L’île aux mille couleurs – Tamara McKinley
L’île aux mille couleurs, paru en librairie le 20 mai dernier aux éditions de l’Archipel, est une fresque romanesque s’étendant entre l’Australie, où est née l’auteur, et l’Angleterre où elle a émigré enfant, tout comme son héroïne. Cependant, le parallèle s’arrête là puisque la vie de Loulou Pearson se déroule au lendemain de la Première guerre mondiale. Jeune et talentueuse sculptrice élevée par sa grand-tante, une lady anglaise, elle prépare sa première exposition avec son mécène qui lui promet déjà un bel avenir…
Mais une lettre lui arrive subrepticement de Tasmanie, son île natale, lui annonçant qu’elle est l’heureuse propriétaire d’un cheval de course. Intriguée, elle décide de retourner en Tasmanie pour en avoir le cœur net, poussée par la nostalgie de son enfance, malgré sa grand-tante qui pousse les hauts cris et menace de la déshériter. Accompagnée par sa meilleure amie, elle s’embarque pour un voyage épique, qui fera resurgir des secrets de famille inavoués, déchaînera les esprits, mais lui révélera aussi ses origines sur le fond d’une idylle naissante…
C’est un beau programme ; L’île aux mille couleurs promet un rythme entraînant, truffé de rebondissements. C’est le cas ; les personnages sont plaisants, chacun dans leur rôle : la meilleure amie frivole et caractérielle au bon fond, la lady anglaise attachée à l’étiquette mais bourrée de vieux démons, le jeune premier blessé par la guerre et par la vie qui n’a plus d’espoir, la harpie folle prête à tout pour arriver à ses fins, le grand seigneur riche et bourru… Les descriptions du milieu hippique sont pittoresques, tout autant que celles du vieux manoir anglais ou de la vie artistique de Londres.
Alors, qu’est-ce qui cloche ? Le rythme lui-même : à force d’accumuler les péripéties, les révélations et les coups de théâtre, L’île aux mille couleurs finit par blaser son lecteur qui devine d’avance le happy end final après le grand péril. Au fond, l’intrigue est cousue de fil blanc et parfois guère crédible dans ses rebondissements, tout comme le style de la narration qui se complaît un peu dans l’emphase dramatique et fait passer les héroïnes du rire aux larmes en l’espace d’un instant. Des éléments présentés comme essentiels (le cheval, la sculpture, la Tasmanie) passent finalement à l’arrière-plan, bousculés par les scandales et l’escalade de coups de théâtre et de souvenirs. Il est également dommage que L’île aux mille couleurs n’évoque jamais les Aborigènes, pourtant présents en Tasmanie comme partout ailleurs en Australie.
L’île aux mille couleurs n’en reste pas moins un livre sympathique qui fait agréablement passer le temps et donne un aperçu de ce que purent être à la fois la haute société anglaise expatriée et le quotidien des immigrés modestes en Australie.
« Parvenue à l’extrémité de la plage, Loulou s’immobilisa. Le vent qui soufflait dans son dos lui jetait sa chevelure au visage et la glaçait.
– J’ignore si j’en suis capable, dit-elle en considérant la route étroite qui menait à l’intérieur des terres.
– Dans ce cas, décréta Dolly, renonce. À quoi bon aller au-devant des chagrins ?
Elle avait raison, mais Loulou savait déjà qu’elle ne suivrait pas son conseil. Ses souvenirs s’imposaient à elle avec trop d’intensité. Le passé l’attirait irrésistiblement.
– Ce chagrin s’évanouira si je parviens à apprivoiser les fantômes.
– Alors, en route, fit Dolly en lui prenant la main. Tu n’es plus une enfant. Tu n’as pas à redouter les ombres. »