Star Trek : Sans Limites : De la démocratie en Amérique
Star Trek : Sans Limites (ou Beyond, en VO) est le troisième volet de la saga Star Trek depuis son reboot par JJ Abrams en 2009. Les personnages sont bien en place, l’univers réinstallé, les enjeux déterminés. Après Nero puis Khan, c’est Krall qui vient embêter l’Enterprise. Verdict, en ce 50e anniversaire de la franchise.
ATTENTION : DES SPOILERS DE STAR TREK : SANS LIMITES VONT APPARAÎTRE. LECTURE A VOS RISQUES ET PERILS.
Dans cette nouvelle aventure, tout semble au premier abord aller bien. Le capitaine James T Kirk est content de son équipe, il est confortablement confirmé à son poste, et la mission sur 5 ans qu’il mène se passe bien (si l’on excepte une mission de paix mise à mal par des créatures teigneuses). Mais Kirk s’ennuie, voit sa flamme vaciller, alors que le souvenir de son père mort à sa naissance est encore vivace. Mais une mission de sauvetage ordonnée à l’Enterprise tourne mal et le vaisseau s’écrase sur une planète. Son occupant, Krall, veut renverser Starfleet et la Fédération et tente en cela de dérober un puissant artefact à Kirk…
Dans l’article récapitulatif que nous vous proposions il y a quelques jours (lien ici), nous disions que Star Trek était le chantre d’une certaine représentation de l’Amérique, mise à mal, tordue dans tous les sens, attaquée en son coeur, mais au final toujours debout. Il ne faudra pas compter sur Justin Lin, le réalisateur, successeur de JJ Abrams (qui reste producteur), pour changer cela : le film reste d’une efficacité rare dans la sacralisation des symboles qui ont toujours fait que, aux Etats-Unis, et comme les personnages le répètent longuement dans le film, l’union fait la force. En témoigne une excellente séquence qui voit l’Enterprise rongée, dévastée, désossée par l’essaim de vaisseaux lancés par Krall (Idris Elba, toujours rugissant en méchant). Filmant presque comme un long plan-séquence, tant tout s’enchaîne vite, Justin Lin alterne les plans dans et en dehors du vaisseau, afin de bien insister sur sa déliquescence totale et sur l’impact tant physique que mental qu’il y a à y trouver : à la dérive dans l’espace, puis écrasée sur la planète, comme vaincu par ces percées insidieuses, l’Enterprise fait penser aux tours jumelles du World Trade Center, en tant qu’il est le coeur de la représentation de ce qu’est Star Trek et étendard de Starfleet ; le ton du film est donné. Et quand à la fin, on apprend que Krall est un ancien capitaine qui a perdu foi en Starfleet, utilisant son essaim de vaisseaux pour faire le plus de mal possible, il est définitivement acquis que le film et l’Amérique viennent pour réaffirmer leurs ambitions, leurs principes fédérateurs, et ce qui fait qu’ils restent efficaces, bien qu’humains, et ce malgré les difficultés. Ceux de l’union contre la division, de l’unité plutôt que la destruction, de la solidité plutôt que la désarticulation.
Pour ce troisième film, Justin Lin frappe donc fort en s’attaquant directement à l’Enterprise, afin de tirer le meilleur de son équipage et par ricochet de ses acteurs, de lui donner des airs de film catastrophe émotionnellement éprouvant, et d’insuffler de la force dans le scénario. Tout le postulat repose donc sur le fait que l’Enterprise est aussi un état d’esprit, un moyen et une fin (ce qui fera changer d’avis Kirk et Spock sur leur décision de quitter Starfleet), et qui n’a pas besoin de s’incarner physiquement pour donner la pleine mesure de ses capacités. L’apport de Jaylah (Sofia Boutella, plaisante), indigène qui a vu Krall détruire sa vie, est un ajout classique quoique bienvenu, et bien calibré pour entretenir la flamme d’une équipe qui pour la première fois doit se questionner sur son rapport à la mort (« ce qui nous maintient en vie », énonce Bones McCoy), un questionnement paradoxal tant ils la voient de près à chacune de leurs missions. C’est donc dépossédés de leur zone de confort, de ce qui fait qu’ils sont un équipage et chacun les maillons d’un tout, obligés de s’adapter pour survivre (d’où le fait que Kirk planque l’artefact dans le crâne d’un membre de l’équipe) que les personnages donnent leur pleine mesure.
