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Ainsi Soient-Ils (Arte) : interview de Vincent Poymiro

Alors que l’on attaque la deuxième moitié de la saison 2 de « Ainsi Soient-Ils » ce soir sur Arte, on s’est entretenus avec un des deux scénaristes principaux de la série, Vincent Poymiro, autour du développement de l’écriture, des thèmes et des personnages.

Pourquoi le choix fait en saison 2 d’étendre les séquences, comme la longue séquence d’introduction du premier épisode, entre le père Bosco et Guillaume ? Pourquoi ce choix ?

Vincent Poymiro : On n’a pas du tout pour but de diluer la tension dramatique, au contraire. On a préféré que les scènes soient plus longues, que des personnages un peu séparés se croisent dans une même scène, et qu’on l’on traite ces tensions en plusieurs rebondissements dans une même séquence. C’est une question de rythme, en fait, plutôt que aller dans l’éclatement de l’histoire avec des scènes courtes, précises.

L’écriture de la saison 2 a pris plusieurs mois, je crois que c’est 11 mois…

V.P. : C’est plus difficile : entre l’écriture pure et la préparation, pendant laquelle on réécrit beaucoup alors que l’équipe de tournage choisit les lieux, les comédiens, etc. il s’est passé 14 mois.

En termes d’expérimentation, vous aviez déjà une idée très précise des arcs de la saison, et vous n’avez pas eu à faire énormément de moutures des scénarios ?

V.P. : Bien évidemment, on avait des idées bien précises dès le départ des arches générales, celles des personnages, etc.  Après, entre le moment où on définit ces axes de travail, que cela devient des épisodes séparés, il se passe des choses. Et il arrive que en le fabriquant, on s’aperçoit que ce qu’on va trouver en cours de route, l’intrigue en développement va avoir un aboutissement qui est différent, voire opposé à ce qu’on avait imaginé. Non pas parce que c’est totalement autre chose, mais parce que c’est exactement le point inverse.

Ca s’est passé sur le grand arc concernant la faillite de la Conférence des Evêques, et de la politique d’austérité ?

V.P. : Non, Il y a un gros évènement en milieu de saison lié à cet arc dont on a eu l’idée très tôt, et qui affecte toute la seconde partie de saison. On savait dès le début où allait l’intrigue « économique », parce que c’était une intrigue un peu externe et on avait le canevas de la réalité pour s’inspirer. Par contre, ce qui a changé à l’intérieur de cette intrigue, c’est le parcours de Mgr Poileaux. Au début, on cherchait un nouveau méchant pour remplacer Mgr Roman, après le décès du regretté Michel Duchaussoy, mais très différent. Du coup, en inventant Mgr Poileaux, un naïf dont on s’est dit qu’il allait devenir méchant, à cause des circonstances, on s’est aperçu que le personnage gagnait en complexité, qu’on ne pouvait pas juste arrêter là. On a modifié son parcours de manière très paradoxale à la fois en un parcours de pouvoir et un parcours où il gagne son indépendance. C’est un homme qui n’est pas fait pour l’usage du pouvoir, et qui s’y avère excellent. Mais au bout du compte, il s’en sert de manière plus libre que ce à quoi on pouvait s’attendre.

Vous venez d’aborder le traitement de thèmes relatifs à l’actualité de l’Eglise. L’autre point d’actualité, c’est le Mariage pour Tous. Avez-vous trouvé ça « amusant » de traiter ça à l’intérieur de l’Eglise et d’écrire du point de vue des prêtres et séminaristes?

V.P. : On a toujours dit que ce qui nous intéressait dans l’Eglise n’était pas le catéchisme, en soi, mais une image de cette institution qui reflétait le monde dans lequel nous vivons. Mais d’un autre côté, on se documente très fort sur notre sujet, pour être précis. C’est avec cette précision-là que l’on pense trouver l’universalité : plus l’on sera spécifique sur comment ça se passe là-dedans, plus on va rencontrer l’humanité des gens, et plus ils se reconnaîtront. On s’est aperçu que les milieux chrétiens ou paracatholiques avaient opéré un lobbying étonnant, extrêmement actif, rusé, que l’on avait envie de raconter. On a envie de partager quand on enquête et qu’on découvre des choses sur le terrain. Ces gens ont inventé de fausses associations, ont fondé des groupes très actifs, pour promouvoir une vision contestataire de la société actuelle et de la loi en vigueur sur la question du Mariage pour Tous.

