Série Séries 2013: les séries turques, vrai filon pour les chaînes étrangères?
Série Séries, c’est des projections de série, mais aussi quelques études de cas sur le paysage local de quelques pays en matière de séries.
Mercredi, c’était l’Espagne, et vendredi c’était au tour de la Turquie. Avant toute chose, revenons sur la définition d’une « étude de cas« : ce n’est pas une conférence mais bien un examen à la loupe de la production. Ainsi, pour une série donnée, on va se pencher sur le coût de production, le nombre de jours de tournage, les particularités d’une production (par exemple, les contraintes d’un tournage à l’étranger), mais assez peu de questions sur le contenu de la série. Cela donne une couleur particulière aux panels et aux interventions. Ce premier panel de la semaine à Série Séries, même s’il s’est déroulé dans un cinéma Ermitage au public assez clairsemé, a offert un paysage assez exhaustif de la production.
La Turquie, une usine à séries
Pour en parler, un seul Turc: un exportateur de série à succés comme « The Tulip Age » et « Love Is In the Air » , Can Okan (ITV-Inter Medya), issu d’une famille qui a fait ses armes dans le milieu du cinéma; une documentariste grecque qui est auteur de « Kismet« , documentaire montrant comment les soap operas turcs affectent la condition de la femme en Turquie, mais aussi dans d’autres pays diffusant ces séries, comme Dubaï; un distributeur suédois, Fredrik Al Malmborg, qui a importé la première série turque diffusée en access prime time (19h30) en Suède, avec succès: The End (ndr: et en VO sous-titrée s’il vous plaît); et Stefan Baron, directeur fiction/sports de la chaîne publique SVT, heureux diffuseur de ladite « The End ».
Premier fait: les séries turques squattent toutes les chaînes, avec 2 dramas diffusés par jour, sur 6 à 7 jours de la semaine, le tout sur 40 semaines. Et le pays « bénéficie d’une grande compétition entre les trois chaînes principales, avec beaucoup de revenus sur les ventes à l’international, qui sont réinvesties dans la production des épisodes », explique Can Okan. Résultat: une véritable usine avec des budgets qui n’ont pas à rougir devant les productions européennes, avec 300 000 $ par épisode pour la plupart des dramas.
Des séquences émotion à rallonge
Même si la Turquie est très autodépendante en termes de fiction, c’est-à-dire qu’il y a très peu de séries étrangères à l’antenne (surtout en primetime), elle ne vit pas tellement en autarcie: « le contenu est globalisé, les références à la pop culture sont les mêmes qu’ailleurs », ajoute Can Okan. Deux types de séries tiennent les Turcs en haleine: les formats inspirés des telenovelas sud-américaines, qui ont connu un fort succès en Turquie; des séries médicales et policières; mais aussi des fresques familiales comme celle diffusée le jeudi soir, « The Magnificent Century« . Dénominateur commun? Les « séquences émotion », qui tiennent en haleine les téléspectateurs sur 80 à 120 épisodes de 90 minutes. « Ca n’a aucun sens de faire des saisons de 8 à 10 épisodes, les gens vont les oublier », affirme Can Okan. Rea Apostolides ajoute que « le contenu universel, autour de fortes valeurs de féminisme et de famille, permet une forte résonance des séries turques bien au-delà des Balkans ».
Les Turcs, friands des ciseaux
Néanmoins, les formats turcs ne se prêtent pas forcément à tous les pays. Et Fredrik Al Malmborg, qui a distribué « The End« , autour d’une femme qui a une vie parfaite avec un mari et son fils. Mais l’avion qui est censé le ramener d’un voyage d’affaires depuis l’Allemagne s’écrase, et elle le croit mort. Avant de découvrir qu’il n’a jamais pris cet avion, mais qu’il a retrouvé une autre femme… Point de départ d’un thriller apparemment plein de confrontations, comme l’a montré la courte bande-annonce pleine de slogans évocateurs. « Nous avons remonté les épisodes de 90 minutes en 2×30 minutes, car le montage devait être plus concis ». Le tout « en accord avec le showrunner ». Un procédé courant, notamment pour écourter les séquences émotions, bien trop longues, même au goût du diffuseur Can Okan! Tout bénéfice pour SVT, dont Stefan Baron explique que « la diversité des programmes est inscrite dans notre charte de diffusion », et dont les épisodes se paient le luxe de talonner les journaux télévisés depuis le début de l’année.
Et puisque le reformatage marche, autant vendre plus de séries comme cela. C’est le cas avec le drama mâtiné d’action « 20 Minutes », également projeté publiquement à Série Series. Pour la Suède, les 25 épisodes de 90 minutes vont être remonté en 13 épisodes de 41 minutes. « Et certains marchés, comme l’Espagne, nous demandent des versions de 70 minutes », précise Can Okan. Le concept? Un maître d’école sensible et sans histoires voit sa vie, construite sur 15 ans, basculer en l’espace de 20 minutes lorsque son épouse est incarcérée et accusée de meurtre. Alors qu’elle clame son innocence, il va tenter de la faire sortir par tous les moyens. Les recettes du succès tiennent également à des personnages masculins qui n’hésitent pas à montrer leur vulnérabilité, leur sensibilité et pleurer si besoin. Rea Apostolides confirme: « C’est très bon pour le public féminin, dans beaucoup de pays de diffusion. Certaines n’hésitent pas à demander le divorce de leurs maris car ils ne sont pas assez comme les héros de ces séries », affirme-t-elle sans rire.
Des pressions? Pas trop…
On rit encore moins avec la censure. Le mot ne sera pas prononcé durant ce panel, même si la modératrice prend soin de ne pas passer le sujet sous silence. Les pressions viennent de décolletés portés par les héroïnes, ce qui suscite des menaces de groupes islamistes envers les diffuseurs, « alors que certains autres pays nous reprochent d’être trop prudes », affirme Can Okan. Mais l’interventionnisme du comité de diffusion contrôlé par le gouvernement turc? « Les pressions viennent moins du comité que des producteurs, qui souhaitent plaire aux diffuseurs », selon Can Okan. Circulez, y a rien à voir.
Qui dit « usine à séries » dit production en flux tendu. Et les téléfilms de 90 minutes, ou les soaps prennent souvent en considération l’avis des téléspectateurs. Les avis sur les épisodes sont souvent incorporés pour la semaine suivante, et certains programmes arrivent à tirer leur épingle du jeu grâce au streaming sur YouTube. La rapidité d’écriture est soulignée, et les longues saisons mettent souvent à mal les équipes de production. Mais hors de question de réduire le nombre d’épisodes commandés, ou la durée des épisodes à 45 minutes: « Les acteurs ne souhaitent pas voir leur salaire diminué de moitié », précise Can Okan. Une discipline qui laisse béat le distributeur suédois, Fredrik Al Malmborg: « J’ai du mal à voir comment ils y arrivent ».
Bonus: ces deux excellents articles de Ladyteruki devraient vous permettre d’approfondir l’exploration de la très prolifique production turque.