Rec : Histoires inédites – la BD !
Un peu tombée dans les méandres des nanards horrifiques comme il y en a à la pelle (bien que sauvée par un dernier opus inhabituel mais satisfaisant), la saga REC ne pouvait faire ses adieux sans un dernier saut périlleux, cette fois-ci sous forme de bande-dessinée. Ce dernier essai est-il le bon, ou fait-il tomber une dernière fois son modèle dans le vide ? Décryptage.
Emmenée par Jaume Balaguero et Paco Plaza, initiateurs de la saga, et distribuée en France par les éditions Glénat, REC : Histoires inédites, comme son nom l’indique, est composée de petites histoires dont le but consiste à clarifier les évènements survenus dans, au moins, les premiers opus de la saga, en apportant notamment des réponses aux questions légitimes que pouvaient se poser les habitués de la série. Tout cela enveloppé avec brio, grâce à une couverture efficace représentant une image horrifique à souhait de notre chère Tristana Medeiros. C’est également cette dernière qui nous guidera au fil des histoires, proposant un fan service très cynique, mais des plus respectables et appréciés. Des coupures de journaux entachés de sang, souvent accompagnés de dessins d’une page très sympathiques, enfin, permettent au spectateur qui a un peu oublié le film de se remettre dans le bain avant chaque histoire, de manière simple mais efficace. La première impression, Dieu sait qu’elle importante dans la culture, est donc très positive, mais il est temps de voir ce qu’il en est du contenu de la BD en elle-même, de ces cinq histoires emmenées par cinq auteurs différents.
Enfermés, par Andrea Jan : cette première histoire prend le parti de nous raconter ce qu’il s’est passé à la fin du second REC, beaucoup de fans ayant déploré, comme nous le rappelle habilement Medeiros, le fait que le sort de nos trois jeunes héros pris au piège dans l’immeuble maudit, T.C, M.C et O.P, ne soit jamais dévoilé. Ici, la première chose qui dérange un peu est l’aspect manga du dessin. Si une adaptation de REC en manga est tout-à-fait concevable, celle qu’on nous propose ici n’est en effet pas franchement reluisante : couleurs un peu flashy, têtes niaises des personnages et manque de recherche du détail sont les points faibles du dessin de Jan, malgré d‘intéressants effets de style, notamment en ce qui concerne l’aspect un peu arrondi et cauchemardesque des couloirs de l’immeuble. Plus que la forme, le fond, lui, laisse un peu à désirer, on nous propose ici un amour artificiel à l’eau de rose entre entre M.C et O.P, qui iront jusqu’à reproduire le pire cliché du slasher contemporain en ayant allègrement une relation sexuelle malgré le danger qui rôde. Un peu gros et étonnant dans l’adaptation d’une saga qui a justement pris soin d’éviter brillamment les clichés, quelle que soit l’opus et sa qualité objective. Heureusement, la fin, cynique et désabusée, qui rappelle franchement celle déjà très surprenante de La Nuit des Morts Vivants, rattrape le tout et l’empêche de sombrer trop bas dans le tout Hollywood. On attend quand même autre chose de REC.
Tristana, par Feliciano G. Zecchin : cette seconde histoire nous propose la réponse à la question clé de la saga, à savoir d’où provient Tristana Medeiros, première infectée et possédée,à l’origine des tragiques évènements survenus dans notre appartement de Barcelone. On nous propose ici quelque chose de bien meilleure qualité, et de beaucoup plus intéressant, autant sur le fond que sur la forme. Sur la forme, un somptueux noir-et-blanc accompagne un dessin franchement inspiré du meilleur de l’esthétique gothique, et par un jeu sur les ombres, sur les formes, les personnages et leurs transformations maitrisé de bout en bout. Accompagne ces belles idées une gestion du cadrage qui rappelle les plus grands films fantastiques. Sur le fond, on l’a dit, la réponse apportée à la question du mythe de la jeune Medeiros et proprement surprenante, aussi choquante que ce que nous avait proposé le premier film. Difficile d’en parler sans en déflorer les tenants et aboutissants, on se contentera de relever le fait que le caractère iconoclaste en ce qui concerne la chrétienté espagnole, déjà bien développé dans les films, est ici poussé à son paroxysme, et le choix d’offrir une BD quasi-muette renforce ce côté choquant. Une très belle réussite, donc, sur un sujet à risque.
