Reparti bredouille de Cannes, Nicolas Winding Refn a encore fait sensation. Après les aussi acclamés que rejetés Drive et Only God Forgives, le réalisateur danois revient avec un nouveau film, à tendance horrifique si on en croit ses dires, accompagné de sa nouvelle égérie Elle Fanning : au delà du strass et des paillettes, qu’est vraiment The Neon Demon ?
ATTENTION : LE TEXTE QUI VA SUIVRE CONTIENT DES REVELATIONS SUR L’INTRIGUE DE THE NEON DEMON. MIEUX VAUT ETRE A JOUR, AVOIR DONC VU LE FILM AVANT DE POURSUIVRE LA LECTURE.
Le nouveau cru Refn est une nouvelle raison pour les cinéphiles d’arrêter de cantonner le réalisateur à un simple créateur formaliste: le public professionnel comme amateur a souvent tendance à confondre l’absence de dialogue avec l’absence de langage.. C’était déjà le cas pour Drive, Ryan Gosling n’y disait pas grand chose et cela suffisait aux détracteurs de Refn (les mêmes qui souvent encensent Kubrick, dont le cinéma était finalement pourtant assez proche de celui de Refn, si l’on oublie un temps Barry Lyndon pour se concentrer sur le moins verbeux Shining) pour qualifier le film de coquille vide, occultant avec complaisance le traitement de l’asocialité, de la culpabilité que faisait le film en son propre langage. Idem pour Only God Forgives qui évoquait les relations familiales d’un angle résolument nouveau. Chez Nicolas Winding Refn, le langage est celui de l’image et du regard. Certes, la signification profonde de celui-ci en est moins accessible en l’état que si le film était aussi verbeux, au hasard, qu’un Nolan, mais elle est bien présente si on est à même d’aller plus loin que ce que les personnages disent verbalement.
Les personnages parlent, dans The Neon Demon, et cela serait presque dommage, en un sens. Le dialogue concret, ici, n’a souvent qu’une vocation informative (décrire qui est qui, par exemple, des menus dialogues à peu de mots qui seraient nécessaires dans un autre film pour bien saisir l’intrigue, mais qui ici n’ont de sens que parce qu’ils symbolisent la vacuité et le manque de conversation des grands du milieu de la mode), ou alors relevant de la pure punchline métaphysique (my mother used to call me dangerous, clame Elle Fanning jusqu’à la bande annonce), quelques mots lourds de sens qui seraient presque de trop dans un film où tout est à comprendre, où chaque plan a son importance. Presque explicatives de l’état d’esprit de chacun, on pourrait imaginer que ces passages relèvent de la pure préciosité d’un réalisateur comme Refn, qui sait la qualité de son oeuvre. Ou sans doute plutôt ces passages ont ils vocation à symboliser la manière des personnages de souvent jouer les m’as-tu-vu et de se pavaner, imbus d’eux mêmes et comptant uniquement sur leur apparence pour se forger une place dans le monde. Penchons pour la seconde hypothèse.
Toujours est-il que Nicolas Winding Refn n’a décidément pas besoin de longs tunnels de dialogues pour envisager ses thématiques. Avant tout, The Neon Demon (titre évoquant le personnage d’Elle Fanning en elle-même, obsédante, dangereuse et destructrice, ou alors un parallèle du démon de l’alcool ou du jeu, le Néon évoquant la mode et la célébrité, et le démon étant la perte des repères moraux et effectifs que celles-ci engendrent?) traite de la frustration, et cette frustration est en quelque sorte personnifiée par Jessie, si belle qu’elle tourne la tête aux grands de la mode et décroche des contrats que d’autres mettent des années à pouvoir approcher. La frustration n’est pas que simplement physique, mais également sexuelle, même si les deux sont également liés : tout le monde veut Jessie, et ce, par exemple, en ce qui concerne son amie maquilleuse qui ira jusqu’à copuler avec un cadavre pour compenser son refus (formidable et sensible Jenna Malone), Vierge de son état, Jesse est elle-même frustrée mais effrayée à la simple idée d’aller plus loin dans ses expériences, sans doute pour la raison qu’une proximité physique pourrait engendrer une proximité tout court, ce dont la jeune fille ne semble pas raffoler.
