Miss Hokusai : des hommes et des dragons
Miss Hokusai retrace la vie d’O-Ei, la fille de l’artiste japonais Hokusai. Sorti sur nos écrans le 2 septembre dernier, il a reçu le Prix du Jury au Festival d’Annecy et bénéficie de critiques dithyrambiques de la presse, notamment de Télérama. Ce « fou du dessin », comme Hokusai aimait à se nommer, s’est rendu célèbre pour ses « ukyo-e », un type de dessin japonais. Mais ce que l’on sait moins, c’est que sa fille n’est pas étrangère à ce succès, et qu’elle l’assistait très souvent dans son atelier.
Katsushika Hokusai est né en 1760, et décédé en 1849. Ayant vécu sous l’ère Edo au Japon, il a pu montrer toute l’étendue de son talent lors d’une période particulièrement prolifique en termes d’art. Auteur d’estampes érotiques et de portraits, il s’est brillamment illustré dans des paysages, en particulier sa célèbre série de vues sur le Mont Fuji. Son chef d’œuvre le plus connu reste La Grande Vague de Kanagawa, visible à la grande exposition consacrée à Hokusai l’an dernier, au Grand Palais à Paris.
Sa fille, ayant vécu dans l’ombre de son père, est l’héroïne de ce film, lui-même adapté du manga d’Hinako Sugiura . On connaît très peu de choses sur la vraie vie de Miss Hokusai. Toujours est-il qu’elle a hérité des talents artistiques de son père, et qu’elle s’est mariée une seule fois avant de se séparer peu après. Elle est issue d’un second mariage de son père, et elle avait ainsi des demi-frères et demi-sœurs plus âgés. Ayant toujours vécu auprès de son père jusqu’à sa mort, on perd ensuite sa trace, la date et le lieu de sa propre mort étant inconnus. La seule œuvre de sa main que j’ai pu retrouver, est celle-ci :
Dans le film d’animation qui nous intéresse aujourd’hui, O-Ei est une jeune fille de caractère qui a bien plus la tête sur les épaules que son père, peu enclin à travailler. Elle rattrape même ses erreurs en dessinant à sa place. Elle se méfie des hommes et n’est pas à l’aise avec les estampes érotiques, pourtant très demandées par la population. C’est pour cela que cet animé n’est pas vraiment conseillé aux enfants, à cause de certaines scènes non équivoques. Dans la première partie du film, l’art d’Hokusai est bien mis en valeur. Un clin d’œil est fait sur la Vague qui l’a rendu célèbre, on glisse sur le papier blanc comme le pinceau qui calligraphie, les dragons brumeux s’échappent des nuages, et les démons viennent vous hanter la nuit. Des scènes d’une belle contemplation illustrent le Japon de cette époque, avec des détails bien fournis. Tout est parsemé ici et là d’une touche de couleur, comme le camélia rouge sang au milieu de la neige. Le point d’orgue de Miss Hokusai, c’est lorsque qu’O-Ei est invitée à dessiner le portrait d’une courtisane. C’est une scène d’une grande beauté, tant par le détail luxuriant de son magnifique kimono, que par le moment où le fantôme d’une femme au long cou s’invite le soir (il s’agit d’une légende issue également du folklore japonais).
O-Ei est surtout très protectrice à l’égard de sa famille, et cela se ressent. Elle reste auprès de son père à la fois pour dessiner et le seconder, comme si elle voulait garder à tous prix un œil sur lui. Elle est l’une des rares à prendre soin de sa petite sœur, aveugle de naissance, et que son père ignore car elle ne peut pas dessiner. Ce sont des scènes d’une grande tendresse, tandis qu’elle apprend à découvrir les éléments de la nature et à tenter de deviner les couleurs, qui sont l’essence même de la peinture.
Néanmoins, Miss Hokusai est en demi-teintes, vu les attentes qu’il provoque. La deuxième partie m’a paru assez vide et fade comparée à la première : la trame de l’histoire se perd complètement en chemin, comme si le réalisateur n’avait pas su quel parti prendre. On se focalise trop sur la vie personnelle des personnages et sur les superstitions japonaises, qui certes sont importantes, mais ça n’avait plus vraiment de lien avec l’art d’Hokusai en lui-même. Où est l’intérêt, dans ce cas-là ? Les scènes s’enchaînent de façon quelque peu décousue, l’accent étant davantage mis sur l’héroïne comme une féministe avant l’heure, au détriment de sa fibre artistique. Il en est de même pour le père, dont l’art est également occulté. Le spectateur se retrouve sur sa faim et ne comprend pas où Miss Hokusai a voulu en venir. Il manque la cohérence et la petite étincelle qui ferait de ce long-métrage un bon film.
Le scénario de Miss Hokusai aurait demandé à être plus développé et cohérent, plutôt que de s’effacer devant de simples scènes d’illustration peu convaincantes, surtout dans la deuxième partie du film. Le long-métrage semble mal équilibré et passer complètement à côté de son propos. Il aurait mérité plus de punch, d’enthousiasme, et de se lâcher davantage au sujet de l’art défendu par Hokusai, qui est pourtant l’un des ancêtres du manga que nous connaissons. C’est dommage, mais cela reste un beau film.