Sherlock : The Lying Detective : les bonzaïs derrière les séquoias
En cette belle semaine, Sherlock entame le milieu de sa saison 4 avec un épisode intitulé de manière très énigmatique The Lying Detective. Pour quel résultat ?
ATTENTION : BIEN SUR, L’ARTICLE EST REMPLI DE SPOILERS SUR TOUTE LA SERIE, THE LYING DETECTIVE Y COMPRIS. REVENEZ QUAND VOUS AUREZ TOUT VU. OU ALORS NE VOUS PLAIGNEZ PAS.
Titres d’articles auxquels vous avez échappé :
- 221B S.P.E.C.T.R.E (un peu grossier)
- Baker Street Parano (ça ne marchait que pour le début de l’épisode)
- Quantum of Solace (ne rendait pas justice à l’épisode)
- Jeux de rôles (un peu obvious)
- Vous n’êtes pas prêts (un peu naze)
Sherlock
est revenue la semaine dernière pour une quatrième et peut-être ultime saison. L’épisode était un peu bancal, partagé entre l’idée de gérer la crise post-saison 3 , cette dernière ayant redistribué beaucoup de cartes et bouleversé le statu-quo, et celle de raconter quelque chose de nouveau et de surprenant. Faire une suite tout en trouvant un nouveau rythme de croisière. L’affaire était réussie, dans un épisode bien empaqueté mais vraiment trop chargé, entre l’histoire de la mort de Mary Watson et celle de Sherlock gérant tant bien que mal sa psyché. Au final, le climax était à moitié inoffensif et beaucoup de petites histoires sans lendemain, comme celle de la maîtresse de Watson, étaient laissées inachevées avec parfois des doutes mêmes sur leur place dans la temporalité de la série. Tout ça en 1h30, avec en plus une enquête faire vivre : Steven Moffat et son équipe avaient vu trop gros. Avec The Lying Detective, il fallait monter de niveau.
Un épisode de Sherlock, cela s’apprécie jusqu’au bout, sans juger durant l’épisode de ce que l’on voit, ou plutôt croit voir. Cela paraît évident, et pourtant c’est une erreur que j’avais personnellement commise en début de saison 3 et qui m’avait fait durablement arrêter la série. Dans le premier tiers de The Lying Detective , les tentations sont nombreuses. On se croit face à un remake de Quantum of Solace couplé avec Las Vegas Parano, alors que Sherlock Holmes, torturé par la mort de Mary qu’il a en quelque sorte causée, vit des trips psychédéliques sous drogue. Qu’est ce qui appartient au délire, et qu’est ce qui est réel ? Les cartes se brouillent dans un épisode qui semble rappeler les dernières saisons de House (plus audacieuse adaptation du mythe Holmsien à ce jour), jusqu’à faire revenir Mary pour qu’elle symbolise les discussions des personnages avec leur inconscient comme Amber en saison 5. Moffat aime jouer avec le spectateur, lui donner ce qu’il veut sans même que ce dernier s’en rende compte, trop occupé qu’il est à essayer de brûler les quelques séquoias laissés volontairement par l’équipe pour cacher une forêt de bonsaïs. Mieux (ou pire ?) : au travers de personnages identificatoires comme Watson (Martin Freeman exceptionnel de tragique), subissant les événements au travers des hallucinations de Mary, elle nous laisse coincés, en partie, dans le passé, alors que le présent se déroule juste devant nos yeux. Et tels Watson ayant flirté avec ce qui se révèle être la soeur de Sherlock, laquelle désormais le menace, nous savons que la série est encore pleine de surprises : rien n’est laissé au hasard. D’où, peut-être, ce passage nécessaire par un épisode précédent plus lent, en rien mauvais mais relativement frustrant par son choix de revenir en arrière et de ne pas tout de suite transcender, nous transcender.