Zoombi ! , par Alvaro Ruilova : ce troisième histoire est cette-fois ci totalement inédite, et ne propose presque pas de lien avec les films, à peine quelques références très subtiles. Pourtant elle est loin de détonner de l’ensemble, proposant également une invasion d’infectés, portée par un zombie humain, et qui se propage chez les animaux d’un zoo, qu’il s’agisse d’un tigre, d’une tortue ou d’un singe, qui, comme on nous le fait comprendre dans le texte introductif, est mort et a été secrètement cryogénisé pour des recherches scientifiques. Le dessin, ici, sous des airs réalistes au début, réserve bien des surprises dans sa gestion du détail souvent surréaliste par la suite, souvent dans les scènes d’horreur. Ce très bon choix permet notamment des scènes très dérangeantes, cela se voit surtout lors de l’attaque des gardiens du zoo par tortues et oiseaux zombies. Pas de boyaux à l’air mais seulement quelques mutilations faciales, à l’oeil ou au front, permet à l’auteur de faire frissonner le spectateur de dégoût. Si le scénario est bien sûr simple et sans grande recherche d’explication de la mythologie, il développe assez bien cette dernière en proposant une histoire donc originale, qui pourrait très bien être adaptée en film.
L’expérience, par Salvador Sanz : cette quatrième histoire permet d’avoir en image les évènements qui précèdent le premier REC, propose en effet les évènements qui ont conduit Tristana Medeiros à rester en vie malgré la volonté décrite dans l’enregistrement du père Albelda retrouvé dans l’immeuble de mettre fin à la vie de la première infectée. Ici nous est donc démontrée l’intelligence de Medeiros, qui pour échapper à la mort ira jusqu’à la simuler, pour mieux piéger et contaminer le prêtre. L’infectée originelle nous est également présentée comme nostalgique et donc capable d’éprouver des sentiments, et tous ces traits de caractères inédits font l’originalité rafraîchissante de ce récit, sublimé encore une fois par un noir-et-blanc et un jeu sur les ombres parfaitement habile. Si le manque de clarté dans l’identité des personnages en font une histoire peu accessible au néophytes, la qualité est donc une fois de plus au rendez-vous et la mythologie développée mais respectée avec soin.
Inconnu, par Joan Marin : cette cinquième et dernière histoire fait office de préquelle au très mauvais REC 3, et ressemble exactement à ce que ce dernier aurait dù être. Ici nous est contée l’histoire de Max, le berger allemand de REC 1 accusé par certains d’être à l’origine de l’infection. On nous y montre que, pour prévenir la contamination, les scientifiques chargés de soigner le chien l’ont en fait découpé en morceaux, croyant éviter tout risque de propagation du virus. Seulement, celui-ci a réussi à survivre chez un autre hôte, qui se rend à un certain mariage… Plus un cliffanger à REC 3 qu’une véritable préquelle, cette histoire en noir-et-blanc déjà plus primaire et moins recherché que les autres a le mérite d’être bien horrifique, et de nous présenter l’inédite sensation de folie que ressent un infecté, ce qui est une première dans la série. Encore une fois un beau développement de la mythologie, donc, qui consiste cette fois-ci à montrer ce que les autres créations n’avaient jamais montré.
Que dire de cette BD en conclusion? Et bien, qu’elle est assez surprenante et frustrante sans le vouloir. En effet, si on ne peut dénier ni sa qualité en tant qu’oeuvre de prolongement de la mythologie REC, ni en tant qu’oeuvre de BD en elle-même, on est en droit de se poser la question de savoir pourquoi diable ces bonnes idées n’ont pas été utilisées dans les suites des films, d’autant plus que Balaguero et Plaza reconnaissent eux-mêmes dans le texte introductif qu’elles ont failli finir dans un carton, sous prétexte qu’elles étaient trop extrèmes, folles ou risquées pour le cinéma, ce qui fait franchement très « excuse bidon » puisque REC, justement, et cela se voit du premier au dernier opus, n’a jamais peur de choquer ou de surprendre. Pourquoi avoir choisi la facilité, serait-on en droit de demander à Balaguero et Plaza, alors que tant de bonnes idées étaient à la porte? Bien sûr, il est important de dire ici que cela n’enlève en rien la qualité de la BD en elle-même, très enthousiasmante surprise.
A.M.D