Better Call Saul saison 3 : La force tranquille
La série dérivée des mésaventures de l’avocat foireux de Breaking Bad et portée par le génial Bob Odenkirk faisait son grand retour mardi dernier sur Netflix après deux premières saisons réussies. Toujours avec son sens du drame et sa mise en scène cinématographique, le show prend le temps de développer sa solide trame destinée à rejoindre celle de la série-mère, afin peut-être d’en présenter l’envers. Un rythme déroutant et une réalisation raffinée en parfait raccord avec l’évolution de son héros attachant et terriblement malchanceux. Retour sur ce début de saison qui allie mesure et belles promesses.
Tout d’abord, faisons le point sur le final de la saison précédente riche en détails, qui voyait Jimmy Mc Gill au pied mur
, finalement contraint et forcé d’admettre sa fraude professionnelle pour calmer les délires hypocondriaques de son ingrats de grand frère, Chuck, que la jalousie dévore.
Après avoir falsifié des documents officiels pour racheter la réputation de sa petite-amie, la consciencieuse Kim, (mise au placard par sa faute) et désormais partenaire de cabinet indépendant, Jimmy Mc Gill avait cédé au chantage de son frère. Ce dernier s’était retranché dans un état apathique entre les murs de sa maison qu’il a entièrement recouvert de papier isolant dans sa phobie accrue des ondes électriques. Devant la désolation de Chuck qui était persuadé d’avoir jeté le discrédit sur sa personne et sa carrière en l’accusant à tort d’avoir modifié ces documents, Jimmy n’a pas eu d’autre choix que de rétablir la vérité pour remettre son frangin sur pieds. Dans un élan de désespoir, il lui avouait donc son acte, lui donnant raison : il a bien réimprimé les documents avec de faux chiffres et l’a manipulé. Tout aurait pu s’arrêter là. C’était sans compter sur l’acharnement de son frère, dont l’objectif n’était que d’obtenir ses aveux, d’abord pour avoir gain de cause puis surtout pour enfin mettre son cadet hors course. Dans un ultime plan, on apercevait donc Chuck arrêter un magnéto qu’il avait dissimulé dans le désordre de la pièce. Avec cette conclusion, la cruauté du personnage déjà bien fouillé éclatait au grand jour. Bien plus qu’un simple maniaque obsédé par son image, la frustration de l’avocat est telle qu’on le sait désormais prêt à tout pour descendre son petit frère, qu’il juge inapte à exercer quelconque responsabilité et indigne de la profession.
Mike quant à lui tentait de se défaire de ses démêlés avec les trafiquants, veillant à leur faire comprendre qu’il n’avait pas de temps à perdre et qu’il ne valait mieux pas s’en prendre à lui. La réponse d’Hector Salamanca, suite à son refus d’obtempérer pour sortir Tuco de prison, son psychopathe de neveu, ne s’était pas faite attendre, menaçant sa petite fille s’il ne marchait pas. Mike s’embarquait donc dans une filature intense, afin de débusquer les planques des mafieux et d’envoyer un message clair et net aux Salamanca.
Le soin du détail
Pour sa troisième saison, le prequel continue sur sa belle lancée et poursuit dignement sa progression pour rallier l’intrigue corsée de Breaking Bad. Comme sa grande sœur, Better Call Saul est une série qui se déguste, privilégiant la finesse de l’écriture au buzz grossier, et face aux shows clinquants qui capillotractent toute chose, il faut admettre qu’un peu de cohérence fait du bien ! Dans la même veine que Breaking bad donc, l’important est que tout se tienne et que les scénaristes puissent mener à bien leur projet. La qualité avant la quantité. C’est là où excellent Vince Gilligan et Peter Gould, les créateurs de cette comédie humaine décadente parvenus à maintenir le niveau d’exigence de leur cru d’AMC et à transposer la recette de son succès dans un nouveau support, avec d’autres ressorts tout aussi passionnants, bien que moins condensés.
