La fin des séries fédératrices ?
Si le blockbuster va connaître la fin d’une ère avec le dernier Avengers, la télévision semble se préparer à dire au-revoir à une série culte, du moins dans les dires. Game Of Thrones se termine effectivement dans quelques semaines ! Game Of Thrones, dernière des séries fédératrices ?
Dis la presse française, tu n'essaierais pas de m'annoncer quelque chose?@BlockbustersFI @OCSTV @GameOfThrones pic.twitter.com/O0ER8ikEWP
— Frédérick Sigrist (@fredsigrist) April 6, 2019
Voici quelques magazines qui font leur couverture sur Game Of Thrones. En somme, la série, on ne va pas se mentir, marque. Mais marque-t-elle par sa qualité ou par sa quantité d’émotions données ? On a beau dire, la série est bien faite, solide et plutôt bien entretenue. De là à dire si elle est vraiment bien ficelée et maintient l’intérêt scénaristiquement parlant, c’est encore autre chose. On parle bien évidemment de cette culture du moment qui a pris le pas sur la culture de l’épisode (⇒ Notre article Culture de l’épisode vs culture de la série) et fatalement de la série entière. Car oui, la série s’en retrouve profondément abordée d’une manière différente. Et GOT fait partie de cette catégorie.
3 mutations
Penchons nous sur les mutations de la sériephile depuis dix ans. Il y a trois changements majeures : le binge watching, cette tendance s’instaure comme une norme installée. Cette norme a été aussi bien relayée par Netflix qui en joue et impose aussi ses règles comme une base indispensable au monde sériel. On ne voit plus que par Netflix. Et cette fameuse Peak TV (à différencier de l’âge d’or) renforce cette idée que la sériephilie connaît des phases, des mouvements, des cassures et des dysfonctionnements qu’il faut déjà analyser. Les séries médiatiques, événements sont là pour offrir une date clé, un rendez-vous que le public doit noter s’il ne veut pas être déphasé avec les autres. La fameuse phrase « Tu es sur quoi en ce moment (qu’on répudie dans cet article ⇒ La fin de la sériephilie)
Que les séries soient meilleures qu’avant, pourquoi pas. Oui, qualitativement, la forme est plus léchée, l’écriture plus soignée mais c’est surtout par l’émergence de nouveaux modèles qui ne sont pas des habituelles façons d’aborder la série que le changement se fait. La série Network est différente de la série Câble. Le temps se retrouve plus dilué chez nos amis à péage, on prend son temps de développer, de diffuser et finalement aussi ce temps dilué se retrouve dans la narration. L’idée est d’emporter le spectateur dans une durée déterminée là où, dans le Network, l’idée était plutôt de faire revenir le spectateur le plus longtemps possible.
Finalement, la série événement est devenue une habitude. Le problème? La durée de vie de l’événement est court. On binge, on critique, on oublie.
Série suivante!
Netflix domine la sériephilie en imposant la façon de les consommer et de les approcher. Les grandes séries Netflix sont événementielles et s’oublient, à cause du temps, dès la saison 2 ou 3. Par chance, certaines survivent plus longtemps quand elles son,t un peu plus grand public. Stranger Things proposera une saison 3 attendue. Quid de la 4? Quid d’Orange Is The New Black et House of Cards qui se terminent et termineront dans la quasi indifférence ? Quid de la saison 3 de La Casa De Papel qui aura fort à faire après le buzz de ses débuts?
Game Of Thrones a cette chance de proposer un modèle hebdomadaire qui crée l’événement quand la saison arrive, et surtout, quand elle se poursuit, là où Netflix ne souhaite pas poursuivre l’événement. Pourquoi? Netflix préfère qu’on parle de Netflix plutôt que d’une série en particulier. La marque prime, le contenu viendra après. C’est avant tout ce que Netflix représente plutôt que ce qui représente Netflix.
C’est bien d’être seul(e). Tu peux regarder ce que tu veux, quand tu veux, où tu veux, si tu veux.
— Netflix France (@NetflixFR) March 10, 2019
La durée de vie d’une série Netflix est composée de trois phases. La première, la plus importante, est située avant sa mise en ligne. On en parle, on partage les informations, on relaye la date. On crée un rendez-vous comme au cinéma, un film impose sa date de sortie (mais rien n’oblige à aller le voir le Jour J). la seconde vient à sa diffusion, le vendredi le plus souvent, où le week-end qui suivra sera dédiée au binge, aux tweets de réactions de chaque épisode si on a de la chance, ou au tweet global pour la majorité. Le lundi, certains articles de grands médias relaieront leurs impressions. Puis, mercredi ou jeudi, la série fait déjà partie du passé médiatique. C’est donc la troisième phase, celle où la série va devoir exister comme une archive ou une série à rattraper pour « pas être larguée ».
