On a terminé

Bates Motel saison 4 : quand l’hommage devient œuvre

Cette semaine a marqué la fin de la quatrième saison d’une série assez regardée hors mais aussi en nos murs, Bates Motel, adaptation très libre du chef d’oeuvre d’Alfred Hitchcock, Psychose. L’idée de départ semblait dangereuse pour certains, mais beaucoup de sceptiques ont été confondus par une série qui a su prendre ses marques et ses distances, et devenir une œuvre à part entière en sortant du giron étouffant de l’oeuvre-mère.

ATTENTION : LA LECTURE DE CE BILAN DE SAISON 4 DE BATES MOTEL SUPPOSE BIEN SUR UNE CONNAISSANCE COMPLETE DE LA SERIE EN ELLE-MEME : DES SPOILERS SONT A PREVOIR SUR TOUTE LA SERIE, Y COMPRIS LA DERNIERE SAISON. A BON ENTENDEUR….

Précédemment dans Bates Motel … Norman a tué, Norman est à l’hôpital psychiatrique de Pineview pour le meurtre de Bradley, que les gens ignorent qu’il a commis. Romero a mis fin au trafic de drogue qui sévissait dans sa ville, Caleb est parti et Emma se prépare à son opération. Quand à Norma, elle s’inquiète pour son fils.

Comme quoi toute ré-adaptation d’une œuvre culte n’est pas forcément une mauvaise idée ni une insulte prédéfinie à cette même œuvre. Alors que beaucoup de puristes du grand Hitch n’ont pas touché à la série de peur de s’y brûler les doigts (les pauvres, il faut le dire, ont déjà subi une suite passable et deux autres fort peu recommandables de Psychose, malgré tout l’intérêt artistique mais surtout stylistique que présente le remake de Van Sant), d’autres ont vite arrêté la série qui, admettons le, a mis le temps avant de trouver la bonne vitesse et le bon rythme. La structure balbutiante de Bates Motel à ses débuts, le manque de clarté dont faisaient preuves ses choix scénaristiques et la volonté du choc trop souvent appuyée ont eu raison des sériephiles les moins acharnés qui, avec raison, ne restent pas une saison de plus quand la première n’a pas convaincu. Il a fallu attendre un peu de temps pour que Bates Motel se trouve un public stable, celui-ci venant souvent d’ailleurs que du groupe des amateurs de l’oeuvre originale.

Bates Motel aurait pu être beaucoup de choses. Une adaptation littérale et ultra fidèle de l’oeuvre de base, en tenues, décors, technologies et mœurs d’époque, un hommage à Psychose qui serait passé par une timide réadaptation. Beaucoup voient la série comme une préquelle de l’histoire mère mais le mot est inexact tant la réadaptation est libre : différentes époques, différents personnages, on parle même de l’arrivée de Marion Crane dans la prochaine saison alors que Norman est encore adolescent… Si au début le bénéfice du doute pouvait être accordé, il est évident à la fin de cette saison 4 que Bates Motel a définitivement coupé les ponts avec l’oeuvre d’origine, elle pourrait ici, concrètement, faire ce qu’elle veut des personnages sans n’avoir aucun compte à rendre au niveau de la cohérence avec celle-ci. C’est d’ailleurs un peu ce qu’elle a fait, ou en tous cas préparé, ces quatre dernières années.

Bates Motel
Mariés dans l’année… Ou pendus

Qu’on s’entende bien : la série n’a pas rien à voir avec Psychose. Comme le nom le laisse entendre, l’intrigue se déroule au Bates Motel, les protagonistes en sont les Bates mère et fils (Norma et Norman, donc) et la série tente plus ou moins de narrer les « origines » (le mot est inexact quand on prend le parti qu’il s’agit d’une réadaptation et non d’un complément au film, comme c’est le cas) de la folie de Norman, que l’on voit dériver au fil des saisons. La série est certes différente mais elle reste profondément attachée à Psychose, ne serait-ce que dans l’écriture de Norman lui-même, dont tout, du physique à la personnalité, évoque le Bates que les cinéphiles connaissaient sous les traits d’Anthony Perkins. Ne serait-ce que par son aura, la série brille d’un hommage et d’un respect indéniable de l’oeuvre originale dont elle s’inspire. Cela est d’ailleurs principalement le cas dans cette dernière saison, la quatrième, qui se fait en quelque sorte l’aboutissement des années de souffrance mentale qu’a subi et fait subir Norman Bates durant la série. On se posait la question durant toute la saison et le final crève cœur en détient la réponse :  Bates Motel est enfin autre chose qu’une charnière, en cela que la série se détache enfin de l’oeuvre pour suivre sa propre voie. En cela, elle semble même être une fin en soi et on est en droit de se poser la question de l’intérêt d’une saison 5, qui serait la saison finale. Norma est morte, tué par Norman, ce dernier la voit vivante en fin d’épisode et a coupé les ponts avec tous ceux qui le rattachaient à la réalité : Dylan, Emma, le frère de Norma, Romero, tous sont partis, morts ou en prison et plus rien n’empêche Norman de devenir Bates, plongé enfin seul dans la folie.

