Maps to the Stars : Old Trafford
Après Cosmopolis, présenté à Cannes il y a 3 ans, David Cronenberg, peintre hubristique ès corps humain, revient avec un portrait très cru d’Hollywood. Porté par une extraordinaire Julianne Moore ( qui mérite largement son prix à Cannes ), l’excellente Mia Wasikowska, et les tout aussi bons John Cusack et Robert Pattinson, ce film montre que David Cronenberg prouve qu’il est l’un des meilleurs réalisateurs en activité.
Il y a 3 ans, David Cronenberg venait présenter à Hollywood Cosmopolis, film très hermétique et qui avait surpris son monde par la complexe réflexion métaphysique qu’il s’en dégageait. Maps to the Stars, au fond, c’est la même chose. Un monde fermé, un monde si petit que tout le monde se connaît, et que tout le monde est amené à avoir des relations avec tout le monde, même les plus malsaines. C’est sous cet angle que Cronenberg décide de filmer Hollywood, cette productrice de rêve en fait usine à films infernale, agissant sur les acteurs, leurs névroses, leurs vices, et surtout, leurs pulsions parfois inhumaines. Tandis que Havana Segrand (Julianne Moore) s’accroche à un fantasme franchement incestueux de décrocher un rôle culte jadis tenu par sa défunte mère dans un remake du film de cette dernière, au point d’en avoir des hallucinations toutes aussi incestueuses, le jeune Benjie Weiss (le talentueux Evan Bird), sorte de Justin Bieber enivré de succès, tente tant bien que mal de se refaire une réputation après 3 cures de désintox qui ont laissé des traces. Son père, Stafford Weiss (éternel John Cusack) est le modèle du charlatan-gourou, coach psychologique de Havana. Et dans tout ce bordel, débarque Agatha (superbe Mia Wasikowska), grande brûlée sortie d’un hôpital psychiatrique, et déambule Jerome (Rob Pattinson montre que Twilight, c’est fini), chauffeur de limousine en quête de gloire. Vous ne le savez pas encore, mais par n’importe quel moyen, qu’il soit physique ou psychologique, tous ces personnages sont liés ; ils se croisent avant que l’on comprenne les liens qui les unissent, une révélation saisissante qui les entraîne dans un engrenage impitoyable.
Avec une ironie mordante et un humour profondément cynique, Maps to the Stars démystifie le monde hollywoodien et son star system décadent, révélant, comme le dit Lorenzo de Médicis, « sa monstrueuse nudité ». Celle d’un monde à la légende dorée, mais aussi obscure. Celle d’un monde où règnent l’hypocrisie, les magouilles, les coups de poignard dans le dos, la jalousie. Celle d’un monde où les acteurs tombent et se complaisent dans un vice que réprouve la morale : l’inceste. Avec cela, la dégénérescence est enclenchée, et elle est inarrêtable : nous voici plongés dans un monde sombre et poisseux. Cronenberg revient à un de ses thèmes chers : la folie, mais plus précisément la folie destructrice. Cette folie conduit ici à l’illusion, l’illusion du monde hollywoodien qui nous entoure, nous obsède, nous harcèle, jusque finalement nous happer. C’est ce qui arrive à Havana, hantée par le fantôme de sa mère, humiliée au point de s’arrêter en plein milieu d’un coït. C’est ce qui arrive à Benjie, hanté par sa propre culpabilité et qui se soulage dans la drogue et la jalousie… assassine. Et Hollywood de tomber dans un chaos dont essaie de profiter Stafford Weiss pour vendre ses bouquins et ses méthodes de bien-être un peu trop intimistes. Cronenberg constate froidement : c’est cela, Hollywood. Une mini-cité d’Atrides, où se mêlent intérêt et consanguinité, voilà les composants de la « map » to the stars, la carte vers les étoiles. Mais si l’on soulève ce voile humain, l’on découvre autre chose : ces fantômes, Euménides rappelant ces gens à leur basse condition, cette hantise au sens littéral du terme, incarnation de la psyché délirante de ceux qui constituent cette communauté sclérosée, esprits frappeurs de la débauche hubristique. Les enfants eux-mêmes semblent condamnés, puisque Agatha cache sa douleur par de longs gants et Benjie tente de masquer ses problèmes hallucinatoires. L’innocence est perdue.
Maps to the Stars place ses pions pour mieux tout raser ensuite sur son passage, tourbillon de démesure qui a tôt fait d’emporter Havana, Benjie, Stafford, Agatha… Tous semblent condamnés, si ce n’est à l’Enfer qui apparemment est déjà sur Terre, du moins au Tartare. Alors tous agitent leur sainte croix : le splendide poème « Liberté » de Paul Eluard. « Liberté, j’écris ton nom », phrase répétée incessamment comme un « Vade Retro, Satanas », phrase qui connecte tout le monde, et au final ultime carte vers les étoiles. Ce film est une magnifique ode au réalisme, et en même temps un dur réquisitoire contre les vices humains, représentation d’un hubris qu’on ne soupçonne pas aussi fort, et où le faux-semblant règne en maître sur la vertu. Cronenberg renoue ici avec ce qui faisait le charme de ses premiers films : le goût de la démesure de Crash, le double jeu des personnages à la Faux-Semblants, le « déra-trash » plus ou moins contrôlé de A History of Violence… Et bien sûr la monstruosité, la perturbation mentale par lesquels il nous balance entre une vision de rêve (villas, Hall of Fame, palmiers…), et ce qu’il y a derrière le rideau : le cauchemar.
Avec Maps to the Stars, DavidCronenberg réussit magistralement, dans une mise en scène parfaite, comme à son habitude, à filmer les névroses de ces personnages perdus, bouffés par des démons dangereusement incontrôlables et possessifs. Fantastique, légèrement ( dans tous les sens du terme ), fantasmatique un peu, réaliste sûrement, dérangeant incontestablement. On termine sur une petite citation de Cronenberg himself : « J’accepte les fantômes de l’expérience et de la mémoire. Et c’est ainsi que je les ai dépeints dans le film : des fantômes reliés à la mémoire ».