Critiques de films

Souvenirs de Marnie : Vertigo

Après les retraites de Hayao Miyazaki et Isao Takahata, on attendait beaucoup de Souvenirs de Marnie, par le réalisateur du mignonesque Arrietty : Le Petit Monde des Chapardeurs, Hiroshima Yonebayashi. Résultat ?

Souvenirs de Marnie raconte l’histoire de Anna, 12 ans, orpheline et élevée par une tutrice, agoraphobe et extrêmement timide, à qui l’on prescrit un séjour à la campagne pour soigner l’asthme persistant. Elle se rend donc chez son oncle et sa tante, où elle découvre une villa inhabitée qui lui rappelle quelque chose… Elle fait aussi la connaissance de la mystérieuse Marnie, qui devient très vite sa meilleure amie, mais semble cacher quelque chose que Anna est déterminée à découvrir…

©Disney
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Souvenirs de Marnie, par son titre, annonçait déjà quelque chose de très hitchcockien dans son contenu. Et en effet, on n’a pas été déçus. Si la première moitié du film fait beaucoup penser à des productions d’Hayao Miyazaki (la figure de la grand-mère du Château Ambulant, la musique, la place de la nature chères à Mon Voisin Totoro, entre autres), la seconde moitié s’oriente plus vers une revisite de Vertigo, d’Hitchcock. La fameuse scène finale de la montée dans l’église, le vertige de James Stewart, le mystère autour de la belle blonde, ceci associé au nom de la jeune fille (Marnie, autre film d’Hitchcock) ne sont pas sans rappeler l’un des chefs-d’oeuvre du maître du suspense. Hiroshima Yonebayashi a tout le mérite d’avoir pu introduire ces éléments dans son film, afin de dérouter quelque peu le spectateur et l’empêcher de traîner une moue ennuyée devant un pur film pour enfants. Si Disney a en effet, depuis près de 20 ans maintenant (1996) les droits de distribution des films Ghibli à l’étranger, ce qui a de bénéfique que leurs films nous parviennent plus facilement, il est toujours bon de constater que Ghibli, Miyazaki en tête, a toujours refusé de se laisser vampiriser par Disney et a mis en place sa propre mythologie onirique, bucolique, transcendant toutes conventions et clichés narrativo-romantiques par un style bien précis et parfois même engagé.

©Disney
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Souvenirs de Marnie, si il porte bien la marque Disney, est un très bel exemple de cette ligne claire de Ghibli, détachée, dans tous leurs films, des effets Disney. D’une durée honnête (1h45), le film a ainsi pu prendre le temps de poser son cadre campagnard, jouant avec l’effet comique classique ghibliesque des personnages (ici, tonton et tata sont deux bons franchouillards sympathiques), et, telle Marnie elle-même, nous prend par la main pour pénétrer dans l’inconscient d’Anna, par des sentiers de plus en plus tortueux jusqu’à une révélation finale émouvante. Japonais dans le fond, mais européen dans sa forme, conte de fée à la Ghibli adapté d’un classique anglais de la littérature pour enfants (When Marnie Was There), Souvenirs de Marnie est un beau film sentimental qui, pour prendre ses distances avec sa fibre européenne indéniable (ne serait-ce que la fin en est la preuve), aurait pu (dû ?), justement, se finir un peu plus tragiquement, comme Vertigo, d’ailleurs. Il a choisi de bien se terminer, ce qui est à son honneur, bien aidé en cela par une esthétique sublime (comme toujours chez Ghibli), un personnage principal de plus en plus touchant, des personnages secondaires profondément attachants (tonton et tata ou la famille la plus drôle et permissive du monde), ainsi qu’une musique porteuse magnifique. Pragmatique, Hiroshima Yonebayashi déclare : « Je n’ai pas l’intention de changer le monde en un seul film, comme pourrait le faire Miyazaki-san”. Il se détache pourtant assez bien des acquis du maître par un onirisme et un réalisme très personnels sans oublier de lui rendre hommage. Après Arrietty, et sans s’enflammer comme on a pu le faire par le passé après la première vraie-fausse retraite de Miyazaki, on peut donner un bel avenir à Yonebayashi pour la suite des opérations. Tant qu’il ne se fait pas marcher sur les pieds et maintient la barque…

Dernier film, pour le moment, du Studio Ghibli, qui a annoncé une « pause » le temps de se restructurer après les échecs commerciaux de Kaguya et Marnie justement, Souvenirs de Marnie est un beau film, fédérateur comme le studio sait le faire, et ravira tout le monde. Malgré le départ des maîtres, l’étincelle de magie est toujours présente. Croisons les doigts pour la suite !

Leo Corcos

Critique du peuple, par le peuple, pour le peuple. 1er admirateur de David Cronenberg, fanboy assumé de Doctor Who, stalker attitré de David Tennant.

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