The Big Bang Theory : l’âge de raison ?
Et une saison de plus pour le vétéran de la CBS ! La saison 10 de The Big Bang Theory s’est achevée, et la série a été renouvelée pour deux dernières saisons. Mais en attendant, retour sur un opus qui, à l’instar des personnages, a un peu fonctionné à tâtons…
ATTENTION SPOILER SUR TOUTE LA SAISON 10 DE THE BIG BANG THEORY. LECTURE A VOS RISQUES ET PERILS.
Faisons un petit tour de table dans la famille The Big Bang Theory : Howard et Bernadette sont donc officiellement parents, et en découvrent les avantages et les inconvénients ; Raj, en désespoir amoureux, traverse un océan d’incertitude ; Penny et Leonard affrontent les joies du mariage ; et Amy et Sheldon tentent de faire évoluer leur relation bizarroïde. Rien d’inhabituel, en somme.
C’est peut-être là le problème : The Big Bang Theory a énormément de mal à se renouveler. Il n’est pas question d’occulter la qualité des épisodes, qui en font une sitcom de qualité justifiant sa pérennité, à l’heure où beaucoup ont du mal, justement, à proposer quelque chose de frais sans tomber dans la caricature grossière et donc de finir à la poubelle, à l’image de Selfie ou Dr Ken. Néanmoins, après 10 saisons dans nos têtes, nos coeurs, et la physionomie des acteurs, on est en droit d’attendre quelque chose de plus de la série, quelque chose qui permet de sublimer cette pérennisation sans tomber dans une routine facile, certes agréable, mais bien peu exigeante. Les mêmes recettes perdurent : des blagues sur l’asociabilité de Sheldon, sur la dissonance de caractères entre Penny et Leonard, sur la sensibilité de Raj… Pire encore, Sheldon reste de toute façon l’élément comique (et même un peu dramatique, notamment depuis sa « rupture » avec Amy) polarisant l’attention. De sorte que beaucoup de choses sont marginalisées et que l’on rigole une blague sur deux par frustration. Et ce n’est pas le spin-off annoncé, Young Sheldon, qui va nous rassurer sur les intentions de la production qui, non content de faire durer The Big Bang Theory, en fait aussi une vache à lait. C’est dur à dire, mais au moins, on en voit désormais la fin.
Les personnages, eux aussi, semblent en voir la fin. Et paradoxalement, cette petite mort semble conserver la série. Depuis deux ou trois saisons, une mue s’est opérée au sein de The Big Bang Theory. Un tournant plus dramatique a été amorcée, avec plus ou moins de subtilité et de succès, afin d’ancrer les personnages dans cette longue temporalité, qui, à la fin de la série, les aura vus passer 12 ans à se côtoyer. Chacun de ces geeks, forts en sciences mais peu en vie sociale, ont désormais compris que le temps pressait et qu’il fallait grandir, cueillir le jour, saisir l’opportunité avant qu’elle ne s’échappe. C’est ce qu’a fait Howard, qui a perdu sa mère et a choisi de se tourner vers Bernadette, l’épousant puis concevant un enfant avec elle ; puis Leonard, qui a enfin tué sa mère symboliquement pour, au grand dam de Beverly Hofstadter, épouser Penny ; pour Raj, qui a décidé de se passer de l’aide financière de ses riches parents pour vivre par lui-même ; tandis que Sheldon, qui n’obéit qu’à ses propres règles, a enfin ouvert les yeux sur tout ce que lui apporte Amy, et, cessant les compromis (après une occasion manquée déjà douloureuse), la demande en mariage au terme d’un season finale à la fois drôle et stupéfiant de surprise. Preuve que la série sait encore surprendre, malgré tout : elle nous rappelle qu’outre être comique, elle est aussi didactique de la vie, pour ces fanas de culture geek, qui n’y comprennent pas forcément grand-chose. En témoigne ce passage hilarant où Raj réunit toutes ses copines passées pour comprendre ce qui cloche chez lui, dans sa relation avec les femmes ; où celui où Howard et Stuart « kidnappent » la petite Halley, fasciné par sa petite bouille, alors que Bernadette elle-même a en permanence peur d’être une mauvaise mère. L’absurde et le comique de situation règnent en maître sur la maison The Big Bang Theory, dans toutes les étapes de la vie.
Et la série de nous rappeler qu’il ne s’agit plus du délire d’étudiants. Tous ont grandi, tous ont vieilli, tous ont changé, socialement, personnellement, professionnellement, et tous affrontent désormais la vie adulte, à leurs dépens avec par exemple, le projet de GPS de Howard, Leonard et Sheldon, piqué sans vergogne par l’armée. La question avait déjà été traitée sur le ton comique il y a quelques dizaines d’épisodes, quand ils se promettaient tous de se retrouver dans 10 ans à Pasadena (et Stuart de s’y retrouver seul), mais elle est plus que jamais d’actualité, et on sent que la série (fiction) et la série (réalité) préparent l’après. La demande en mariage de Sheldon apparaît ainsi symbolique : il lui faut un baiser d’une fan de ses travaux pour qu’il fuie retrouver Amy et lui faire ladite demande. La tête d’Amy rappelle qu’il y a encore beaucoup de choses à régler… Cette vision des choses, néanmoins, en tant qu’elle se concentre surtout sur Sheldon, qui, socialement, comprend tout après tout le monde, risque un peu plus d’aggraver le péché mignon de la série par rapport à son personnage principal. On a ainsi pu voir combien Howard et Bernadette apparaissent secondaires, le traitement du bébé ne représentant que 2 ou 3 épisodes sur 24, sans être un vrai fil rouge impactant réellement les personnages. Leonard et Penny, eux, se complaisent dans une certaine oisiveté, et à part une dispute, aucun véritable nuage à l’horizon. On attend le moment où eux aussi pourraient avoir un bébé. Quant à Raj, il est le grand perdant de cette saison : après avoir dragué une femme de ménage de manière lamentable, notre Indien préféré a joué les rôles de sidekicks sympas, sans succès et sans perspective pour le moment, à deux saisons de la fin de la série. La question est : face à cette disproportion de destins (Howard et Bernadette paient leur avancée maritale par un rôle moindre, notamment), la série va-t-elle faire dans le rush, ou bien va-t-elle essayer d’installer quelque chose de plus long pour essayer de contenter tout le monde ? Pour l’instant, tout le monde semble se partager ses problèmes, en un petit microcosme routinier, pour eux comme pour nous spectateurs. Mais jusqu’à quel point, et comment, ce microcosme va-t-il évoluer ? Autant de perspectives auxquelles on aimerait avoir une réponse, face aux stratégies mercantiles de la production, à deux saisons de la fin.
The Big Bang Theory est diffusée sur CBS. Rendez-vous en septembre pour la saison 11 !
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