonome et rendre ses suites profondément communes. Il n’en est rien : les neuf épisodes suivants assurent la transition, sorte de calme après la tempête, mais qui maintiendrait bien l’intensité de ladite tempête initiale. Si la patte de Scorsese se fait en permanence ressentir, et pour cause, le contraire serait étonnant, les successeurs du réalisateur américain derrière la caméra s’en tirent très bien, et Vinyl se fait une plongée en eaux profondes très agréable du rock’n’roll, magnifiée par l’expertise musicale du boss du genre Mick Jagger. C’est ainsi qu’avec un certain plaisir, en plus d’une nostalgie assurée pour les vieux de la vieille (et plus récents), sont incarnés ou ressuscités devant nous David Bowie (à qui un épisode est dédié), Alice Cooper, Elvis Presley, John Lennon, entre autres. La grosse force de Vinyl est incontestablement celle de nous mettre dans une ambiance musicale entraînante, nous happant ainsi en permanence dans les années 1970, et contribuant à faire du show une expérience.
Plus encore, la série manie plutôt bien tous ses fils narratifs, creusant des sillons, les délaissant pour d’autres, y revenant par la suite, afin de mettre en scène un maximum de personnages secondaires, chose qui manquait au pilote. L’aura dégagée par Richie Finestra (excellent Bobby Cannavale) irradie sur tous les autres personnages et permet ainsi de tous les mettre en scène, d’une façon ou une autre, bon ou mauvais, angoissé ou calme, renâclant ou docile. Ainsi,la série instille un dialogue de névrosés dans un épisode où Zak (touchant Ray Romano en bras droit de Richie, le pendant névrotique de Skip qui lui est la force tranquille, autour de Richie qui assure la jonction) a un petit plan à trois avec deux filles de Las Vegas et découvre après sa nuit mouvementée que l’argent qu’il avait gagné après une vente, aux côtés de Richie, a disparu. C’est là que Richie fait porter le chapeau à Zak, alors que l’on découvre à la fin que c’est Richie qui est allé jouer tout cet argent aux casinos de Vegas. Là, la série actionne la mise en abyme : la mise en scène frénétique et compulsive des addictions et sautes d’humeur de Richie, et les réinvestit dans le personnage même, qui la projette sur les autres pour échapper à vainement à sa culpabilité. Du reste, la série tourne beaucoup (parfois trop tant il se fait des rails de coke à tour de bras dans les 5-6 premiers épisodes) autour des démons qui hantent Richie, notamment au travers de la drogue et de l’alcool dont il abuse allègrement et qui permettent à chaque dose prise une plongée dans son quotidien déluré, conservant constamment une mince frontière entre son inconscient et son conscient, et laissant toujours le doute quant à la véracité et l’authenticité de son propos. Le point de non-retour est ainsi atteint avec cet épisode où Richie fait une virée folle avec un ami de longue date, avant que l’on ne se rende compte que cet ami est mort depuis longtemps et que Richie n’a fait confiance qu’à une hallucination, goutte qui fait déborder le vase pour sa femme qui le quitte, double plot twist très bien amené et qui, comme Richie, frappe le spectateur sur la portée et la puissance de la folie qui ont pris possession du personnage principal.
Pour Richie, toutes ces aventures sont autant des paris perdus qu’une descente aux enfers : dès l’origine avec Lester Grimes qui se venge en manageant les seules recrues du label, avec sa femme qui finit par le tromper ce qui indirectement influe sur ses performances sexuelles avec la secrétaire, pour son label qui coule au point qu’il demande de l’argent à la mafia du tycoon Corrado Galasso… Et, comme une épée de Damoclès, revenant toujours au moment où on ne l’attend pas, le point de départ de tout cela : le meurtre de Buck Rogers, sur le crâne duquel il a laissé exploser sa rage contenue. Richie Finestra est un individu profondément passionnel, mais qui quand les passions prennent le contrôle se retrouve complètement dépassé, déréglé, agissant avec la compulsivité de la narine qui aspire la coke en poudre, coke qui bouleverse son ça et son moi, empêchant un surmoi relativement équilibré. Des fois ça passe, comme quand il recrute son ex-amante Andrea pour redonner vie à son label, et des fois non, comme quand il tente de conserver Hannibal, ou de recruter Elvis Presley. C’est là tout le côté scorsesien de cette production, qui mêle des choses infiniment passionnelles, entre une impulsive mafia qui tue au premier manque de respect, une musique électrisante toujours branchée, la drogue qui décuple les capacités, et bien sûr l’excitation intrinsèque à un New York plongé dans les années 1970.
