Critiques de films

Sorry to bother you : Vous avez une minute pour parler du capitalisme ?

Sorry to bother you est un film américain réalisé par Boots Riley racontant l’histoire de Cassius Green (joué par Lakeith Stanfiled), jeune noir américain qui arrive à se faire embaucher par une entreprise de télé-marketing. Dans cette entreprise, on fait miroiter le rang de « Super Vendeur », rang entouré d’un grand mystère et qui donnerait accès à d’innombrables avantages. 

Sorry to bother you pose rapidement les bases de son univers, en nous invitant à l’entretien d’embauche de Cassius, transpirant l’humour absurde mais présentant aussi la vie misérable de ce dernier, confirmée peu après dans le film. L’enjeu du scénario s’implante donc assez vite, une quête du personnage qui cherche à sortir d’une situation précaire à l’aide d’un emploi qui semble assez banal, sinon particulièrement ennuyeux. 

Sorry to bother you

Pourtant, la folie de la diégèse est très vite montrée, puisque chaque appel de Cassius l’envoie directement dans le salon-même des gens à qui il téléphone, le mettant donc dans des situations indélicates pour lui, mais délicieusement drôles pour le spectateur. Aucune logique apparente ne peut expliquer cet effet, mais force est de constater que le résultat marche et que la surprise va de pair avec un certain amusement du spectateur. Ce genre d’événements va se produire assez régulièrement dans le film et participe grandement à son originalité, un humour complètement décalé et assez fin qui constitue un style qui fonctionne bien mieux sur la longueur qu’un simple enchaînement de blagues explicites. 

Cependant, le film ne se repose pas que sur son humour. En effet, un réel approfondissement de son univers permet de créer une complexité qui rend le film d’autant plus intéressant, tout en créant en permanence un objectif à atteindre ou un obstacle à surmonter pour le personnage principal, de sorte à captiver le spectateur en permanence. C’est de cette manière que va d’ailleurs être instaurée une dimension psychologique mettant Cassius Green au centre d’un tiraillement entre deux pensées politiques radicalement différentes, mettant son milieu d’origine face à ses ambitions professionnelles. Par la même occasion est créée une forte contestation du système capitaliste, poussée au paroxysme au fur et à mesure que l’histoire avance. Pour autant, la critique n’a en soit rien d’original, peine à se démarquer et prend vers la fin totalement appui sur une forme relevant du fantastique, ce qui dénote avec la subtilité à laquelle le spectateur était habitué sans pour autant apporter quoique ce soit au film. 

Sorry to bother you

Là est donc le réel problème du film : malgré une forme de haut niveau, le fond n’innove en rien et tend vers un côté série Z qui ruine tout son argumentaire, sans arriver à ajouter une vraie plus-value au film. Seule l’avancée psychologique et professionnelle de Cassius arrive à être réellement travaillée et à mettre en place des questionnements intéressants, mais toute la face politique et sociale est abordée de manière bien trop grossière pour en valoir la peine, ce qui en fait un vrai manque à gagner tant les thèmes abordés sont globalement assez poussés, en plus d’être nombreux. Là où sont évoqués la misère, l’inégalité sociale ou encore le racisme systémique, aucune critique efficace n’est donc présente. Finalement, le côté décalé, si précieux pour la qualité du film, finit par empiéter sur des scènes qui commençaient magnifiquement bien et qui recelaient en elles une vraie puissance qui n’est donc pas pleinement exploitée. La multitude des thèmes sous-jacents finit même par entrer dans une logique de surenchérissement qui laisse encore moins de place à un quelconque développement de ces derniers, et empêche par conséquent la présence d’une conscience politique forte qui aurait été totalement en accord avec le reste du film. 

Sorry to bother you

Sorry to bother you est donc un très bon film et arrive à faire rire comme à faire réfléchir, tout en étant régulièrement surprenant. Il oscille malheureusement entre une finesse dans la forme et un fond maladroit qui, s’il avait été mieux traité, aurait pu être réellement génial. L’absurde comme vecteur est un excellent choix pour faire du film une oeuvre originale, mais son utilisation abusive finit par impacter ledit fond, qui n’avait clairement pas besoin de ça. Le film a donc un réel potentiel inexploré mais reste toutefois sublimé par la présence de Lakeith Stanfield, habitué à ce genre de rôles et qui devrait continuer son ascension dans le cinéma américain et y prendre de plus en plus d’importance. 

Terence

Rédacteur depuis janvier 2019. Actuellement en Licence Arts du Spectacle.

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