Pour parler de la saison en elle-même, force est de constater qu’elle redistribue toutes les cartes. Alors que la principale faiblesse de la série était juste ici contenue en ses sous-intrigues handicapantes et inutiles (le trafic d’herbe en tête, la maladie d’Emma, tout cela aurait eu sa place dans une autre série mais transpirait ici la volonté de combler les 45 minutes d’épisodes de manière artificielle), cette saison ci en sonne le glas : Emma est guérie et part heureuse vivre sa vie avec Dylan, le shérif Romero est débarrassé du trafic de drogue et se marie avec Norma avant le drame, Caleb a disparu de la circulation : toutes les sous-intrigues sont closes au fur et à mesure de cette saison qui a tout d’une saison finale. On parlait tout à l’heure des défauts que constituaient ces sous-intrigues, mais on comprend en fin de saison qu’il s’agissait principalement d’apporter de la crédibilité à un récit qui en aurait manqué si Norman avait été seul tout du long. Mieux encore, les personnages ainsi introduits et leurs actions deviennent non seulement des facteurs aggravants de la folie du personnage de Norman (l’abandon d’Emma,, la jalousie effrénée de Norman envers Dylan et Caleb, violeur de sa mère, mais également envers son amant Romero), mais aussi un moyen pour lui de justifier cet isolement, de rester loin de ce monde qui lui fait accidentellement tant de mal.

Bates Motel
Et Norma ?

Quand à Norma, elle peine à reprendre ses esprits dans toute cette pagaille. Après des années de balbutiements en tous genres, elle devient enfin, pour quelque temps, la mère qu’elle aurait toujours du être, s’occupant de la folie de son fils qu’elle niera pourtant par la suite en refusant qu’il revienne à l’hôpital, posant une distance entre elle et lui, exacerbée par la présence importante de Romero dans sa vie… Il est étrange que dans cette saison Norma se révèle enfin comme une mère parfois capable, bien qu’elle perde bien vite ce rôle. Le personnage en cette saison perd finalement beaucoup en assurance malgré ses dires, elle devient presque un personnage secondaire, tout est finalement centré sur Norman dans une intrigue qui lui accorde toute son importance.

C’est évident, tout tourne autour de Norman, et si Norma (formidable Vera Farmiga) est une figure si importante de la série et notamment de cette saison (elle semblait un peu en retrait en saison 3, saison pour le coup emplie de sous-intrigues et manquant de rigueur et de tenue scénaristique), c’est aussi en tant que facteur aggravant. Norma n’est pas à l’origine de la folie de son fils, qui semble avoir tout de même certaines prédispositions, mais le jeu fusionnel, parfois presque sexuel tant elle est dominante, qu’elle a jusqu’ici joué avec lui ne peut plus fonctionner à partir du moment où Norman se fait « soigner » de manière psychiatrique puisqu’il sort de chaque séance de plus en plus convaincu de sa parfaite santé mentale et de la culpabilité de sa mère, sentiment bien sûr ambigu, sa passion pour elle se muant en fonction des situations en amour fou et démesuré ou en haine profonde et destructrice. Norma existe dans Bates Motel souvent parce que Norman la fait exister, c’est lui qui lui donne cette place si importante et en fait un facteur si fondamental de son inévitable chute psychologique. On voit les rouages de la solitude de Norman se forger dans cette saison et le personnage se focaliser, par culpabilité, sur sa mère, jusqu’ici la seule qui ne l’ait jamais trahi ou perdu confiance en lui.

Bates Motel
Le couple parfait s’en va !