Pourtant, on le sait. Et c’est ça le plus formidable. La série est retorse, elle n’est pas malhonnête : comme dans un des premiers films de Nolan, tout est là pour que l’on comprenne. Seulement, on ne regarde pas vraiment, comme si on voulait être surpris. Au bout d’une demi-heure, quand il est expliqué à Sherlock et au spectateur que la fille avec qui il a passé la nuit et qui l’a encouragé à pourchasser un dangereux criminel n’était qu’une illusion de son cerveau malade, tout le monde y croit. On croit à un twist éventé trop tôt alors que la moitié de l’épisode n’est même pas achevée : on adore le personnage de Sherlock mais on ne tire rien des enseignements qu’il essaie de nous insuffler à chaque épisode : toujours essayer de voir plus loin que le bout de son nez. The Lying Detective, en particulier, est plein de warnings, de mises en garde, d’indices, mais la série a le talent suffisant pour que le spectateur n’y voie que du feu. C’est du grand Steven Moffat pratiquant l’Edgar Allan Poe : ballotter le spectateur à un point qu’il finit par ne plus remarquer l’évidence. On retrouve ainsi, dans cet épisode, des éléments qui faisaient la gloire de la saison 6 de Doctor Who, avec le culte des Silence : cette manière d’enfoncer le spectateur, avec le personnage principal, dans des ténèbres dont la porte de sortie, pourtant sous notre nez, n’a jamais été aussi dure à atteindre, en témoigne la difficulté de Sherlock à véritablement prendre Culverton Smith à son propre jeu sadique.
J’avais très personnellement tendance à me plaindre que, depuis sa saison 3, Sherlock ne proposait plus une enquête classique. L’affaire de Baskerville, cela semblait si loin. Mais c’est justement à ce moment là que la série est devenue si puissante, c’est grâce à la sortie de cet état de fait qu’elle enfonce sans problème les films de Guy Ritchie ou Elementary. La série s’appelle Sherlock : dans cet épisode, tout concerne Sherlock, tout est orchestré par lui, et presque tout ce qui l’entoure est parfaitement prévu par lui. Son enlèvement par l’odieux antagoniste digne d’un méchant bondien (sale tête, dents jaunes, catchphrases épiques et art de la manipulation), son sauvetage des griffes de ce même ennemi par Watson, son affichée folie furieuse : tout semble prédisposé à lui nuire alors qu’il s’agit de s’infliger tout cela. Toby Jones, dans une espèce de variation de son rôle de Seigneur des Rêves de Doctor Who (saison 5), est magnifiquement diabolique en nemesis implacable, perverse, tirant les ficelles d’un jeu et d’une réalité mettant à terre le plus grand cerveau d’Angleterre. Mêler cela au capitalisme ambiant, au travers de la mise en scène de Culverton Smith par Culverton Smith, pour pleinement embrasser le choix artistique d’envoyer Sherlock Holmes au XXIe siècle, est d’une ironie mordante ajoutant un niveau de perturbation encore plus inquiétante : le réel, coincé sous les mécanismes d’une élite intéressée, n’est autre que manipulation. Et Sherlock en fait l’amère expérience : comment résoudre des problèmes si notre réalité, et même la réalité nous échappe ?