Comme les sériephiles d’aujourd’hui recherchent toujours du contenu plutôt que de l’accompagnement. Les séries s’enchaînent. L’age d’ôr où la série est élevée comme objet culturel est terminé. On consomme. On comble le temps avec de l’enfilage d’épisodes.
Retour à la case produit bas de gamme.
Oui, la série est désormais quelque chose de bien fait. On le sait, on le radote. Mais elle est désormais consommée. L’aura de grâce est passée. S’il y a 30 ans, on la regardait pour s’occuper, en 2019, on reprend cette habitude. Cette désagréable manie revient donc à prendre une série, la regarder en entier – et même si on ne l’aime pas – et la juger… et de faire la même chose sans attendre avec la suivante.
Comme cité précédemment, l’article La fin de la sériephilie soulignait qu’on ne prêtait plus attention à la somme des parties mais plutôt au tout. Alors, certes, une série se juge aussi par son ensemble, mais c’est avant tout une succession de décisions artistiques, d’enjeux narratifs et d’évolution. L’approche est globale à cause du binge watching et non plus fracturée par une diffusion hebdomadaire. Le constat est clair cette année avec vraiment aucune série qui a tiré son épingle du jeu. Le rendez-vous régulier n’est plus. La série dans sa forme et sa définition les plus pures ne sont plus, vive la série! Celle qui est une histoire découpée, des instants mis bout à bout reliés par l’obligée narration épisodique.
La Peak TV a engendre 400 séries annuellement. Le tri, ce mot effrayant, doit être fait. Par qui? Par nous? Par le public, par la presse, par l’influenceur? Le tri ne se fait plus au premier épisode mais à la première saison. Binge oblige, approche globale oblige, narration diluée oblige, la série est avant tout une saison 1 avant d’être un épisode 1.
Fin des séries totem.
Et parmi ces 400 séries, quelles sont celles qui s’en sortent? Qui fédèrent ? Quelles sont les séries qui nous donnent envie d’être là pour l’après, le prochain épisode ou la prochaine saison? Avec la fin de Breaking Bad, et d’une moindre mesure, Dexter et Mad Men, les séries phares de cet âge d’or ont laissé place à des produits bien faits, moins preneurs de temps. The Walking Dead n’a plus la même aura qu’avant et sombre désormais dans un état qui va peut-être être bénéfique pour elle : redevenir une série de niche. Et avec la fin de Game Of Thrones, ultime série qui a fédéré des dizaines de livres, des centaines de papiers, des milliers de réactions et des millions de fans, nous nous retrouvons donc face à un vide, non pas artistique, on en est loin, mais plutôt affectif.
Les porte-étendards qu’étaient les séries citées à l’instant ne sont plus. Il reste des séries « parfaites », les Westworld, les Fleabag, les Sharp Objects, les Pose, les séries qui semblent être des « one season wonder » et d’autres séries qui sont là depuis longtemps mais qui ne sont plus dans les papiers des plumes sériephiles. On parle évidemment de Supernatural, de Doctor Who, de séries qui durent, qui ont une fanbase solide, discrète hors de leurs frontières mais qui font vivre cette flamme que nous aimions tant, nous, les blasés du monde moderne, ceux pour qui les forums et la télé cathodique étaient les repères et repaires d’une passion.
L’âge d’or de la série est plutôt celui de la sériephilie. Mais dans un contresens du terme. C’est un âge d’or où la définition même est malmenée ou les normes, les bases, les règles sont défaites, refaites et loin d’être parfaites. Trop de choix, trop peu de temps et finalement, une surenchère des produits qui n’aboutit qu’à une surenchère des superlatifs. Les fans qui ne s’embêtent pas à trouver leur nouvelle série fétiche car ils l’ont déjà sont les plus protégés, les plus sincères, les plus posés et les moins versatiles. Ils restent fidèles, propagent la flamme doucement mais sûrement et s’en sortent le mieux.
Avec la fin de GOT, c’est la fin d’une mise en lumière de certaines séries dans la pure tradition du terme. Nous nous retrouverons donc avec des séries événements, des titres à consommer de suite, comme des films, et à passer à la suite. On ne retrouvera ces quelques noms que dans les tops annuels.
Le concept de Top de l’année restera un sujet de discorde pour nous. La saison régulière va de septembre à mai pour se calquer sur les networks mais avec la multiplication des plateformes et la tendance à privilégier les produits du câble et de la SVOD, on se retrouve avec un calendrier qui débute vraiment à janvier et qui, s’il vient à citer une série de network, viendra à citer une moitié de saison.
