D’après une histoire vraie : Delphine de Vigan et l’autofiction
D’après une histoire vraie, nouveau roman de Delphine de Vigan, sort aujourd’hui aux éditions JC Lattès. Un livre très attendu, quatre ans après la bombe Rien ne s’oppose à la nuit (2011). Pour cette rentrée littéraire, l’auteure nous propose un livre surprenant, qui mêle fiction et réalité dans une intensité dramatique incroyable.
D’après une histoire vraie
est un « roman » : c’est bien indiqué sur la couverture. Cela n’empêche pas la romancière de parler en son nom propre, de faire longuement mention de ses enfants, de son compagnon François, de ses précédents livres et de sa relation avec ses lecteurs. L’histoire commence peu après la publication de Rien ne s’oppose à la nuit, un livre lourd, rempli d’émotion, qui a en quelque sortie vidée Delphine de quelque chose qu’elle portait depuis longtemps et qui avait besoin d’être exprimé. Alors qu’elle va de salon en salon dans le cadre de la promotion de ce livre, elle entrevoit la nécessité d’une pause. Une pause avec son lectorat, avec l’écriture plus généralement. C’est à ce moment-là qu’elle fait la connaissance de « L » dans une soirée où l’emmène une amie. Les deux femmes s’entendent immédiatement.
Dès le début de D’après une histoire vraie, le lecteur est prévenu : peu à peu, L va exercer un contrôle discret mais efficace sur une Delphine affaiblie qui a l’impression de perdre le goût de l’écriture. L a une idée fixe : pousser Delphine à écrire un livre dans la veine de Rien ne s’oppose à la nuit afin de continuer à travailler sur son passé, son mal-être d’enfant. Les encouragements de L en ce sens deviennent de plus en plus pressants. Elle semble en faire une obsession. Delphine, qui ne se sent pas prête à écrire une nouvelle fois sur un sujet aussi personnel, a des projets de fiction pure, qui bien sûr ne trouvent pas grâce aux yeux de L.
L’emprise de cette dernière est telle qu’elle devient omniprésente dans la vie de Delphine, qui est de moins en moins en contact avec ses proches. Le traitement de la relation des deux femmes est admirablement mené. Le personnage de L, mystérieux et machiavélique, finit par effrayer. On ne peut pas ne pas penser à Stephen King et son Misery.
« Je suis moi-même lectrice de Stephen King. J’aime énormément ses romans, en particulier ceux où il met en scène des écrivains. J’avais envie de lui rendre hommage », a confié l’auteure à RTL.
L’utilisation du suspens est également une première pour Delphine de Vigan. On ne peut que saluer la performance. Avec très peu d’éléments, elle arrive à instaurer une atmosphère pesante ; le personnage de L gagne en intensité et le moindre détail, signe de manipulation et de très louche dessein, suffit à glacer le lecteur.
D’après une histoire vraie décline les thèmes et les traite avec intelligence et subtilité. Les thèmes relatifs au personnage de L : l’emprise, la jalousie et la folie. Mais aussi le thème de l’écriture : l’écriture de la réalité, celle de la fiction, et la frontière entre les deux. Tout au long de sa relation avec L, Delphine reçoit de violentes lettres qui l’accusent d’avoir menti dans Rien ne s’oppose à la nuit. Au-delà de la cruauté des mots de pose la réflexion sur l’écriture romancée du réel : l’autofiction. Le droit de l’écrivain à déformer les choses pour servir son livre et lui donner l’intensité. Un droit dont Delphine de Vigan s’empare pour notre plus grand plaisir. Je ne peux m’empêcher de rapprocher cette lecture de celle d’Un homme dangereux d’Émilie Frèche, qui parle elle aussi d’emprise à effets dramatiques et d’écriture.
Quant à savoir si L existe réellement, Delphine de Vigan ne se prononce pas : « ça m’amusait de mêler le vrai au faux », se contente-t-elle de répondre au micro de RTL. Ce mystère entourant le personnage fait partie intégrante de « l’expérience » D’après une histoire vraie. Le malaise provoqué par L s’associe au jeu du vrai et du faux : une réussite.