Daredevil : bilan de la saison 1
Après être revenu sur les convaincants sur les deux premiers épisodes de la série de Netflix et le format n’aidant pas à la chose (la régularité est une notion toute relative devant une série qu’il est possible de binge-watcher, c’est à dire de tout voir très vite), ni les vacances, on avait un peu laissé tomber les reviews de la saison, laissant cela à plus tard. Ce plus tard, c’est maintenant. Le bilan de la saison 1 de Daredevil, c’est ici.
ATTENTION SPOILERS SUR TOUTE LA SAISON, LA FIN DE LA SERIE EN PARTICULIER.
Si les deux premiers épisodes avaient plutôt convaincu votre serviteur, force est de constater que la saison en général se découvre être une vraie réussite. La chose n’était pas évidente au vu de la terrible réputation du héros aveugle au cinéma, Netflix et Marvel, bien aidés par le showrunner Drew Goddard (Cloverfield) ont su repartir sur d’excellentes bases en réussisant leur show de tous points de vues possibles.
On avait donc laissé notre héros en proie à ses doutes et à ses failles, les deux premiers épisodes survolant surtout les origines revisitées du personnage (aveugle, ici, depuis l’enfance à la suite d’un accident de produits chimiques), pour proposer un parallèle assez intéressant entre l’héritage moral que son père lui avait laissé et, surtout, ses propres convictions religieuses, confrontées à ses violentes exactions. Si la série proposait alors de bonnes bases, on était en droit de s’interroger sur la légitimité des schémas, qui ne semblaient pas mener à un fil rouge très distinct.
C’était sans compter sur l’arrivée, dès le troisième épisode de la série, pour une présence jusqu’en fin de saison, du personnage fascinant de Wilson Fisk, AKA le Caid, grand « méchant » de cette première partie et némésis traditionnel du Diable Rouge dans les comics. La série fait alors très fort : en se contentant, au troisième épisode de la série, de simplement évoquer le personnage, elle permet au spectateur, comme autrefois pour le tigre du Livre de la Jungle, de s’en faire déjà une idée, glaçante tant la simple évocation du mafieux fait trembler, voir se suicider, ceux qui en parlent.
A la première apparition du Caid dans la série, le personnage est parfait. Campé par un Vincent d’Onofrio invraisemblable de justesse et de sensibilité, ce dernier ne se contente pas d’être un gros méchant qui veut du mal au monde, l’épisode choisissant de se situer durant un épisode de son point de vue, montrant toute sa personnalité troublée : amateur d’art, capable d’amour, sensible presqu’à fleur de peau, Fisk est humain malgré l’apparence et provoque l’empathie du spectateur abasourdi par l’homme. Tout ça pour mieux le choquer en montrant un meurtre de ses mains, d’une violence bestiale et très inattendue. Malgré ses évidents penchants pour la violence, Fisk se dévoile alors, et jusqu’à la fin de la série, comme personnage complexe en diable, convaincu comme le héros de la justesse de ses actions, de leur utilité et de leur bien fondé envers une ville qui en a bien besoin.
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La série prend alors un tournant plus fascinant en proposant un affrontement à la mort entre les deux hommes, en les faisant pourtant rarement se rencontrer face à face. Tous les deux convaincus de la valeur altruiste et morale de leurs actes, les personnages révèlent alors toute la force thématique de la série. Le voilà, notre fil rouge tant attendu. Rédemption, idée de morale, frontière ténue entre bien et mal, exploration jusque dans les tréfonds de l’idée de justice, tout est bon pour faire de Daredevil une série à suivre, et ce au même titre que d’autres séries à l’image plus sérieuse. D’une maturité sans précédent, la saison se base sur une intrigue classique de film superhéroique (combat entre némésis, dissimulation d’identité secrète, trahisons et relations amoureuses) pour en tirer la sève, et la retravailler avec des éléments plus sombre et sérieux, oubliant les ressorts classiques susceptibles de lier les éléments entre eux. Sombre et violente, la série l’est d’une manière assez réaliste et on a du mal à envisager qu’il s’agit du même univers que celui, par exemple, de Thor. Loin de se contenter de son étiquetage Marvel, la série propose des relations entre personnages et des situations loin des carcans classiques hollywoodiens, d’une profondeur inattendue pour le genre.