L’idée de développer en parallèle à l’histoire de Jimmy, celle de Mike Ehrmantraut (Jonathan Banks), le futur bras droit renfrogné de Gus Fring que l’on découvre en grand-père protecteur, s’avère de plus en plus pertinente et apporte une vraie dynamique scénaristique aux épisodes, alternant entre le côté cartel – trafic de drogue et justice corrompue de la cultissime série d’origine. Pour cette ouverture de la saison 3, les deux parts ont été équitablement traitées, reprenant au point exact où on avait laissés Mike, en pleine traque de ses pisteurs dans le désert du Nouveau Mexique et Jimmy, se livrant à son frère. Rien de grandiose à signaler, si ce n’est que tout suit tranquillement son cours, présageant des bouleversements à venir, et que la réalisation est toujours d’une qualité indéniable, accentuant ce qui fait la force du récit : l’affinement des personnalités par l’attention portée à ces petits détails, grotesques ou sinistres qui suffisent à résumer un personnage. Hérités du comique de geste et de situation théâtral, la force dramatique du show réside dans cette mise en scène ponctuelle des héros, illustrant leurs réactions face aux obstacles les plus anodins, n’omettant rien de leurs habitudes, épiant leurs petites manies si pathétiques soient-elles : Comme le fait que Kim décide de réimprimer tout un dossier à la dernière minute parce qu’elle hésite entre un point, une virgule et un point virgule, ou encore cette scène délicieusement absurde où l’on voit Jimmy faire preuve d’honnêteté en dénonçant du bout des lèvres un jeune voleur à la police, avant de se rétracter et de lui hurler de prendre un avocat. Rendre une bourgeoise cleptomane, faire communiquer un vieux parrain à l’aide d’une sonnette ou transformer un prof de chimie en fabriquant de meth… C’est en exploitant leurs faiblesses chroniques, ces petits rien qui font tout que les talentueux showrunners de Breaking bad ont réussi là où beaucoup de fictions échouent : donner à chaque personnage, même secondaire, une ampleur romanesque qui surpasse le champ du récit, jouant sur le format sériel pour leur construire une personnalité creusée et contrer les poncifs manichéens dont raffolent les producteurs. Ainsi, leurs héros ne sont ni vraiment bons ni complètement mauvais, mais dotés d’une façon d’être complexe et unique, qui se distingue de celle des autres et les amène à opter pour des choix de vie ambivalents, en fonction des circonstances qui bien souvent les poussent à dépasser leur propre nature, très humaine. Une fatalité pathétique aux accents Alléniens, parfois Coeniens qui cultive l’ironie du sort et alimente les accointances du show avec le cinéma.
Inéluctable adversité
Si l’on se doute que de plus en plus liens vont se tisser entre les deux productions d’AMC, (l’apparition d’autres personnages emblématiques de Breaking Bad ne sauraient tarder, comme l’énigmatique Gus Fring (Giancarlo Esposito) qui fait une entrée remarquable dans le deuxième épisode Witness), cette saison devrait être décisive pour l’avenir des protagonistes. Bien que très différents, Mike et Jimmy ont en commun leur solitude et le fait d’être confrontés à des choix cruciaux, un peu comme l’était Walter White, constamment tenté par l’auto-satisfaction d’un pouvoir lucratif mais destructeur. L’un va devoir sacrifier son indépendance et ses principes pour plus de sécurité financière quitte à rejoindre le camp de l’immoralité en œuvrant pour l’un des plus gros trafiquants du pays, un glissement déjà amorcé lors de la deuxième saison où Mike se retrouvait mêlé aux histoires des Salamanca, et l’autre se résoudre à sombrer définitivement dans l’imposture, oubliant ses rêves de succès. Et plus dramatique encore, il devra certainement aussi se passer de la reconnaissance de ses proches. Un dilemme cruel dont nous connaissons déjà l’issue. Le challenge étant surtout de susciter l’intérêt des spectateurs pour des événements postérieurs à ce qu’ils savent déjà. C’est aussi en cela que la série se démarque, reprenant le principe des flashsforwards, fenêtres sur le quotidien futur et peu enviable de Jimmy et qui dans Breaking Bad annonçaient en début de saisons 4 et 5 les prémices du dénouement. Une tendance introduite par des séries pionnières comme Les Sopranos et récemment utilisée dans l’excellente Big Little Lies, le procédé permettant de faire un lien entre les différentes parts de la réalité induite par l’intrigue.
Et la suite ?
Reste à savoir où les scénaristes comptent mener leur spin-off. Gilligan et Gould ont déjà confirmé le fait qu’ils souhaitent prendre leur temps pour faire les choses bien, même s’ils n’ont pas encore écrit de saison 4. Leur volonté première étant de raconter comment James Mc Gill devient Saul Goodman et bascule de la petite fraude arrangeante à la médiocrité incarnée. Les deux showrunners n’ont pas exclu la possibilité d’introduire les personnages principaux, tel que le très demandé Jesse Pinkman, mais à la condition que cela se fasse de façon pertinente, sinon jamais. Quoi qu’il en soit, leur talent pour l’écriture rayonne à nouveau en ce début de saison, notamment le second épisode diffusé hier, qui recèle de scènes magistralement montées, dont une très bonne introduction au personnage de Gus, balayant discrètement la salle du fameux Pollos Hermanos ou encore une performance survoltée de Bob Odenkirk pour un final en grande pompe.
La saison 3 de Better Call Saul est donc à suivre de près puisque les choses devraient s’accélérer dans les prochains épisodes marquant un tournant définitif pour Jimmy Mc Gill, bientôt à la croisée des chemins.
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