Frédéric Beigbeder, son nouveau livre : de quoi s’agit-il ?
Conversations d’un enfant du siècle, paru le 16 septembre chez Grasset, est un recueil qui regroupe les entretiens que Frédéric Beigbeder a fait entre 1999 et 2014 pour le compte de multiples magazines (Le Figaro littéraire, Les livres et moi, Lui, GQ, Bordel, entre autres) avec les écrivains influents d’aujourd’hui, et parfois des conversations fictives avec des écrivains déjà morts.
Avec ce livre, Beigbeder montre qu’au fond, il est le mondain de notre temps
. Un mélange entre l’homme de lettres et le people, qui pratique à la fois la provocation – faire passer un déjeuner hors de prix en note de frais, faire l’éloge de la prostitution, énoncer des déclarations à l’emporte-pièce sur la politique, le sexe, l’actualité –, un sens de la répartie nourri de sa connaissance de l’œuvre ou de la personne de son interlocuteur, et des fulgurances d’analyse qui viennent d’on ne sait trop où. Ces entretiens sont un miroir parfait de l’auteur en train de faire des ronds de jambe et des pirouettes, de concert avec ses interlocuteurs, tournant l’écrivain en dérision et faisant de la littérature le dernier reliquat du sacré, tout à la fois. Du Beigbeder pur jus.
Conversations d’un enfant du siècle est aussi une plongée dans l’univers de Frédéric Beigbeder, qui pousse l’ironie jusqu’à s’interviewer lui-même dans un restaurant trois étoiles aux frais de la marquise, et à interviewer plusieurs fois ses écrivains de prédilection comme Michel Houellebecq et Jay McInerney. Il les rencontre tous, les invite dans de bons restaurants où ils se font éclater la panse sans vergogne, et échangent des banalités sur l’actualité et leurs œuvres respectives. On se croirait dans un salon littéraire du XXIe siècle : dilettantisme, mondanités, ironie, provocation encore… C’est tout un esprit, tout un discours, et même un art : celui de surprendre le lecteur, de toujours survoler les sujets sans s’attarder, de rebondir de phrase en phrase, de ne pas se prendre au sérieux.
Ceci dit, ne vous laissez pas leurrer : on n’y trouve pas ce que déclare l’auteur en quatrième de couverture et en préambule : « J’ai interrogé les auteurs de ce livre comme un apprenti garagiste questionnerait un professionnel sur la meilleure manière de changer un joint de culasse. Je voulais déchiffrer leur méthode, comprendre les rouages de leur travail, voler leurs secrets de fabrication. » On n’y parle pas littérature au sens de style, de méthode de travail, de fignolage. On y parle des grands principes qu’illustrent les livres, des personnages, des univers, pour donner au lecteur une fenêtre dans l’esprit de l’auteur et voir ce que ce dernier voit ou aspire à voir dans son œuvre. Ce n’est pas pareil ; mais ce n’est pas si mal. On y trouve aussi des mots d’esprit à la pelle, plus ou moins relevés. Et de grands écrivains vivants, aussi.
En bref, Conversations d’un enfant du siècle est piquant, enjoué, mondain ; mais ça parle quand même de littérature. La littérature comme reflet du monde, comme reflet de l’esprit d’un homme, comme sauvegarde des valeurs de l’Occident tombées en décadence ou orgie de décadence ? Au lecteur de trancher, entre la profondeur et la dérision, l’ironie et le sérieux où le balade à cœur joie Beigbeder. Tel homme, tel propos.
« FB : Ne pensez-vous pas, comme cela a été écrit sur le mien, qu’un roman sur le 11 septembre est une idée scandaleuse ?
Jay McInerney : Le scandale c’est très bien. Un événement pareil doit inspirer les romanciers. Of course !
FB : Norman Mailer a dit qu’il fallait attendre au moins dix ans pour s’en approcher…
JMI : Ah bon ? Il a dit ça ? Eh bien je ne suis pas d’accord avec lui : la fiction doit absorber la vie contemporaine. Ce qui rend la fiction américaine si vivante, c’est justement sa capacité à s’emparer de la réalité actuelle et à en faire de la littérature. Nous devons tous nous emparer du 11 septembre. Bien sûr que les romains doivent tenir compte des tragédies ! Toute l’histoire de la littérature américaine n’est faite que de cela ! D’ailleurs Norman Mailer en est l’illustration la plus parfaite : il a toujours mélangé le journalisme et la littérature.
Inutile de dire qu’en plus du givry je bois du petit-lait. »