Du côté de Fisk seul , presque tout le monde est toujours pourri et traitre et, ça tombe bien, puisque presque tout le monde meurt. L’écriture de ces personnages passe d’ailleurs comme d’autres bonnes manières de faire se détacher la complexité de Fisk, confronté à des méchants très méchants, voire plus que lui ! Bon, trêve de plaisanteries, les mafieux sont convaincants, mais deux palmes sont à remettre : celle du meilleur disciple pour l’inquiétant Wesley, que Toby Leonard Moore parvient finalement à rendre plus étonnant qu’agaçant comme au premier abord, mais surtout à l’amour de Fisk, Vanessa, qui dès sa première apparition bouffe l’écran, de sorte qu’on ne voit plus qu’elle et Fisk. En personnage en partie responsable des violences du Caid, Ayelet Zurer est parfaite et arrive même à provoquer l’attachement du spectateur, rendant plus insoutenable et prenant encore le sort qui lui est promis.
Bien sûr, on a ce qu’il faut au niveau de l’action (au moins un combat par épisode, quand même mieux chorégraphié et filmé qu’en début de série) et des situations épiques propres au genre. Le costume du héros, obtenu tardivement, est magnifique et fonctionnel, et permet une crédibilité quand à la difficulté de l’identification de Matt Murdock. Fait à partir d’éléments de la combinaison pare-balle du Caid, il est très esthétique au niveau de la colorisation et ne fait pas trop kitch ou flashy comparé à d’autres. Mais, au vu thématique, et c’est d’autant plus étonnant au vu de l’univers dans lequel évolue le personnage, tout cela paraît finalement très anecdotique comparé aux évolutions des intrigues et au caractère anxiogène et oppressant des situations auxquelles il est confronté.
Au niveau des personnages secondaires, on reste à un niveau et une évolution à peu près similaire aux deux premiers épisodes. Les deux acolytes de jour de Matt Murdock, à savoir Karen et Foggy, continuent à être le quotient légèreté de la série et permettent de ne pas sombrer dans une trop lourde noirceur. A la manière de Ron et d’Hermione chez les sorciers, leurs balbutiements font souvent rire, bien aidés par un jeu d’acteur naturel et engagé. Mieux encore, ils seront vite happés dans une intrigue secondaire efficace et intéressante, faite de magouilles politiques, ceci les amenant à ne pas disparaître d’un écran ou, souvent, Matt fait cavalier seul. Quitte à ce que cette intrigue soit parfois responsable d’une légère dégradation du rythme plutôt soutenu de la série; Quand à l’acolyte de nuit de Daredevil, comprenez Claire (à savoir Rosario Dawson), elle disparaît assez vite pour revenir, selon les rumeurs, en saison 2. Elle manque donc un peu à l’intrigue, et on est d’autant plus excité de voir son personnage développé dans un rôle apparemment important.
La fin de saison, enfin, pose question. Si on excepte celle, secondaire, de la disparition de Claire, toutes les intrigues ont l’air bouclées : à la suite de subterfuges fascinants et remarquablement intelligents de la team Daredevil, Fisk est sous les verrous, Murdock a l’air d’avoir trouvé son identité et presque tout le monde va bien. On se croirait presque devant un final de film, qui appelle un peu à un 2 mais qui pourrait s’en passer. Bonne idée au niveau de la cohérence, puisque la série change de showrunner, et on attend d’autant plus ce que peut nous réserver la suite de la série.
Daredevil par Netflix, c’est donc une excellente surprise. Forte à tous les niveaux, la série sait emmener le spectateur dans les contrées, sinon inconnues, au moins peu arprentées par le genre, et ce sans le perdre en route. Et on est d’une impatience folle pour la suite, qui devrait arriver au printemps. D’ici là… revoyez la saison 1.
AMD