Dans un recoin de ce monde : De la douceur avant la tempête
Dans un recoin de ce monde ( この世界の片隅に, Kono sekai no katasumi ni en japonais ) est un animé japonais sorti sur nos écrans le 6 septembre 2017. Adapté du manga du même nom, dont l’auteur se nomme Fumiyo Kono, cette réalisation de Sunao Katabuchi est une belle réussite.
Empreint de douceur, de nostalgie et de rêve éveillé, ce joli voyage n’oublie pas de traiter frontalement des problèmes de la guerre. Car l’histoire se situe quelques décennies avant, et après Hiroshima. Nous vous prévenons que cet article comportera quelques menus spoilers, mais sans dévoiler la fin.
Suzu est une jeune fille qui vit à Eba, une petite ville balnéaire à Hiroshima. Elle aide sa grand-mère à vendre des algues marines et passe le plus clair de son temps à dessiner. Malgré le froid et le manque chronique de crayons, elle n’hésite pas à déchaîner sa belle imagination sur de nombreuses feuilles de papier. Elle coule des jours paisibles avec sa famille et se marie en 1944 avec un jeune garçon entrevu qu’une seule fois, Shusaku. Là elle change de vie et part vivre chez sa belle famille située à Kure, la plus grande ville portuaire de marine militaire du Japon. Tout le récit baigne dans la joie de vivre et la douceur du quotidien. Ce mariage, qui aurait pu être forcé au départ, s’avère heureux. Les beaux-parents prennent bien soin d’elle, et Suzu cultive son amour du dessin avec Harumi, sa jeune nièce. Le crayonné est très prononcé dans ce dessin animé, qui se veut le plus proche possible d’une vraie planche à dessin. Les jours qui s’écoulent paisiblement, la beauté de la nature, tout cela est retranscrit avec beaucoup de simplicité dans l’animé, voire d’honnêteté. Chaque plante et chaque objet est très précisément agencé, comme si la famille existait réellement. Tout est si paisible que l’on se demande si Suzu va réussir à passer à travers les horreurs de la guerre. Et bien pas vraiment.
Plus le récit avance, plus le suspens s’installe. Les dates s’égrainent sur les images. 1943, 1944, mai 1945, juin 1945, août 1945… On sent le désastre arriver inexorablement. Bien que le spectateur soit au courant de ce qui va se passer, les personnages, eux, ne le savent pas. C’est beau et terrible à la fois. Suzu, comme tous les autres civils japonais, ne se doute de rien. Petit à petit, tous les problèmes liés à la guerre finissent par la rattraper, comme le rationnement qui réduit sa nourriture comme peau de chagrin, l’explosion du marché noir, et surtout les bombardements américains qui s’intensifient de jour en jour… Le petit paradis terrestre où elle était confiné se transforme petit à petit en enfer, et on sent inexorablement un étau invisible se refermer sur la famille, comme un piège à rats.
Plus le récit avance, plus les images deviennent violentes. Du sang, des blessés, des mutilations, rien n’est caché au spectateur. La guerre déchire ce paysage de douceur et toute la brutalité est montrée, suscitant un sentiment de malaise. L’horreur grandit et le suspens également : est-ce que Suzu voudra rentrer à Hiroshima, afin de rester auprès de sa famille dans les tous derniers instants ? On ne sait jamais comment cela va se terminer. Hiroshima est montré comme tel les Japonais l’ont vécue. Un flash brillant dans un grand ciel bleu, puis un séisme. Ensuite, des paysages rasés, des personnes qui déambulent avec le visage et les organes qui fondent à cause des irradiations, des membres déchiquetés et beaucoup de sang… Il ne vaut mieux pas montrer cet animé à des enfants, à ce stade, c’est vivement déconseillé.
Il y a un côté « Tombeau des Lucioles » dans le thème qui abordé ( les civils bombardés victimes de la guerre ) et la petite fille à sauver en la personne d’Harumi. Sauf que « Dans un recoin de ce monde » est beaucoup moins désespérant que le « Tombeau des Lucioles » et que jamais rien ne doit entacher la joie de vivre, pas même les atrocités inévitables de la guerre. Cet animé se veut très proche de la description de la vraie vie. Un jour, tout est normal, rien à signaler, et puis la brutalité de la mort. Comme ça, d’un seul coup. Qui tombe et contre laquelle on ne peut rien faire, sauf se serrer les coudes. Ne passez pas à côté de ce bijou de douceur et de vérité, foncez !