Heroes Reborn : Demain meurt aussi
Heroes Reborn s’est achevé hier soir aux Etats-Unis. Un achèvement définitif, et qui suit les pas de son aînée, puisque la série finit sur un cliffhanger des plus frustrants, et a été annulée il y a quelques jours par NBC. Retour sur les trois ultimes épisodes.
ATTENTION SPOILER SUR LES DERNIERS ÉPISODES DE HEROES REBORN. LECTURE A VOS RISQUES ET PÉRILS.
On était resté sur un sentiment mitigé à la fin des dix premiers épisodes : si la série était agréable à regarder, elle souffrait de ses handicaps scénaristiques, ses rebondissements convenus, et son incapacité à se transcender pour à la fois s’approprier et se couper de son héritage. Dans ces trois derniers épisodes, expressément mis à part, comme un film de deux heures en trois parties, c’est le grand dénouement : l’éruption solaire arrive sur Terre, prête à raser la planète. Erica Kravid est prête à mettre son plan à exécution, en emmenant des gens triés sur le volet dans la ville du futur, Gateway, et compte prendre le contrôle des capacités spatio-temporelles de Tommy pour cela. De l’autre côté, Malina cherche à arriver à Odessa pour sauver le monde avec son frère jumeau…
A force de tirer sur la corde, à force de toujours faire tourner la machine à vide, à force d’absolument vouloir faire un Heroes 2.0 à peine caché par les nouveaux personnages, Heroes Reborn a fini par avoir ce qu’elle voulait : des audiences désastreuses, une qualité moyenne, et au bout du compte, une annulation méritée. Cette série est un paradoxe à elle seule : pas foncièrement mauvaise, elle multiplie juste tous les écueils possibles et imaginables du tarte à la crème sériel. Autant pour le pilote, cela allait ; pour les 8 épisodes suivants, passe encore, même si cela commence à devenir un petit peu trop voyant. Mais quand on conserve exprès trois épisodes pour promettre un final démentiel à ses spectateurs, on a la décence de proposer quelque chose qui soit véritablement à couper le souffle. Et pourtant, Heroes Reborn n’a rien d’horrible à regarder ! On finit juste par complètement passer outre et regarder ce phénomène daté se débattre pour vivre, tel un poisson hors de son eau. Et tel ce poisson, à un moment, le paradoxe s’essouffle : il n’y a plus rien, à part une ou deux pirouettes scénaristiques et un cliffhanger facile. Quant au spectateur, il a déjà pu non seulement suivre les intrigues cousues de fil blanc, mais en plus déjà se faire sa propre idée de la série elle-même. Conclusion : pour aussi peu de surprises après la hype annoncée cet été, il n’en redemandera pas. C’est triste, pour une série qui a toujours eu du potentiel, mais qui ne l’a jamais ou trop peu exploité. C’est triste aussi pour Tim Kring, qui depuis son entrée dans le monde de la télévision, n’a jamais été que le « type qui a fait Heroes », et si fier de ses bébés qu’il n’imaginait même pas qu’on pourrait le lui enlever. Dommage : Heroes Reborn et son créateur vivent dans la fantasy (et la fantaisie), les producteurs dans le réel et le concret. Leur rencontre crée à la fois de la frustration et de l’incompréhension, et c’est ici ce qui peut définir ce final d’Heroes Reborn.
Résumons. Il y a donc une éruption solaire qui va arriver, ce qui affole complètement les personnages, activant les jeux d’alliance et d’intérêts. Mais cela dépend pour qui : jusqu’au bout, Farah, Carlos, mais aussi Micah Sanders, auront été anecdotiques, pour ne pas dire inutiles, et on les oublie aussi vite qu’ils sont apparus. Leur confrontation avec Matt Parkman n’aura servi qu’à tuer un autre personnage secondaire intéressant, le prêtre avec le pouvoir d’évaporation, et à libérer Micah pour rappeler que lui aussi a resigné pour apparaître. Pensée spéciale à Matt, pourtant tributaire d’une bonne idée en étant devenu méchant, mais qui devient de moins en moins convaincant et finit comme une vieille chaussette dans un fossé… triste, et surtout tout un symbole. Ils sont les incarnations d’une intrigue principale, celle de Tommy et Malina, chronophage et « personnagophage » qui n’a jamais cessé de progresser et de prendre de l’importance, les laissant complètement sur le carreau sans que leur destin ait jamais eu véritablement d’intérêt. De fait, l’intrigue de Tommy et de Malina n’a fait que faire converger les personnages secondaires vers eux : si Heroes première du nom faisait déjà cela en saison 1, elle avait au moins le mérite que ces convergences soient aussi des intrigues secondaires fortes, intéressantes, et surtout qui aient un pan entier de l’histoire sur leurs épaules, de sorte que chaque pan, aussi infime soit-il, soit véritablement une pièce du puzzle qui menait à New York (par exemple Matt Parkman, qui tout du long se débat avec ses pouvoirs, se rebelle, les accepte, s’allie à Bennet, et finit même à l’hôpital quand Sylar lui renvoie ses balles).