Cette saison est terrible en ce sens qu’elle révolutionne cet état de fait entre Norman et sa mère. Norman est trahi, sa mère le place dans l’hôpital, ne vient pas le chercher au bon moment selon lui, et est tenue responsable de sa nuit de cauchemar. Pire, elle se marie avec Romero durant son absence, ultime trahison oedipienne pour Norman qui n’a jamais été aussi seul, d’autant qu’Emma a rejoint son demi-frère Dylan. Freddie Highmore incarne à merveille et avec conviction la fascinante ambiguité du personnage, qui tient ouvertement sa mère pour responsable de tous ses malheurs, tout en l’excusant quand il désigne son entourage qui selon lui la manipule. Le dernier acte de Norman, le meurtre de sa mère (mais aussi son propre suicide, puisque la scène nous montre bien que Norman n’aurait pas du survivre non plus) peut être interprété de différentes manières : d’abord, une mesure de protection envers cette femme qu’il croit manipulée et contrôlée par Romero. Egalement, une ultime tentative possessive et jalouse de rester pour toujours avec elle. Enfin, une autre mesure de protection, tuer Norma pour protéger le monde qu’il croit à la merci de ce qu’il imagine être une dualité partagée, celle de sa mère mais aussi la sienne puisqu’il se tue également, sans doute à même inconsciemment de se rendre compte des meurtres qu’il a commis sur Miss Watson, Bradley, la mère d’Emma… La richesse des possibilités d’analyse qu’engage cette fin de saison n’est plus à démontrer et il est aussi intéressant de rendre compte de l’évolution que la série à connu, d’un feuilleton un peu banal et malsain vers des problématiques quasi Lynchiennes, une influence qui se sent même dans la mise en scène, au vu de la séquence du meurtre en elle-même, complètement fantasmagorique (avec un accompagnement musical tout trouvé, référence à Halloween, et donc bien sûr à Psychose lui-même, Mr Sandman des Chordettes).

La saison aurait pu s’arrêter là, sur la mort de la mère de Norman et donc son véritable passage vers la folie pure, complète et définitive. Pourtant un épisode restait à la saison, beaucoup de questions à mon sens se posent en son visionnage : était-il vraiment utile de finir la saison là dessus ? Pourquoi un épisode de plus alors que tout semble joué ? Il a fallu attendre sa fin pour compléter la vue d’ensemble et comprendre où cette saison voulait en venir. La mort de la mère de Norman n’est tout simplement pas une fin en soi : elle n’est même pas l’aboutissement d’un processus. L’épisode nous montre en effet un Norman endeuillé par la mort de sa mère, dont on n’arrive pas vraiment à comprendre si il l’admet ou pas. Il participe à l’enterrement, l’organise même presque à lui tout seul, pleure sa mère et accuse Romero de sa mort qu’il lie à un suicide. Pourtant, il fait un lapsus comme si elle était encore en vie (quand on lui demande si une telle robe irait pour l’enterrement, il répond oui, elle aimera ça en se corrigeant ensuite), et passe tout l’épisode seul à lui demander à voix haute de revenir et d’arrêter de se cacher, chose qu’elle fera bien sûr inévitablement juste avant la seconde tentative de suicide de Norman, manière pour le personnage de se sauver lui même en la faisant apparaître et ainsi par ce biais accroître sa soumission et sa dépendance à elle. Norman est définitivement devenu Bates, il est allé chercher le corps de sa mère et personne n’est là pour qu’il s’en sorte, si ce n’est Chick qui apparaît un peu inexplicablement en fin d’épisode, on ne sait trop pour quelle raison si ce n’est un éventuel suspense pour le cas où il découvrirait le corps. Cette fin de saison, malgré les questions que l’on a pu se poser en cours de visionnage, est essentielle parce qu’elle montre ce qui manquait à Norman pour parachever sa transformation : l’aliénation physique.

Bates Motel
La fin d’une èpoque…

Autant dire que cette saison aura pausé beaucoup de questions, changé beaucoup de choses mais également poussé la série vers une bien plus importante richesse psychanalytique. En sa quatrième saison, Bates Motel sort enfin des sentiers battus et cesse une bonne fois pour toutes de raconter une histoire, brosse un portrait ambitieux de ses personnages et met tous les capteurs d’intérêts à 1000 pour la saison finale, qui devrait être la plus libre. Toujours est il que la série créée par Carlton Cuse, Kerry Ehrin et Anthony Cipriano a bien changé et est en passe de devenir, si la tendance se confirme, une très grande série. Bates Motel pourrait n’avoir plus rien à raconter et pourtant le plus intéressant reste sans doute à venir. En proposant ce plot-twist mastoc et terrifiant (plot-twist qui n’en est pas vraiment un si on connaît le film, il n’est un twist que dans le sens où rien ne laissait envisager qu’il arriverait aussi tôt), la série a raconté ce qu’il y avait à raconter pour comprendre la folie de Norman… C’est donc à partir de maintenant qu’elle a les cartes en main pour proposer quelque chose de vraiment libre, libre de tous cahier des charges forcé par le besoin de cohérence à l’oeuvre originale. Tout pourrait changer dans la saison finale et c’est véritablement là, après avoir réussi la réadaptation, que les scénaristes doivent être attendus au tournant, avec bienveillance et sévérité.

AMD

Adrien Myers Delarue

Résidant à Paris, A.M.D est fan de Rob Zombie, de David Lynch et des bons films d'horreurs bien taillés. Sériephile modéré, il est fan de cultes comme X-Files, Lost, ou DrHouse, ou d'actualités comme Daredevil ou Bates Motel.

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