Juste la Fin du Monde : Esprit de famille
Sixième long-métrage de Xavier Dolan et Grand Prix au dernier Festival de Cannes, Juste la Fin du Monde est un huis clos familial dans lequel la futilité des mots n’a d’égal que l’amour mutuel sous-jacent de ces êtres transis.
Louis, un jeune écrivain talentueux, retrouve sa famille après une dizaine d’années d’absence, pour leur annoncer sa mort prochaine.
Après Tom à la Ferme, le réalisateur canadien réadapte pour le grand écran une pièce de théâtre, ici, celle du dramaturge français Jean-Luc Lagarce. Une œuvre puissante sur les relations familiales tumultueuses qui nous sont toutes familières et ce, à des degrés variables. Le récit nous présente un foyer muré dans le silence et les non-dits qui implose en son cœur, mais avant tout, le récit nous présente un foyer qui s’aime. Et c’est bien ce fait qui nous tourmentera tout du long, l’amour qu’ils se portent l’un pour l’autre.
Basé sur des séquences dialoguées, filmées dans une succession de champs / contrechamps, Juste la Fin du Monde nous embarque sur des sentiers émotionnels forts qui nous touchent et nous attristent. Si au premier abord, ce film parait mineur dans la filmographie du cinéaste, elle se révèle être, au fur et à mesure, hautement marquante. En effet, ses cinq films précédents lui sont liés au travers des thèmes de la famille et de l’incommunicabilité.
Et les détracteurs qui qualifient son cinéma d’hystérique y trouveront probablement leur bonheur tant cette adaptation est épurée et dans la retenue – hormis un dernier acte criant de souffrance qui nous abandonne, impuissants, sur nos sièges. Une frustration qui, si elle est totalement justifiée, nous fait mal et nous lie à ces personnages souffrants longtemps encore après le visionnage.
Cette sobriété est mise en image grâce à une réalisation soignée où le gros plan est d’or, à l’instar de Mommy, le format carré en moins. Dolan capture chaque expression du visage, aussi minime soit-elle, qui nous en dit plus que de longs discours grandiloquents. Paradoxalement, ces personnages ont besoin de s’exprimer, de s’écouter mais ne s’en laissent jamais le temps et le temps, c’est tout ce qui leur manque – le silence pèse, les paroles sont mutilées, les syllabes hachées – le langage leur fait défaut.
Fidèle à lui-même, Xavier Dolan use avec bon escient des procédés mis à sa disposition tel le flou qui parsème son œuvre, possible allégorie de la mort qui plane au-dessus de la tête de notre protagoniste. Mais également, le flou qui le ramène à sa famille, qui le plonge dans ses souvenirs, qui le tire de ce passé heureux vers un cruel retour à la réalité. Le bonheur, c’était avant.
Et qui dit bonheur, chez le québécois, dit musique. Les aficionados le savent bien, il nous offre toujours des intermèdes musicaux qui viennent nous redonner de l’espoir dans cette atmosphère suffocante – et apparemment, il a toujours un goût prononcé pour faire danser ses acteurs au beau milieu de la cuisine. Et de ce côté-là, nous reconnaissons son talent avéré pour la direction d’acteurs. Pour ce film, il s’est entouré d’un casting prestigieux exclusivement français où chacun d’entre eux nous affecte de par sa présence à l’écran. Chacun d’entre eux apporte son jeu à l’édifice et l’alchimie est palpable.
Saluons en premier lieu, les performances exceptionnelles de Gaspard Ulliel et de Marion Cotillard qui nous bouleversent par de simples jeux de regard que Dolan a su saisir au ralenti. Vincent Cassel, Nathalie Baye et Léa Seydoux ne sont pas en reste et viennent compléter ce tableau mémorable. Juste la Fin du Monde est un film qui s’inscrit dans la continuité du chemin tracé par son metteur en scène, qui se réinvente et s’épanouit de film en film. Chapeau bas, l’artiste ! En salles depuis le 21 septembre.