Signes d’un nouvel âge
La culture série va passer à autre chose, c’est indéniable. Nous sommes déjà dedans. Tous aveuglés par les séries de qualité et l’abondance, nous en sommes encore à discuter s’il y a trop de séries. Il y a trop de films et personne ne s’en plaint. Personne n’oblige à regarder une série qui ne vous plait pas plus que ça.
Supernatural s’arrête l’an prochain, les séries de la CW tendent aussi à la fin. Jane The Virgin et Crazy Ex-Girlfriend, symboles d’un renouveau certain dans un style certain, se terminent également. Il ne reste que peu de repères historiques et habituels. La disparition de la persistance est là. Tout ce qui doit nous accompagner disparaît, c’est un fait. Les séries sont aussi comprises dans le lot.
Un genre de séries commencent doucement à revenir: l’anthologie. Et si les réussites sont moins nombreuses que les échecs, il semblerait que ce genre de format va permettre quelque chose : la remise en avant de l’épisode. La culture de l’épisode reviendra. On jugera enfin par morceau. Et si jamais la disparition de la persistance, cette perte de repères, permet d’ouvrir à une installation du moment épisodique plus que le simple moment dans l’épisode (on retient plus facilement une scène d’un épisode de GOT que tout l’épisode lui-même), on sera à nouveau redevenu maître de la pensée sériephile. A nous de trouver la petite pépite, d’en parler autour de nous, de constituer un groupe de discussion. La volonté aussi de faire ressortir des archives certaines séries oubliées doit être mise en avant. On sent, un tout petit peu, le désir de certains de revoir ou voir certaines séries du passé pour prendre d’une meilleure manière le pouls des séries d’aujourd’hui. Il est important de savoir diagnostiquer telle série, de la décortiquer pour savoir d’où elle vient, où elle est allée et pourquoi elle en est là.
Pour le moment, et pendant les deux prochains mois, Game Of Thrones va canaliser toutes les attentions. Les analyses de la fin prendront encore quelques semaines et nous serons enfin prêt pour tenter de faire le grand ménage : trouver les séries qui resteront symboles de cette époque.
Ce qui est certain, c’est que Netflix a modifié les « règles du jeu », pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, c’est le choix de voir ce qu’on veut quand on veut. Le pire, c’est d’être contraint de regarder tout tout de suite, de consommer rapidement et d’oublier. Un vrai paradoxe en fin de compte.
L’erreur à mon sens, c’est de consommer les séries de Netflix comme celles des networks et du câble, c’est-à-dire, DES que c’est disponible. Ce n’est pas parce que l’intégralité de la saison est en ligne qu’il faut tout regarder en quelques jours. il faut se libérer de cette « contrainte sociale ». Game of Thrones, c’est un rythme hebdo, c’est l’événement pendant plusieurs semaines, c’est tellement lourd si on se fait spoiler qu’il faut regarder de suite (mais au bout du compte, ce n’est qu’une heure par semaine). La série Netflix, c’est l’événement pendant trois jours pour simplifier. Le risque de se faire spoiler est pire en théorie, mais là, j’ai envie de dire, il faut savoir dire stop et prendre du recul. On a autre chose à faire le WE que de regarder son écran pendant 8 ou 10 heures.
Ce qui est dommage, c’est qu’il y a moins en moins de séries des chaînes traditionnelles (Network, Câble) qui font l’événement, donc moins de séries au rythme hebdo qui font l’événement. S’il y avait à l’heure actuelle des Lost, des 24, etc. ce serait différent. Le modèle Netflix est génial, mais hélas, il a pour effet pervers de phagocyter l’univers des séries, de la production à la sériephilie. Il n’y a pas à être pro ou anti-Netflix, il y a du très bon, du moyen et du pourri, ce n’est pas le sujet, mais on a l’impression que Netflix nous mène à la baguette, et ce n’est pas top.
Ces dernières années, et c’est peut-être regrettable, je vis autrement ma sériephilie, je discute moins avec d’autres fans parce que je ne regarde plus forcément au même moment. Mais j’écoute toujours des podcasts, je lis des reviews très ciblées (Sepinwall, Télérama, etc.), visionne des vidéos YT, etc. Mais j’échange moins avec les autres. Cela me permet aussi de regarder La Casa de Papel un an après tout le monde sans être spoilé. Ce n’est pas toujours évident, mais on a besoin de redevenir maître des horloges même si ça doit sacrifier les merveilleux débats sur les intrigues qui faisaient le sel des forums d’antan.