Rétro Pixar, J-16 : Toy Story
A l’occasion de la sortie du Monde de Dory le 22 juin, Smallthings.fr est retombé en enfance et vous offre une rétro intégrale de tout ce que Pixar nous a proposé depuis maintenant 21 ans et la sortie du premier volet de Toy Story, en ordre chronologique de sortie au cinéma. C’est d’ailleurs celui-ci qui ouvre le bal aujourd’hui.
Toy Story, c’est, comme son nom, l’indique, une histoire de jouets, et exclusivement d’eux, puisque seul Andy, leur maître (et son evil alter ego Sid), parmi les humains, aura un visage, contrairement à tous les adultes croisés ou évoqués. Cette histoire conte les aventures de Woody, un cow-boy beau gosse qui se vante d’être le jouet préféré d’Andy, et de sa fidèle troupe de jouets parmi lesquels Zig-Zag le chien à ressort, Mr Patate le caractériel, Rex le dino attardé, bref, une bande de joyeux drilles qui prend un sacré coup de vieux quand Buzz l’Eclair, un ranger intergalactique qui prend un peu trop son rôle à coeur, débarque et vole la place d’ami public numéro 1 dans le coeur d’Andy. Woody, un peu narcissique, provoque alors une série d’événements dont le grotesque n’a d’égal que la rivalité entretenue avec Buzz…
Il fut évoqué, après découverte du film, un parallèle avec Don Quichotte, Buzz jouant le personnage éponyme, et Woody en Sancho Panza. Le parallèle est vraiment frappant : Buzz l’éclair, jouet qui n’en a pas conscience et qui souhaite combattre un ennemi qui est lui aussi un jouet (Zorg), tel Don Quichotte attaquant des moulins inoffensifs, avec un Sancho Panza qui tente de garder un peu les pieds sur terre dans cette folie, dont l’incarnation est ici un Woody qui s’échine à garder la situation en ordre mais ne peut empêcher la collision des mondes fictif et réel. Dans les deux cas, un burlesque total et assumé, une réflexion par l’absurde sur sa condition (comment réfléchir sur son condition alors qu’on est un jouet qui en théorie ne devrait pas pouvoir parler ?) et un statut de culte dans sa catégorie. John Lasseter, le réalisateur, choisit quant à lui de traiter toute son histoire à une échelle infra mais aussi méta-cinématographique : et si les jouets, habituels produits de consommation, pouvaient réfléchir sur leur condition, avoir leurs propres aventures et agir par leurs propres moyens, comme une manière de refuser l’aliénation à un statut ? Si cela pourrait passer pour l’idée ultime afin de vendre des produits dérivés en toute impunité (parce qu’au fond, leur souffle de vie les rend inestimables), John Lasseter fait encore mieux en écartant toute humanité (au sens où les humains sont presque un danger, n’est-ce pas Sid ?) pour insuffler à ses créatures un humanisme latent qui, et cela n’aura de cesse de s’accentuer dans les deux films suivants, tendent à créer leur propre mythologie, mais aussi leur propre anthologie (ce dont le titre, Toy Story, est là pour nous rappeler). Toy Story dépasse ainsi sa condition et devient presque une critique de la société de consommation par elle-même, celle qui dès qu’elle voit une petite avancée jette ce qui a permis d’arriver à cette avancée (ce que dit la rivalité Buzz/Woody) et en devient carrément hystérique (avec Sid l’excité).