Pour quelle raison ? Car il n’est pas un Holmes (d’abord, il n’y en a pas qu’un seul et d’ailleurs, si vous avez comme je l’espère vu l’épisode, vous savez comme moi qu’il y en a maintenant un de plus). Il est Sherlock. Humain, malgré son affiché désintérêt pour l’espèce humaine, son esprit hors du commun et son comportement sociopathe. Dans The Lying Detective, on croit qu’il est obsédé et détruit par la perte de Mary, alors que toutes ses actions sont parfaitement calculées pour lui rendre hommage dans la plus grande des fidélités, exactement comme elle l’avait prévu sur son message. Sherlock fait dans cet épisode le don d’humanité avant de résoudre une quelconque enquête, dont il a de toutes façons percé tous les secrets bien vite. Tout, pour sauver John Watson de son deuil. Le but qu’il devait poursuivre était dit, textuellement, à l’épisode précédent : pourtant, il faut attendre la fin de l’épisode pour se rendre compte qu’il l’a déjà accompli. La série sublime ainsi son choix de faire de Sherlock Holmes un geek sociopathe, et révèle (ce qui se voit aussi lors des folies qui le prennent sous l’emprise de la drogue) son côté profondément humain caché sous des capacités hors du commun qui l’écrasent. Par des moments intenses comme le mariage des Watson ou ce trip en Enfer, c’est là qu’est dévoilée la raison profonde de son action au service de la société (même s’il ne l’admet pas et ne veut que dire qu’il résout des énigmes pour le fun) : empêcher le basculement vers la folie façon Moriarty (le délire criminel), façon Sherlock (le trip sous acide)… ou Eurus. Et de là naît ce contrepoids humain qu’est Watson, un idiot, mais un idiot qui est finalement là pour rappeler le sens des réalités, et on le voit : sans son « partner in crime », Holmes est perdu...
A qui fait référence ce The Lying Detective, ce détective menteur ? A la sœur de Sherlock, sans doute elle même remarquablement intelligente au vu de son subterfuge ? A Mary, qui a menti toute sa vie à ceux qu’elle aimait ? A Sherlock, qui ment à la fois au spectateur et à son entourage à propos e ses actions ? A Moffat lui-même, qui parvient à nous piéger ? Ou bien « lying » signifie-t-il aussi mourant, en écho à The Dying Detective dont l’épisode est très librement adapté, et qui annoncerait ainsi, comme dans l’épisode, que les jours de Sherlock sont comptés avant le prochain épisode, The Final Problem ? N’est ce pas plutôt à nous, détectives en herbe tâchant de percer le mystère avant qu’on nous le dévoile, tiraillés entre cette volonté de savoir et le voeu de rester embarqués par la série et ses gaudrioles, et nous mentant à nous-mêmes quand on formule ce désir de savoir avant les révélations ? Toujours est-il que Moffat n’a certainement pas fini son petit jeu forcément jouissif, autant pour lui que pour nous. On pourrait se plaindre de la tendance de la série à tout sur expliquer et appuyer en fin d’épisode mais, tant que la saison n’est pas finie, on ne peut avoir la prétention de savoir ce qui est vrai ou non. Plus encore, elle abat une nouvelle carte, une carte relativement usée au travers de l’histoire du cinéma, mais qui, entre les mains d’un génial écrivain comme Steven Moffat et dans une série avec un esprit génial comme Sherlock Holmes, peut se révéler être le feu d’artifice final dans le jeu auquel nos héros sont confrontés. Après tout, le « miss me » n’est-il pas l’oeuvre d’Eurus ? Cela pourrait-il impliquer que cette soeur cachée ait orchestrée le « retour » de Moriarty, rien que pour le plaisir d’un affrontement avec son frère ? Et Moriarty n’était-il qu’une épreuve, voire une illusion, orchestrée par Eurus envers son frère ? On le saura très vite ; la grande force de cette série, c’est que nous ne sommes jamais sûrs de rien. De la même manière que nous ne sommes pas sûrs de l’existence de Moriarty, en livre ou en série, alors qu’il n’a jamais été autant incarné ; ou même celle de Sherrinford Holmes, 3e frère mentionné par Conan Doyle et par Moffat lui-même, mais qui n’a pas encore d’existence concrète, nos repères sont, à l’image du véritable personnage identificatoire, Watson, franchement troublés.
En fin d’épisode, l’enquête est donc finie. L’odieux bonhomme est arrêté, Watson a mis les choses à plat avec Sherlock et est désormais sous la gâchette de la sœur de Holmes, qui se faisait passer pour sa psychiatre. Tout est prêt pour le grand final de la saison. Et ce qui est formidable, c’est qu’on ne sait pas à quoi s’attendre. L’écriture de cet épisode était brillante, sans pour une fois en faire trop dans la démesure et le contentement de soi.
AMD
4.5
5
0.5