Ma vision de la saison, c’est que Mgr Poileaux se retrouve dans une position où il fait des choix drastiques pour ce qu’il considère comme l’intérêt général. Pour certains personnages, comme Bosco ou certains séminaristes. Est-ce que c’est un choix avéré de ne pas avoir de « méchant » et considérez-vous que les antagonistes des personnages, c’est d’abord eux-mêmes et leur lutte contre leur propre psychologie?

V.P. : Il n’y a pas de grand méchant cette saison, hors un personnage qui se révèle être très machiavélique. Plus la saison avance, plus on s’aperçoit qu’il est moins rayonnant, sympathique et lumineux qu’il en a l’air. On a complexifié les choses. Effectivement, il y a des gens qui sont leurs propres antagonistes, et prennent des décisions qui vont les faire apparaître, à nos yeux, comme plus sympathiques ou plus antipathiques.

Cette saison 2 va se concentrer sur plusieurs mêmes lieux, alors qu’en saison 1 il y avait eu quelques « respirations » comme l’escapade des séminaristes au Pays Basque. Etait-ce une volonté d’internaliser les lieux de tournage, sans faire voyager les personnages? Y a pas beaucoup d’épisodes indépendants à vrai dire.

V.P. : Les épisodes sont conçus comme du drama, un épisode avec unité dramatique. Globalement, l’effet feuilleton est beaucoup plus fort en saison 2 qu’en saison 1. On a moins autonomisé les épisodes. Y a pas, comme en saison 1, un épisode en extérieur, comme l’épisode 4 de la saison 1. C’est une question thématique, et les conflits bouclés qui bouclent des étapes du grand feuilleton. Y a une définition plus homogène, resserrée sur les personnages, on a voulu concentrer ça. Le Vatican revient quand même à un moment donné, et on a nos petites habitudes avec les téléspectateurs, on leur redonne ce qu’ils ont déjà eu.

Parmi les multiples qualités de la série, il y a aussi le langage des prêtres et evêques, comme Mgr Poileaux. Les prêtres sont extrêmement politiques dans leur expression, même sans coaching par l’équipe de communication. Est-ce que c’est difficile d’adopter ce ton spécifique dans l’écriture de ces personnages?

V.P. : C’est pas difficile, au contraire : plus l’univers qu’on décrit est réglé… Au fond, ça dépend de l’écriture. Cela demande de s’impliquer, mettre le téléspectateur dans la confidence et la compréhension des règles de cet univers ; une fois que c’est fait, ça donne un cadre à la fiction supplémentaire, qui la porte, en fait.

Où en êtes-vous de la saison 3? Elle est avancée dans l’écriture…

V.P. : Elle est en tournage. On est en pause entre deux sessions de tournage : elle a commencé en août, on reprend fin octobre, il y aura une pause début janvier… Donc entre août et fin janvier, en gros. On est en préparation de la deuxième partie du tournage de la saison 3, ça se tourne par décors. A chaque étape, y a une petite préparation…. On a relu avec les comédiens avant la session d’août, ce sera encore le cas dans les prochains jours.

Il y a plusieurs remakes de « Ainsi Soient-Ils » en développement : un est diffusé en Italie, on parlait d’un remake américain. Quelle est votre implication dans l’exportation et l’adaptation du format de la série?

 V.P. : Nous, on ne s’en occupe pas du tout, même si on est très intéressés par la possibilité que l’histoire se raconte ailleurs. Les négociations sont plus au niveau de la production. Pour la série italienne, ils n’ont pas demandé à nous consulter pour l’instant. Pareil pour la production américaine, encore embryonnaire…. On peut nous demander conseil, mais c’est leur choix de nous associer ou non.

« Ainsi Soient-Ils », ce soir à 20h45 sur Arte (épisodes 5 et 6). Coffret de l’intégrale de la saison 2 disponible depuis le 8 octobre en DVD (Arte Editions).

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