Toy Story a cette espèce de « puissance inutile » (histoire de déformer Barthes), une idée de métalangage consistant, via ces adorables personnages, à mettre à distance les barrières distinctives et jouir pleinement d’une candeur et d’une naïveté réjouissantes. Sauf que celles-ci ont en plus la fraîcheur et l’intensité d’un premier-né, en tant que c’est le premier long-métrage des studios Pixar, et le début d’une aventure cinématographique qui, selon une théorie un peu tirée par les cheveux mais presque crédible tant elle est folle (allez voir la vidéo de LinkstheSun qui y est consacrée), serait calculée de bout en bout. Toy Story est, par son histoire (le film a été nommé à l’Oscar du meilleur scénario, extraordinaire pour un film d’animation) mais aussi sa révolution numérique et ses désormais fameuses images de synthèse (qui valurent un Oscar spécial à John Lasseter), autant un bouleversement qu’une matrice, le point de départ d’une nouvelle ère dans le cinéma d’animation qui jusque-là avait surtout beaucoup vu de Disney (co-producteur du film) et ses dessins animés. Une ère qui n’aura de cesse de vanter cette même naïveté idéaliste au travers de quêtes didactiques de personnages atypiques (de l’anthropomorphisme dans un univers effrayant et mignon du Monde de Nemo et Monstres et Cie à l’existentialisme de Vice-Versa et Là-Haut), sorte de manière de fomenter sa propre histoire à ses propres échelles, délaissant le point de vue rébarbatif de grandes figures historiques pour donner la voix à ces marges, des petits s’adressant aux petits mais interpellant également les plus grands, ces habituels dominés maintenant en pleine lumière, (les fourmis de 1001 pattes, les océans de Nemo, les robots et le plancton de Wall-E face aux humains aliénés) toutes aussi sincères et honnêtes sur l’immensité et la dangerosité du monde qui les entoure.
En attendant, Toy Story, à son niveau, utilise toutes ses qualités pour humblement mêler son histoire avec l’Histoire du cinéma, offrant au gré des tribulations des jouets quelques petites références cinématographiques sympathiques à ses glorieux prédécesseurs pour rythmer sa petite esquisse. Jouant avec tous les genres, le comique comme le plus terrifiant (notamment l’apparition des jouets de Sid et le numéro des jouets pour le prendre à son propre jeu, n’oublions pas que le film s’adresse à des enfants en priorité), le film case ses références internes (la fameuse lampe Luxo, emblème de Pixar, qui est même ironiquement responsable de la chute de Buzz ; la chanson Hakuna Matata dans la voiture d’Andy, parce qu’il fallait bien que Disney rappelle qu’il était de la partie) comme externes (notamment The Thing, au moment où sort dans les jouets de Sid une tête de poupée montée sur des pattes d’araignée) au service miniaturisant de sa propre fresque de jouets, afin de contenter, par son odyssée, ceux qui, de tous âges, découvraient toutes ces nouvelles technologies au service du film ; et le public plus ciblé, les enfants, attirés presque « naturellement » par cette histoire de jouets qui de toute façon leur plairait, références comprises ou pas. Ce qui est intéressant, dès lors, est la capacité de souvenir qu’offre cette tranche de l’usine à rêves américaine, quand on le revoit des années après l’avoir découvert. Il faut dire que la firme de Steve Jobs avait mis le paquet pour son premier-né, avec plus de trente millions de dollars de budget, une informatique avancée, et une figure de proue en la personne de Tom Hanks pour doubler Woody, le tout en agrémentant le film d’une chanson sur l’amitié, sorte de message estampillé Disney. Clairement, la firme a réussi son coup, a assuré sa survie, s’est achetée une réputation (au point qu’on compare souvent Disney et Pixar alors que Disney co-produit, ne comptant pas se séparer d’une manne financière qui à l’époque lui a coûté si peu) ; alors oui, Toy Story n’échappera pas à l’adjectif usinier, mais son principal tour de force est d’avoir dépassé cette qualification, chose que ses successeurs n’ont pas forcément réussi, que ses prédécesseurs à Disney (en particulier toutes les suites aux dits « Classiques d’animation Disney ») non plus, et s’est payé le luxe d’obtenir deux suites d’aussi bonne facture.
Toy Story est donc bien une réussite en plus d’être une révolution, et un plaisir à redécouvrir. On parlera de ses suites plus tard dans cette rétrospective, à commencer par Toy Story 2 dans deux jours. Pour l’heure, vous retrouverez la critique de 1001 Pattes par Adrien dès demain !