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Dans l’ombre de Mary, la Promesse de Walt Disney : Une Travers à rectifier

A la fois mélodrame biographique et making-of d’un classique de Disney, l’ambition de « Dans l’Ombre de Mary »est servie par un tandem d’acteurs solides : Emma Thompson et Tom Hanks. Critique superfragilistic ci-dessous!

Le titre français de « Saving Mr. Banks » témoigne de la difficulté à évoquer le sujet du film de manière simple pour le spectateur lambda. En effet, le film aborde bien le développement tumultueux de « Mary Poppins », et sur la promesse faite par Walt Disney à ses enfants d’adapter le livre, promesse qu’il aura mis, en définitive, 20 ans à tenir. Mais c’est surtout une sorte de biopic retraçant une partie de la vie du seul obstacle qui s’est dressé sur la route de Disney pour sortir le film en salles : l’auteure australienne PJ Travers, qui vivait à Londres au moment où le film était en préproduction. A partir de ce postulat, Sue Smith et Kelly Marcel (une des créatrices de la série d’aventures de FOX « Terra Nova ») tissent un canevas en essayant de satisfaire les férus de Disney et la vie assez sombre de Travers.

« Dans l’Ombre de Mary » présente plusieurs pièges, en premier lieu la tentation de s’exposer aux critiques qui verront d’un très mauvais oeil l’utilisation du film pour renforcer la légende de Walt Disney l’homme, et gommer les aspérités propres au magnat des films et parc d’attractions qu’il était devenu en 1964. Pour y répondre, Tom Hanks livre une prestation mesurée mais qu’on ne sent pas marquée par l’autocensure. Disney est un showman avant tout, qui essaie avant tout d’intégrer Travers au processus créatif, et tout le brio du film va être en réaction à sa réticence, tout comme son éclairage sur le procédé créatif, fait aux spectateurs. Lorsque Hanks menace de tomber dans l’image du Disney de la télé (il était l’hôte du « Wonderful World Of Disney » à l’époque, ce qui l’ancra dans toutes les télévisions américaines et la mémoire collective), on nous rappelle aussi sa roublardise à travers une séquence au parc d’attractions.  On ne verra aucune image du tournage, et à peine celle du film fini : tout est fait pour se concentrer sur les interactions entre Disney et son équipe, principalement les Sherman Brothers et le coscénariste Don DaGradi (Bradley Whitford, routinièrement excellent). Ceux-ci ont droit de cité dans le film, et sont chargés de dégeler l’ambiance entre eux et Travers, qui utilise son va-tout pour observer à la loupe les paroles des chansons. BJ Novak et Jason Schwartzman s’avèrent très convainquants en frère Sherman (Schwartzman a de multiples occasions de donner de la voix), et il est plutôt surprenant de les voir dans une production de ce type, tirant « Dans L’Ombre de Mary » vers le haut, et dans la direction des indie movies dont ils sont habitués.

Mais la colonne vertébrale du film, c’est bien PJ Travers, pas « Mary Poppins », personnage ou film. En se concentrant sur sa quinzaine de jours passées aux studios Disney à Los Angeles, « Dans L’Ombre de Mary » se concentre sur sa réticence à laisser les droits à Walt, dont elle pense qu’il va transformer son livre en faribole guillerette et légère. Pour la clé, on voit la jeune Travers (Annie Buckley) dans son enfance en Australie, qui voit son père (Colin Farrell) déménager et trouver un travail en tant que banquier. C’est paradoxalement dans ces flashbacks que « Dans l’ombre de Mary » rejoint les rangs d’un mélodrame hollywoodien classique et convenu. Moins la faute à Farrell, qui réussit à construire son personnage de papa poule rongé par l’alcool dans ses quelques scènes, qu’au réalisateur John Lee Hancock, qui ne fait jamais décoller sa mise en scène au-delà des images d’Epinal australiennes et n’épouse pas un point de vue assez fort. Trop occupé qu’il est à servir l’ambition narrative de ses deux scénaristes et la performance de Thompson, un peu une marâtre Disney cyclothymique qui va réaliser sa catharsis après moult bras de fers psychologiques, Hancock s’efface au loin et fait perdre le film en valeur. Malgré une partition de Thomas Newman qui fait pétiller les échanges entre Travers et Disney et sait soutenir des moments plus dramatiques pour la Travers enfant ou adulte, un ennui sournois mais poli vient anéantir les efforts du tandem mal assorti, avant une conclusion qui semble trahir l’esprit du personnage de Travers. De même, ses échanges avec son chauffeur (Paul Giamatti) n’arrivent jamais à dépasser leur rôle de faire-valoir narratif pour réchauffer les dispositions de Travers envers l’équipe Disney. « Dans l’Ombre de Mary » loupe ainsi son rendez-vous avec les Oscars, à l’exception de la bande originale de Thomas Newman, mais n’est pas un film qui va entacher la carrière de sa distribution. La fadeur de l’histoire vient ironiquement moins de la partie concernant les studios Disney que la mise en scène de la vie de Travers elle-même. En mettant les réfractaires au Magic Kingdom de leur côté, l’équipe du Magic Kingdom n’arrive jamais à creuser assez la personnalité de son sujet, et c’est dommage.

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