The Program : pédale douce
Presque dix ans après son film sur la Reine Elizabeth et ses rapports avec Tony Blair, The Queen, Stephen Frears revient explorer les scléroses d’un autre personnage bien connu, mais Américain, cette fois : Lance Armstrong…
The Program est adapté du livre de David Walsh, intitulé Seven Deadly Sins : My Pursuit of Lance Armstrong, et se base également sur le rapport de l’USADA, dossier établissant la culpabilité de dopage de Lance Armstrong. Vous l’aurez compris, le film va revenir de A à Z sur cet épisode qui aura marqué le cyclisme international…
Réaliser une histoire sur l’histoire de dopage de Lance Armstrong, à l’époque où nous vivons, était inévitable et annoncé depuis un certain temps. Malheureusement, le film n’échappe pas à l’écueil des oeuvres du même genre : Stephen Frears fait de son mieux grâce à son art de la mise en scène, qui lui permet de s’immiscer silencieusement dans la sphère privée de ses personnages, mais son nouveau film, qui promettait d’être une vache à lait hollywoodienne dont il serait le fermier, reste désespérément plat. Dans The Queen, qui dans sa filmographie ressemble le plus à The Program, il allait à l’intimiste sans pousser jusqu’à la provocation, respectueux qu’il est de ses personnages et du sujet qu’il traite. Mais dans The Program, il avait la chance de bénéficier de son oeil de Britannique sur une situation qui toucha d’abord à l’Amérique avant de toucher au monde, et pouvait ainsi se montrer plus incisif sans tomber dans le manichéisme, comme il l’a fait dans Philomena. The Program, néanmoins, ne se contente que de relater des faits que chacun, à la télévision, a pu suivre et apprendre, si bien qu’on n’est pas plus informé à la sortie du film, et que Lance Armstrong devrait pouvoir encaisser le choc sans trop de problèmes.
Intimiste, The Program l’est. Du début à la fin, il ne lâche pas Armstrong d’une semelle. Le film, à ce propos, passe extrêmement vite sur qui était Armstrong avant de se doper, ainsi que sur la partie cancer des testicules, pour se focaliser, n’ayant pas peur de prendre parti, sur Armstrong en tant que dopé et mini-magnat de l’EPO au sein des équipes dans lesquelles il se trouvait. On arguera que c’est ce dopage qui prime, puisque c’est aussi le sujet du livre adapté, mais on peut toutefois reprocher à Frears de n’avoir pas accentué la personnalité profonde de Lance Armstrong, préférant sagement accentuer sa vilenie et son machiavélisme de dopé. C’est peut-être d’ailleurs l’erreur de Frears : d’avoir adapté un essai qui a volontairement pris parti, dans la mesure où le journaliste connaissait Armstrong, l’a vu »grandir » avec le dopage, et ne s’est pas privé pour le dénoncer. Frears a ainsi transposé cela à l’écran sans avoir forcément la même audace que dans The Queen. Le problème de plonger dans l’intime de Lance Armstrong est qu’on sait, ou du moins on se doute, que ce type n’est pas qu’un grand sensible gérant une fondation et ayant vaincu le cancer. Ainsi, on a droit au meneur d’hommes exercant ses pressions sur Floyd Landis, le menteur aux yeux du monde entier, le repentant chez Oprah Winfrey, bref la totale, ce qui ne nous avance pas beaucoup. Cela est même trop surligné, parfois, d’abord durant des passages de course où Armstrong va parler sans problème aucun à des coureurs adverses pour leur dire qu’il est le patron et peut les faire tomber, mais surtout durant une scène où Ben Foster, mélangeant DeNiro et Pesci, la joue parrain dans sa baraque luxueuse, à grands coups d’accent texan et de grossièretés. Pas très subtil pour le réalisateur britannique, qui nous avait habitué à bien plus « so british » que ca.
Le problème de The Program est peut-être qu’il a tout d’un film de Stephen Frears sans être du Stephen Frears. Cela vient peut-être du fait que le film soit un biopic, et qu’en cela il soit contraint par les règles du genre, formalisant l’écriture et la réalisation. Frears s’en sert malicieusement à ses fins de mise en scène, très lumineuses et laissant exprimer les images dans leur resplendissement, mais le constat est là : c’est un film bien trop sage, trop formel, justement, dans son discours, son analyse de la situation, dans sa manière d’être. Ben Foster, quant à lui, délivre une performance assez terne, ne bénéficiant pas, à sa décharge, d’une écriture extrêmement approfondie. Cependant, il est coupable de plagiat sur Robert DeNiro à plusieurs moments du film : on l’a dit, au moment où il joue le scandalisé parce que tout le monde ne fait pas ce qu’il dit, mais aussi lors d’une scène de miroir où seuls manquent les mots pour redonner la fameuse scène de Taxi Driver, ou encore des scènes en pleine course, où Armstrong « dirige » les coureurs, et pas seulement ses équipiers, ou même hors course, dans ses discussions avec Johan Bruyneel sur l’utilisation de l’EPO, qui font penser aux duos Ray Liotta/Robert DeNiro ou même Jack Nicholson/Leonardo DiCaprio. En fin de compte, parfois, ca ne ressemblait presque plus à du Frears, mais à l’essai un peu brouillon d’un Britannique à Hollywood. En parlant de Johan Bruyneel, une incompréhension subsiste sur les choix de certains acteurs. Certes, le Tour de France a lieu en France, et avoir des acteurs français ne peut pas faire de mal pour la couleur locale, mais il faut expliquer : pourquoi Johan Bruyneel, néerlandais de son état, est-il joué par Denis Ménochet et son accent plus français tu meurs ? Des acteurs hollandais, ca existe. Mais le mieux est quand même la désignation de Guillaume Canet pour jouer le docteur Michele Ferrari, italien, ce qui force ce malheureux Canet à surfaire un accent italien digne des pires imitations du Parrain, et nous procure autant de consternation que de peine.
Ce film ne restera clairement pas dans les annales, pour ses hésitations, ses choix de parcours et sa mise en scène qui sont au mieux sans relief, au pire procuratrices d’interrogations voire d’incompréhensions. Ca plaira sûrement à Hollywood, mais pas sûr que l’on n’en tire grand-chose…