Malaterra : identité non remarquable
Depuis l’échec de Gracepoint, l’idée de remaker Broadchurch semble être devenu une arlésienne de la télévision. Autant dire que Malaterra marchait sur des oeufs. Retour sur cette version française qui a tout de même réuni 4,7M de téléspectateurs pour sa première.
Est-il besoin désormais de quoi il est question dans Broadchurch et ses variantes ? Pour les deux du fond qui suivent pas, piqûre de rappel. Nous sommes donc ici en Corse, à Malaterra. Un jeune garçon, Nathan Viviani, est visiblement assassiné et son corps retrouvé sur la plage. Dès lors, le nouveau venu à la tête des opérations, le capitaine Thomas Rotman, un grincheux avec un passé trouble, aidé de l’adjudant-chef Karine Marchetti, veuve joyeuse mais peu encline à travailler avec un homme aux méthodes douteuses et qui plus est parachuté à Malaterra, doivent découvrir le vrai du faux, et faire tomber quelques masques dans cette communauté en apparence si paisible
Et c’est… mieux que Gracepoint. Le constat est là : après ces deux épisodes, on ne peut que se réjouir d’une certaine qualité esthétique et « atmosphérique », en se disant que la série ne va pas (entièrement) nous prendre pour des cons en refaisant le même coup que l’adaptation américaine. Malaterra dégage une vraie volonté de renouveau dans la continuité, celle d’adapter Broadchurch à la française, mais aussi de s’adapter aux conditions dans laquelle elle débarque. Mais une comparaison avec son homologue britannique ne se pose clairement pas, tant les fils directeurs sont les mêmes, des scènes sont copiées/collées, des dialogues aussi, et les personnages ont peu ou prou les mêmes contours. Rien, donc, de bien nouveau. Tout juste Jean-Xavier de Lestrade et son équipe accentuent-ils encore plus sur l’un des principaux défauts (surtout dans la saison 1) de Broadchurch, à savoir la musique mélo en permanence : on a très, trop, souvent la même suite de notes qui revient pour artificiellement créer l’atmosphère d’angoisse et de tristesse mélangées. Mais au moins les ralentis inutiles n’ont-ils pas été reconduits, liftant un peu l’authenticité de la série.
Après, ne tirons pas sur l’ambulance : nous n’avons vu que deux épisodes, et il est clair que Malaterra tend à vouloir démarrer prudemment pour ensuite mieux voler de ses propres ailes. Il était assez clair qu’on allait assister à des ressemblances un peu gênantes ; mais le tout est que cela ne se voit pas sur toute la série, sinon les 10 épisodes seront diablement longs. La différence de confiance, avec Gracepoint, qu’on peut lui attribuer tient d’abord au fait que cette fois, Chris Chibnall et son équipe ne sont absolument pas impliqués dans le projet. Le scénariste de la série avait embarqué jusqu’à David Tennant dans le rôle principal aux Etats-Unis, et offert un dénouement un peu différent (ce qui est la moindre des choses quand on veut que sa série ait un certain intérêt) en guise de seul contraste avec la série britannique. Ici, Lestrade veut avoir, ainsi qu’il l’avait déclaré en interview, une latitude bien plus complète et une liberté totale pour lui et pour ses acteurs, s’il doit remaker Broadchurch : ainsi certains interprètes n’ont pas vu la série originale (dont Simon Abkarian, l’acteur principal), afin qu’ils ne s’interdisent rien. Ensuite, la série a été adoubée par David Tennant lui-même, qui a aimé le premier épisode et pense que la série saura faire quelque chose de bien. Cela peut paraître anodin dit comme ca, mais le fait que ce soit l’acteur principal et de Broadchurch et de Gracepoint infléchit plutôt positivement notre jugement.
Enfin, Malaterra a quand même quelques différences réellement marquantes et tranchées avec Broadchurch, là où Gracepoint n’en avait pas : c’est le cas notamment pour Karine Marchetti, l’autre personnage principal, qui n’a pas de mari, alors que SPOILER son mari était le coupable dans Broadchurch SPOILER ; on a aussi Timothée, le pendant de Nigel, l’employé du père Viviani, qui vit avec la famille, ce qui modifie quelque peu le rapport entre les deux hommes et renforce le côté intimiste. Et en parlant de cela, il ne faut pas oublier de noter que même si Lestrade a déclaré vouloir la série « universelle », celle-ci se passe en Corse, avec toute l’image de communauté, de relationnel, de générationnel, de on-dits, de non-dits, que cela représente. Cet aspect-là aura forcément son rôle à jouer ; et le soleil de l’Île de Beauté ne sera pas pour éclaircir les pistes, face à la grisaille londonienne, créant ainsi un côté stylistique nouveau. Si Malaterra part avec un handicap, elle présente toutefois quelques dispositions qui pourraient permettre de les dépasser, voire de les sublimer, depuis sa mise en scène sublime jusqu’à ses idées scénaristiques intéressantes…
Le gros ennui de ce début de saison est que dès lors, son identité ne se détache pas forcément : on l’a dit, des plans et des dialogues sont repris à l’identique (et la robe de la mère avec), et des détails gênants de Broadchurch (notamment le « médium » absolument bidon témoignant au pire d’un manque d’inspiration au moment de l’écriture, au mieux d’une certaine maladresse ; ou encore l’officier de liaison, tout aussi inutile) ne disparaissent pas, accentuant la frustration d’assister à un copier/coller manifeste. Même les acteurs ressemblent à leurs modèles originaux, et pas seulement au niveau de la performance actancielle ! Constance Dollé a des airs d’Olivia Colman, Louise Monot ressemble à Jodie Whittaker, et Simon Abkarian a des faux airs de David Tennant… Le bon côté, c’est que malgré le manque de contraste, les trois cités sont à créditer d’une bonne prestation, même si on voudrait quand même qu’Abkarian décoince un peu son visage pour montrer une plus large palette. Le point noir reste Nicolas Duvauchelle, absolument pas crédible en père de famille éploré : manquant de carrure, toutes les fois où il pleure et délivre ses dialogues pathétiques sont autant d’occasions de s’ouvrir les veines. Mais à sa décharge, Andrew Buchan ne fait guère mieux, et Michael Pena était bien pire… Ajoutons enfin que Michael Grégorio est plus appréciable que quand il chante, sans être véritablement transcendant dans son rôle, et que Béatrice Dalle ne fait que jouer les utilités.
Pour ceux qui n’ont pas vu Broadchurch, regardez. Et passez tout de suite à Malaterra, afin d’avoir un certain plan de comparaison. On ne peut que souhaiter que la série ne suive pas le même chemin que Gracepoint…