Oui, en somme, Martin Scorsese et Mick Jagger se sont très bien trouvés : leur Amérique est une marmite toujours bouillonnante de pulsions et d’excentricités en tous genres, une sorte de « roaring seventies » d’où émergent des groupes plus hard rock comme les Nasty Bits (dont le leader est le surprenant James Jagger en Britannique désabusé, dans un duo passionnant avec Juno Temple en femme forte incroyablement sexy), et où les plans à trois comme ceux du neuvième épisode ne sont que la conséquence de cette fureur permanente (assumée dès le générique), dont des gens comme Andy Warhol tentent de capter l’essence même au sein de femmes de personnalité comme Devon Finestra, femme d’un acteur majeur de ces néo-années folles (épatante Olivia Wilde qui en impose avec sa personnalité, une sorte de Numéro 13 exacerbée). Vinyl, avec ses personnages de fiction évoluant en interaction, où viennent se glisser des personnages historiques, tend, comme le titre de la série l’indique, à venir mythifier cette époque marquante et culte de l’histoire américaine, tout spécialement de sa musique. Manque toutefois un véritable contexte : nous sommes en 1973, quand les Etats-Unis quittent le Viêtnam la queue entre les jambes, après notamment des chansons engagées de Jimi Hendrix, une situation à laquelle il n’est jamais fait référence. La série prouve pourtant qu’elle sait allier musique et clinique, en mettant en scène les rapports Noir/Blanc, entre Clyde et les gars du bureau de poste, au sein de la boîte, dans une société qui vient d’adopter une législation post-Civil Rights Movement, mais réunis sous le signe de la drogue et de la musique, fumées omniprésentes créant sa propre sphère d’action et de contexte.
On peut faire confiance à HBO en général pour soigner et chiader ses séries souvent fresques (Soprano, Game of Thrones). Vinyl, aussi douée sur le plan tragique que sur le plan comique, ne déroge pas à la règle, et gageons que vu son ambition, les moyens seront conservés en saison 2, surtout si Martin Scorsese réalise, comme il le souhaitait, encore d’autres épisodes. Toutefois, si qualitativement elle est bien au-dessus de la moyenne, avec 10 épisodes qui semblent chacun raconter une histoire à la troisième personne et du point de vue de Richie, la série pourrait être parfaite si elle s’aventurait encore plus loin qu’une simple odyssée dans l’univers scorsesien malgré tout relativement déjà vu dans ses oeuvres précédentes, mais ici transposé à ce monde de la musique. La mise en scène de l’hallucination de l’ami de Richie a permis un franchissement dans la psyché de celui-ci, mais ce n’est qu’un éclair dans le rapport à la drogue auquel nous avons eu droit, dans la mesure où c’est la seule véritable action concrète de la drogue, le reste fonctionnant surtout comme un motivateur pour Richie (on regrette par exemple que le rail de coke soit oublié dès qu’il voit sa femme danser collé-serré avec Hannibal, donnant une simple confrontation avec Devon au lieu d’un face à face avec Hannibal qui aurait eu d’autant plus de force qu’ils sont tous les deux de grands camés) ; là où une House of Cards, dans un autre registre, plongeait profondément dans les recoins de l’esprit torturé d’un Frank Underwood alité.
Vinyl est une série plaisante et très prometteuse, dont on attend confirmation en saison 2 !
HBO Home Entertainment France a par ailleurs annoncé que l’intégralité des épisodes de la première saison de la série “Vinyl” sera disponible en version originale sous-titrée au format HD Digital dès le 19 avril 2016. La version française sera quant à elle disponible en téléchargement dès le 6 juin. Deux bonus seront disponibles avec le téléchargement de la saison intégrale : “Making Vinyl & Recreating the 70’s”, un documentaire de 21 minutes sur les coulisses de la reconstitution de l’atmosphère et du cadre si singulier du New York des années 70, avec des interviews exclusives de Martin Scorsese, Mick Jagger et Terence Winter, ainsi que “Cast Roundtable”, une conversation entre les stars de la série Bobby Cannavale, Olivia Wilde, Ray Romano, Juno Temple et James Jagger, qui partagent leurs anecdotes sur le tournage, et racontent comment ils ont recréé l’ère du rock’n’roll des années 1970. Le téléchargement de “Vinyl: l’Intégrale de la Saison 1” sera disponible au prix moyen de €23.99 (format SD) et €28.99 (format HD) sur Google Play, iTunes, Orange, Sony et Xbox.