All Is Lost : Ô sombre héros de la mer…
Evitant tous les écueils du survival, « All Is Lost » est un des meilleurs films de l’année, méditation sur la survie, la mort, le destin, le tout sans quasiment piper mot.
A première vue, « All Is Lost » est tout sauf un objet filmique aisé, un film d’art et essai digestible pour tous les publics. Mais qu’on se s’y méprenne pas : sa sélection hors compétition cannoise a probablement été le fait de papy Robert Redford, qui ne voulait pas forcément revoir un signe de comeback alors qu’il se fait de plus en plus rare sur les écrans. Si le pari « All Is Lost », telle une traversée transatlantique, est de le mettre face au mastodonte du « Hobbit » avec le seul nom de la légende en tête d’affiche et à l’écran pendant tout le film, les aficionados de la carrière de Redford savent qu’il a accepté pour bien d’autres raisons que cela. En l’occurrence, donner un coup de main au réalisateur de « Margin Call », JC Chandor, pour un film quasiment sans dialogue, avec un marin en solitaire se battant pour sa survie pendant l’ensemble du film. La communication avec l’extérieur étant perdue, seul Redford occupe la place et le cadre de Chandor. Un concept qui pourrait très vite s’avérer prétentieux, voire une esbroufe totale.
Ce que Chandor et son acteur principal réussissent à accomplir n’est ni plus ni moins qu’une succession de choix astucieux autant dans le scénario que dans la réalisation. Le côté tartare de « All Is Lost », dans son exposition comme dans sa progression, tranche avec le Byzance créé de toutes pièces par Alfonso Cuaron pour son « Gravity ». Ce que l’on apprend du Marin de Redford peut se résumer à son monologue de mauvais augure lu au tout début du film en voix-off, tandis que Chandor filme un horizon aussi paradisiaque qu’infini et glauque. Il n’y a pas de développement particulier concernant son statut social, ou encore des photos d’éventuels proches ou de famille. Chandor fait ainsi preuve d’une sobriété spartiate, et le Marin est défini par sa débrouillardise et le visage creusé mais extrêmement expressif de Redford. Si le film s’ouvre avec la coque percée du voilier du Marin, celui-ci est chevronné et habitué aux situations de tempête. Chandor n’a pas besoin d’avoir recours à des erreurs fatales, ou autres procédés narratifs faisant basculer le Marin dans un abîme précipitamment. « All Is Lost » est un survival, mais presque par accident, et cela le rend beaucoup plus mémorable et émérite.
Chandor fait également le choix de ne pas céder aux procédés simili-documentaires d’un Paul Greengrass. Si on colle au personnage de Redford, la caméra est souvent posée, le cadrage précis. Les moments candides, où Redford savoure des haricots, sont bien présents mais ne font jamais ombre au récit. Les quelques plans sous-marins montrant les embarcations en contre-plongée, ramènent le spectateur à la perdition de l’embarcation dans l’océan.
L’autre grande qualité de « All Is Lost », c’est probablement son montage. Les moments-clé du film et les accidents de Redford ne sont pas soulignés par une musique pétaradante, et l’enchaînement des séquences se fait de manière très fluide. Le placement des cordes du membre d’Edward Sharpe & The Magnetic Zeros, Alexander Ebert, se fait le plus souvent lors de tableaux contemplatifs, sortes de répits de quelques dizaines de seconde avant de remonter sur le bateau. Si la séquence de tempête est impressionnante, Chandor en a une utilisation limitée et le Marin la brave avec dextérité. Les tracas du Marin sont ainsi souvent accidentels, et « All Is Lost » garde un naturel et une simplicité narrative confondantes. Si le slogan de l’affiche est « ne jamais renoncer », Chandor s’est délesté de tous les écueils de films de mer du genre pour en garder l’expression métaphysique la plus pure. Cela permet au film de s’élever bien au-delà de l’exercice de style, et livrer une réflexion sur l’instinct de survie et l’acceptation de la mort aussi durs que beaux.