A la manière de la Black Swan de Darreen Aronofsky, avec qui Jessie partage d’ailleurs beaucoup de caractéristiques, comme la virginité, la jeune fille innocente et démoniaque sombre vite dans la folie. Asociale et réservée, elle voit durant toute la durée du film des choses bien étranges, et pourtant pas obligatoirement irréelles (le fauve dans sa chambre, qui aurait pu être un familier psychique comme l’araignée que voyait Jake Gyllenhaal dans Enemy, est en fait bien réel puisque le gardien le voit). Irréelles parfois, ou en tous cas est il possible de douter de la présence effective de certaines visions : le prisme de The Neon Demon est il vraiment présent lors du défilé de Jessie, ou est il la symbolique de la perte virginale et intellectuelle de Jessie, la perte de ses repères moraux mais aussi de sa sanité d’esprit, puisque de ce passage suivra une jeune fille timide et aimable métamorphosée en une calculatrice dangereuse et dédaigneuse ? Ou plus encore, Jessie était elle de cet état d’esprit depuis le début, et la vision de ce prisme une confirmation pour elle qu’elle peut décidément donner libre court à ses pulsions sans se soucier de la bienséance ?
Toujours est-il que cela ne plaît pas à l’entourage professionnel de Jessie, jeunes filles qui en réaction, tantôt au risque que présente Jessie pour leur carrière, tantôt au rejet sexuel de la beauté, la mangent toute crue. Et ainsi arrive t’on à une autre caractéristique du film, la plus discutée si on en lit les critiques : le grand-guignol. Etrange objet que ce The Neon Demon, à la fois lent (lent dans son rythme, lent dans ses musiques et souvent dans son montage)) et hystérique (dans ce qu’il narre bien sûr, mais surtout dans ses effets visuels, saturation de lumières notamment, d’où e lien avec le cinéma de Stanley Kubrick). Principalement en son tout dernier acte, le film de Nicolas Winding Refn fait appel à des effets sanglants et gores, une des égéries vomit l’oeil de l’égérie qu’elle a dévoré comme un rejet de l’acte qu’elle a commis, persuadée avec raison que la jeune fille, s’il on accepte qu’elle représente bien le Neon Demon, et donc le danger de la célébrité, est en elle et la possède. Fascinante conclusion pour un film dont le grand-guignol se trouve justifié ne serait-ce que par son sujet, appel à toutes les perversions et débauches.
Enfin, contrairement aux derniers films de Nicolas Winding Refn, The Neon Demon est composé de femmes. Sans doute cela constitue-t-il un appel référentiel au grand cinéma que pouvait proposer, par exemple, Dario Argento dans son Suspiria (duquel le film est également très proche, de par le grand-guignol et même certaines des thématiques, comme la virginité et l’hystérie), ou alors Refn invoque t’il ici les préjugés quasiment sacro-saints de l’hystérie, considérée dans l’imaginaire collectif (et ce jusqu’à l’étymologie même du mot) comme une caractéristique strictement féminine. Ou peut être envisage t’il très justement la mode comme un domaine tout trouvé de sexualisation de la femme, de sorte que la présence d’hommes dans le champ des protagonistes paraît presque hors-sujet. Toujours est-il qu’Elle Fanning est la parfaite déesse de toutes ces créatures physiques qui à ses côtés, pour le monde, paraissent difformes et imparfaites. Romy Shneider de l’Enfer rescuscitée, l’actrice est sans doute en passe de devenir une légende du cinéma.
Fascinant s’il en est, absolument anxiogène et dérangeant mais aussi d’une beauté à couper le souffle, The Neon Demon est à voir. Sans doute le réalisateur, lui, sera-t-il adoubé dans le futur…
Résidant à Paris, A.M.D est fan de Rob Zombie, de David Lynch et des bons films d'horreurs bien taillés. Sériephile modéré, il est fan de cultes comme X-Files, Lost, ou DrHouse, ou d'actualités comme Daredevil ou Bates Motel.