Dans Heroes Reborn, tout est fait pour que Tommy et Malina soient vraiment des héros (ce qui limite drastiquement le jeu déjà bien réduit des deux jeunes acteurs), au mépris de personnages pourtant censés être relativement importants. Les axes sont faits de sorte que quoi qu’il arrive, même si c’est le moins subtil possible (la seule connexion du groupe Farah/Carlos/Micah est le fait que Farah prend une balle pour Malina, pour rappeler qu’elle a été avec elle au début de la saison, après quoi ils sont tous trois congédiés par Luke), le gros de l’action sera toujours réservé aux jumeaux, ce qui ne les sert pas forcément tant le poids à porter est lourd pour des personnages estampillés « enfants de Claire Bennet ». Même Erica Kravid, pourtant pas désagréable à voir, semble juste calculée pour contrer Tommy sans jamais être véritablement menaçante, se reposant en permanence sur Phoebe Frady et Harris, si bien que les affrontements en perdent de leur intérêt. Le cas le plus interloquant est d’ailleurs celui de Luke : si on enlève le fait que Zachary Levi joue aussi bien qu’un manche à balai (sa manière de tuer sa femme avec son visage inexpressif est le passage actanciel le plus consternant de la série, et pourtant il y a de la concurrence), Luke est complètement vidé de toute substance, réduit à un bête toutou de Malina, soudainement pris d’une idée de destinée. Son fait d’armes ? Se suicider dans le final : le fait que parce qu’il est pyromane il puisse absorber toute une éruption solaire est lourdingue et surtout complètement invraisemblable, mais aussi complètement inutile, puisqu’une autre éruption arrive et va forcément tuer tout le monde ! Ou comment se tirer une balle dans le pied par l’incohérence totale… Vendu comme la nouvelle star, Zachary Levi/Luke ne l’a jamais été, et a parfois été agaçant au possible.
Au final, d’ailleurs, Heroes Reborn fait preuve de solipsisme patenté, à la fois sur elle-même, et sur sa mythologie. Les Frady, marque presque déposée venant de Dark Matters et donc obligés de revenir, finissent par la jouer Remus et Romulus avec un Quentin (Henry Zebrowski n’a visiblement jamais appris à jouer, ni même à surjouer) qui abat sa soeur, un dénouement plus qu’attendu et donc finalement sans véritable autre intérêt que d’éliminer la seule menace aux pouvoirs des Evos afin de laisser le champ libre aux héros. Et Ren, le Hiro en moins bien, associé à sa Katana Girl (qui est plus revenue à la vie que Nathan dans la série originale, et de manière à chaque fois si ponctuelle qu’on se demande comment a été traité le personnage en amont : d’abord pour un duel prévu depuis l’épisode 2, et donc sans surprise, avec Harris, des combat virtuels pour sauver Hiro puis Tommy…) libère évidemment Tommy du jeu Evernow, chose déjà faite pour June 13th part 1 and 2, mais visiblement les scénaristes n’avaient pas d’autre idée que de recycler l’idée du (des) Japonais(e) de service geek voué à un grand destin. Si encore Ren était aussi fun que Hiro, peut-être qu’on l’aurait apprécié, mais il n’est qu’une pâle copie, et sa marche à suivre est tellement évidente que tout l’épique qu’on nous promet de sa part n’a plus aucune saveur… Ce seront pourtant les deux seuls arcs véritablement utiles du point de vue de l’intrigue des jumeaux.
