Docteur Frankenstein : peut-on vraiment ressusciter la créature ?
Dans sa volonté de réadaptation des monstres sacrés dont elle a encore les droits (dit-on dans la volonté d’un Univers Partagé, une oeuvre globale qui pourrait donc se rapprocher de l’ambition d’une Penny Dreadful), Universal frappe cette année avec la nouvelle version du mythe engagé en 1818 par Mary Shelley, et poursuivi plus ou moins brillamment par la Hammer par la suite : Docteur Frankenstein. La tentative avait déjà été faite il y a une paire d’années par Martin Campbell, et avait essuyée un échec : cette version aura-t-elle plus de chance ?
Au vu de ses résultats calamiteux au box-office et au coeur de nombreuses critiques de presse internationales, cette nouvelle version ne devrait pas avoir plus de chance de pérennité commerciale que la précédente. Pourtant, si il souffre d’un grand nombre de défauts et n’est certes pas sans rappeler cette purge, pour le coup épouvantable, qu’était Abraham Lincoln, Chasseur de Vampires, le film de Paul McGuigan n’est pas déplaisant, et témoignes de qualités qui lui rendent honneur, et en font un divertissement très honnête, si on oublie un temps la puissance du chef d’oeuvre de Mary Shelley.
Réadaptation moderne, en 2015, cela veut presque obligatoirement dire cynisme, et le film n’y échappe pas, sans pour autant donner trop l’impression de se moquer du spectateur. Dès la scène introductive, et l’apparition du titre sur l’image comme d’un tampon sur un contrat, le film donne le ton, il s’agira de déposer son cerveau sur le dossier du siège (vous pardonnerez l’expresssion usée elle aussi à outrance), et de se laisser, ou non (en témoigne les applaudissements sarcastiques, et très désagréables, de certains à la fin de la projection), bercer par cette tentative de dépoussiérer un mythe par moult énergie et second degré.
Energie, oui, et elle transpire durant tout le film. De ce point de vue, ce dernier est réussi, et doit beaucoup à l’interprétation électrisée d’un James McAvoy hystérique, sous amphétamines, postillonnant et déclamant comme jamais ses dialogues, d’une manière étrangement convaincue et passionnée. C’est véritablement lui qui porte le film, et tout l’amour de celui qui écrit ses lignes pour Daniel Radcliffe est forcé d’admettre que, si l’ex Harry Potter fait le travail, il fait bien pâle figure face à son acolyte fou. Son jeu, au delà de ça, correspond parfaitement à l’écriture du personnage, fondamentalement réussie, un fou de science qui en vient à se prendre pour Dieu. C’est cette thématique ésotérique, mais surtout traitant des errements de la science, qui est au centre de l’histoire originelle, et qui n’a jamais été aussi actuelle. De ce point de vue là, le film sait se montrer assez intelligent pour n’annihiler pas complètement cette dimension profonde, cadrant son pop-corn movie dans le respect tout relatif de l’oeuvre originale. L’énergie passe aussi, ici, par la mise en scène, quelques bonnes idées ça et là pointent leur nez, comme par exemple l’apparition de schémas corporels quand la caméra prend le point de vue des docteurs.
Au delà des thématiques que le film propose, et cela passe aussi dans l’écriture un peu en dents de scie du personnage d’Igor, beaucoup plus intéressant et expressif quand il est muet en début de film, la volonté de respect de l’oeuvre originale dans Docteur Frankenstein passe aussi par moult références directes à l’oeuvre, qui passent d’un dialogue à l’autre, au cours du récit, témoignant heureusement plus du clin d’œil que de l’hommage lourd et appuyé. Parfois mal placées (le It’s alive apparaît beaucoup trop tôt dans le film), celles-ci sont surtout là pour symboliser le retour de la créature, qui souhaite prendre ici un nouvel envol sans pour autant nier les fondamentaux. Intention louable si il en est.
Pop-corn movie, donc, mais sans atteindre le film de genre malgré son ambition. Pour quelle raison ? Mais parce que le film ne sait complètement ressortir des carcans du cinéma commercial actuel, de par une esthétique trop sage (mais certes organique, ce qui est déjà une bonne chose en soi), des créatures, malgré de jolies choses dans les décors. Celles qui le précèdent le sont déjà, mais c‘est surtout la vraie créature de Frankenstein qui est ici actualisée avec une certaine paresse, dans le même style que l’originale, les muscles en plus. Au delà du visuel, le film peine à atteindre une qualité satisfaisante en raison d’un scénario qui si, on l’a vu, ne passe pas à côté des fondamentaux du mythe (la religion représentée notamment par le personnage d’Andrew Scott, décidément en forme cette année après Spectre), un personnage féminin reléguée presque au rang de faire-valoir un peu bêta, simplement présente pour remettre avec moult grands discours Igor dans le droit chemin. Par moment, la romance entre les deux tourtereaux rappelle même les pires passages de L’Attaque des Clones, handicapant même le film en son final très bancal.
Le film se retrouve ainsi quasi systématiquement entre deux chaises, et ne sait pas non plus faire la part entre divertissement d’action ( la première scène, de par nombreux ralentis, n’est pas sans rappeler les Sherlock Holmes de Guy Ritchie), film d’horreur (on a pas besoin d’avoir peur dans Frankenstein, mais le réalisateur y tient et propose un peu de jumpcares putassiers durant le film) et romance dégoulinante. L’incohérence de ton est ici flagrante, le film sent presque le conflit de production alors que rien ne laisse penser qu’il y en a eu un…
Sans être le ratage complet qu’on aurait pu imaginer au vu de la promotion désastreuse du film (j’ai même cru à un Septième Fils 2 en voyant la bande-annonce), ce remake de Frankenstein se laisse donc regarder, mais peine trop pour vraiment convaincre. Malgré les efforts du rôle-titre, ce n’est certainement pas ce film qui relancera la machine. Le mythe de Frankenstein serait-il maudit ? Ou les studios américains ne contrôlent-ils simplement plus leur créature ?
AMD