Une chose qui pouvait manquer à Star Trek : Into Darkness était le manque d’approfondissement des personnages secondaires, comme Sulu, Uhura, ou Chekov. Le premier, outre sa sexualité reléguée au rang d’anecdotique histoire de rendre hommage plutôt discret à George Takei (ex-interprète de Sulu), est véritablement confirmé en capitaine potentiel, comme son aîné George Takei avait pu l’interpréter dans le sixième film ; il n’a pas peur de prendre les commandes de l’Enterprise quand il était terrorisé dans le film précédent, et ne recule pas devant le défi de faire voler le USS Franklin. La seconde est l’interprète privilégiée de Krall dans le film et mise en avant en accentuant son dualisme femme forte qui ne s’en laisse pas compter/demoiselle en détresse, notamment dans sa relation tumultueuse avec Spock (même si cela aurait pu aller encore plus loin, ce côté restant trop timide chez le Vulcain). Le troisième, excepté les larmes aux yeux quand on se rappelle qu’Anton Yelchin (à qui le film est dédié) est mort il y a peu, appuie franchement sur son potentiel comique de Russe loyal qui tente de se fondre dans le décor. Autant d’éléments qui viennent compléter ce que la saga avait fait du trio Kirk/Bones/Spock, un peu plus accentué ici, ce qui fait de ce Star Trek : Sans Limites un film d’aventures et non pas d’aventure, collectif et non pas individuel, où chacun apporte sa pierre à l’édifice, une transcendance qu’on ressent notamment dans le sauvetage de l’équipage retenu prisonnier. Au risque, parfois, de couper un peu le rythme, sans jamais néanmoins perdre en intérêt (c’est probablement là que Simon Pegg est intervenu)
En ce sens, la « scottishness » spontanée de Scotty, l’attitude rebelle de Kirk, mais surtout les moments entre Spock et McCoy, deux personnages qui s’aiment d’un amour vache mais qui portent une affection pareille à Kirk, fonctionnent à plein régime et donnent un puissant souffle de vie à la mythologie Star Trek. Alors que la saga fête son 50e anniversaire, la rencontre entre la logique surannée de Spock et la gouaille de McCoy est l’occasion pour Justin Lin de rappeler leur relation si particulière et, au détour d’une réplique de Scotty qui disait avoir eu peur en les téléportant de les mélanger tous les deux (ce à quoi Bones répond que ce serait horrible), de faire une référence à Star Trek III, où Spock survivait dans l’esprit de McCoy. D’autres références apparaissent, telles que la photo de groupe de l’équipage original dans les affaires de feu l’ambassadeur Spock (Leonard Nimoy, à qui le film est aussi dédié), le nom USS-Enterprise-A du nouveau vaisseau, qui est également celui de l’équipage original dans Star Trek IV, la radio à fond qui comme le chant des baleines du IV élimine les ennemis, un plan iconique de soleil levant dans l’espace, sans compter bien sûr, symbole de rencontre ancien-nouveau, l’importance du vieil USS Franklin dans l’intrigue. Histoire d’ajouter à ce spectacle un aspect de célébration chorale dûment mérité. Avec force « fast and furious », la recette classique du succès consistant à constamment faire des héros des challengers face au nihiliste de service pour mieux appuyer sur ce côté héroïque, Justin Lin offre un film très plaisant, qui, s’il manque, dès lors, par son choix scénaristique, un peu de la magie instillée par Abrams, réussit à faire collaborer les charges d’un blockbuster, les charges de cette saga rebootée, et les charges de la saga et de sa mythologie en tant que telles. Sage, Justin Lin s’est assuré que l’héritage serait bien perpétué tout en offrant une histoire de bonne facture, réussissant à combiner un côté psychologique dû à la perte de l’Enterprise avec des scènes d’action impressionnantes, marque de fabrique désormais attitrée de ce reboot. Et c’était bien ce qu’on lui demandait.
La fin appelant assez logiquement une suite, reste à savoir dans quelles conditions elle se fera : si tout le monde semble d’accord, la mort d’Anton Yelchin ampute l’équipage d’un membre essentiel. Toutefois, ce ne serait pas la première fois : le Sulu de George Takei n’était pas sur l’Enterprise dans Star Trek VI, se contentant de quelques apparitions. On devrait en savoir plus prochainement, mais il semble en effet que le potentiel de la saga et de ses acteurs, qui sera bientôt agrémenté d’une nouvelle série (Star Trek Discovery), soit bien sans limites.