Land of mine (Les Oubliés) : Le nerf de la guerre
Nommé pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, Land of Mine (Les oubliés) a beau ne pas l’avoir emporté, il a déjà été couronné de succès aux derniers European Film Awards et au Robert Festival 2016. Pourtant, ce drame historique Danois grave et concis n’a rien d’euphorisant et pourrait bien plomber votre journée. Car il faut dire qu’avec un sujet tout sauf léger ; le sort funeste de garçons Allemands utilisés comme chair à canon au sortir de la guerre, Land of Mine donne plus dans l’hécatombe que du côté mélodramatique des Choristes. Un film poignant qui dévoile les retombées morales de la guerre et pose la question de ses frontières. Quand s’arrêter ?
Danemark, 1945 : De jeunes soldats Allemands faits prisonniers, sont envoyés sur les côtes du pays pour en déminer les plages. Le sergent Rasmussen (L’excellent Roland Møller), empli de rancœur est chargé de superviser l’un des groupes. Mais le visage de l’ennemi tant détesté se révèle différent de celui auquel il s’attend.
Ces dernières années, le film historique a connu un certain tournant. Les grandes fresques épiques retraçant la « grande Histoire », maintes fois rebattue et qui pourtant auront donné au genre quelques chef-d’œuvres se font plus rares au profit d’une focalisation sur l’anecdotique, l’angle méconnu ou le détail occulté. Ainsi a t-on vu fleurir dans cette veine Joyeux Noël (2005) qui portait un regard critique encore inédit sur les conflits meurtriers des tranchées, à l’opposé du roman national d’un massacre « nécessaire », ou dernièrement la grosse production Fury (2014) qui relativise quelques peu le statut du G.I. valeureux, que les Américains ont toujours présenté comme le héros du débarquement, et Colonia (2015) qui fait la lumière sur les camps meurtriers de la dictature de Pinochet. Land of mine se glisse parfaitement dans cette mouvance, qui s’appuie sur la mention « tiré de faits réels » pour gager de son authenticité. Le postulat est dans le titre français : faire connaître les oubliés, les laissés pour compte de l’Histoire et les raconter.
Le film s’ouvre sur la respiration profonde du sergent Carl Rasmussen. Il ne faut pas cinq secondes pour voir apparaître en gros plan le premier visage ensanglanté, celui d’un jeune Allemand passé à tabac par le gradé. Land of mine affiche tout de suite sa tonalité brutale et résignée, celle d’une violence frontale ancrée aux mœurs d’après-guerre. La rancune haineuse des Danois envers les soldats Allemands, le système de répression mécanique qui se mets en place dans le pays pour exploiter et humilier les soldats faits prisonniers, la germanophobie prend racines. Le cadre et l’histoire se posent d’eux-même et l’on parvient rapidement à en cerner les enjeux : dominer pour les uns, tenter de survivre pour autres. L’histoire pourrait s’arrêter là. Mais Land of Mine a plus d’un niveau de lecture et propose dans ce tableau hyperréaliste d’une réalité omise par les livres d’Histoire, une vision universelle de la guerre qui dépasse largement les limites de son contexte. Car s’il est facile de le cataloguer « film Danois indé larmoyant et pragmatique sur la guerre 39-45 », derrière son aspect abrupte et son esthétique documentaire, le film de Martin Zandvliet ne se limite pas à la chronique des horreurs de la seconde guerre mondiale, mais expose le cheminement de la haine, démontrant comme les archives de la purge que la guerre est une affaire complexe, un conditionnement psychologique profond qui ne disparaît pas aux traités de paix et à l’arrêt des conflits armés. Ainsi ces jeunes démineurs sacrifiés pour la cause ne sont pas que les témoins de la violence d’après-guerre, mais le symbole de sa valeur dérisoire si l’on compare ses conséquences à son apport humain. Une atmosphère de désolation règne sur ces plages, cette lande désertique jonchée de mines baignée de lumière blanche et neutre, où les journées sont rythmées par les morts. Zandvliet filme en gros plan, les yeux, les expression où se lisent mille émotions rarement dites mais toujours brièvement suggérées. Un drame au sens propre du terme donc, qui met en exergue toute la tragédie et la cruauté de la guerre qui invite au clivage, à la peur et à la colère.
Le film se clôt néanmoins sur une note d’espoir (et on respire !) qui permet d’espérer que l’humanité finisse par triompher de ce cycle fataliste. Un incontournable pour les amateurs du genre, et les passionnés de réalisme romancé comme il faut, Land of mine se démarque par sa réalisation juste, sensible et intimiste focalisée sur les frustrations très humaines et les traces que laisse la guerre dans les âmes.