Cette idée de destinée héroïque, de sauver le monde, est l’idée la plus tarte à la crème du monde, et fonctionnait seulement à l’époque de Heroes première du nom, quand le phénomène naissait. Ici, utilisée jusqu’au gavage à l’extrême (et même reprise : Tommy dit à Noah « Save you, save the world », quand on sait que Noah est le père de la pompom-girl qu’il fallait sauver pour sauver le monde dans Heroes, on se dit qu’on se fiche un peu de nous), avec des plans parfois complètement invraisemblables dignes d’un mauvais film-catastrophe (le travelling qui voit Malina marcher au milieu des explosions est au moins « Michael Bay approved », vu que tout le budget a dû passer dans ces effets spéciaux douteux), l’idée plombe l’intrigue et sonne comme l’aveu d’impuissance d’une mini-série sans identité et obligée de reprendre peu ou prou les codes qui ont fait le succès de la saison 1 de Heroes (une ville, une heure, une explosion) pour vivre et espérer faire du score. C’est raté : la série emprunte absolument tous les passages obligés et ne surprend jamais son spectateur déjà à 90% perdu à l’épisode 10 tant la série se regarde le nombril. Pire encore, pour sauver le monde, Malina et Tommy doivent se tenir la main (incohérence : Tommy ayant un pouvoir d’absorption, ne devrait-il pas prendre le pouvoir de sa soeur ?), et avoir une personne « normale » entre eux pour « conduire » le courant d’énergie, afin de contrer à l’explosion. Le spectateur l’apprend comme Tommy, par les paroles des anciens que sont Angela Petrelli et Le Haïtien. Quant au conducteur, qui est-il ? Noah Bennet bien sûr (qui toute la série aura refait à l’envi son numéro de père/grand-père dévoué), réapparu juste pour l’occasion, personnage-guide d’une série à l’autre, et par là-même meurt, bouclant la boucle d’une Heroes Reborn qui n’a jamais su faire sans ses personnages d’origine.
Comme son créateur, elle a toujours été démesurément confiante. Elle n’a jamais capitalisé sur ses messages « who » et « where are the heroes » pour une exploration en profondeur de sa mythologie et de l’impact de pouvoirs sur des gens ordinaires, touchés par ces capacités qui leur font plus de mal que de bien (Luke et sa femme en tête) ; une thématique pourtant fondamentale et stratégique qui lui permettrait de se démarquer pour de bon de leurs principaux concurrents et attracteurs de spectateurs : les séries de super-héros, où les pouvoirs sont des pactes signés presque de facto, ou bien, quand ils ne le sont pas, sont questionnés (cf Jessica Jones récemment). Au contraire, elle a rajouté couche sur couche de conventionnel et de prévisible, se contentant de bien sagement mettre ses idées au service d’une visée rentabiliste et commerciale, se lustrant le poil en permanence pour tenter de cacher la vacuité de son fond. La scène la plus expressive est la pénultième, où Quentin (Dark Matters again) explique que les Evos sont n’importe qui et sont des gens normaux, avec des belles images de Tommy ou Malina qui vivent tellement bien leur normalité. C’est beau, c’est dégoulinant, c’est américain au possible, c’est fatigant, c’est frustrant, parce que c’est de l’auto-promotion pure et dure qui ne trompe personne. Ultime pied de nez qui en serait presque arrogant : un cliffhanger bien préparé (si on en croit le fait improbable que cette série ait été faite pour être une histoire complète) pour nous teaser le retour du père des jumeaux. Arbre qui cache une forêt de questions : que sont devenus Le Haïtien, Matt, Taylor ? Erica est-elle morte ? Les Evos ont-ils réellement été acceptés dans la société ? Hiro est-il vraiment mort ?
Heroes Reborn n’a jamais été à la hauteur des attentes générées par le retour de la franchise. Au contraire : elle a déçu, oubliant les fans pour partir à la recherche de sa gloire d’antan. Elle n’a jamais eu que son passé à servir en guise d’explication à ses tribulations, et occultant tout ce qui aurait pu en faire une bonne série, c’est-à-dire de la surprise, de la folie, des risques, notamment dans la thématique sociétale, que la saison 3, pourtant peu appréciée, avait ébauchée, et qui ici est réduite à un vague background jamais exploité. Film de deux heures séparé en trois parties, ce final pourrait s’appeler « Heroes : ils voulaient y croire », et laisse une image terminale (définitive ?) bien triste pour une série qui avait pourtant, en tant que divertissement, réussi sa transition d’époque. Mais même sa communication est désastreuse : alors qu’il avait annoncé l’annulation de la série, Bob Greenblatt, le directeur des programmes de NBC, a laissé la « porte ouverte » aux développements des histoires de la série de Tim Kring. Une confusion qui toutefois ne devrait pas permettre, au vu des audiences, un retour, en tout cas pas à la télévision.
Wait and see ! Vous pourrez découvrir les épisodes en février sur Syfy France.