Rétro Pixar, J-6 : Toy Story 3
Suite et fin, au sein de cette rétrospective Pixar, de l’examen de Toy Story, la plus célèbre trilogie de la firme, avant, bientôt, pour le meilleur et pour le pire, l’arrivée d’un quatrième film en 2018. Verdict sur une histoire de jouets qui avait pourtant trouvé une parfaite conclusion.
Dans ce troisième et jusqu’à il y a peu dernier film, réalisé par Lee Unkrich (monteur du premier et co-réalisateur du second), les jouets payent la croissance d’Andy, qui entre désormais à l’université, et a délaissé voire donné des jouets tout au long de son adolescence. Par un concours de circonstances, ils se retrouvent à une garderie, où ils sont accueillis par le nounours Lotso, qui leur promet la sérénité… avant de se rendre compte que les gamins de la garderie ne l’entendent pas de cette oreille et les maltraitent sauvagement. Tous voient donc leur espérance de vie et de consommation menacée…
Double cruauté que celle dont Toy Story 3 fait preuve : à la fois fin d’une aventure, d’une saga, d’une trilogie (et il sera bien intéressant de voir d’où le quatrième va repartir), c’est aussi et surtout la fin d’une histoire, qui nous est annoncée dès le début et avec force impuissance du spectateur, puisque plusieurs jouets qui avaient déjà égayé les précédents films (Wheezy, les jumelles, l’écran magique), à la faveur des lubies des producteurs, des morts et départs des doubleurs, des choix de scénario, n’apparaissent même pas pour faire un petit au revoir. Comme si à la fin fictionnelle s’ajoutait une fin technique, matérielle et cinématographique de cette histoire de jouets qui a marqué l’évolution de toute une génération. Avec le recul, il est clair que Toy Story 3 (qui s’est fait attendre 10 ans) est, entre nostalgie et continuité, entre flashbacks et marche en avant, entre souvenir et accomplissement, une véritable histoire d’achèvement pour ces jouets, l’ultime défi pour leur mentalité de « plus que des produits de consommation », qui devait dire s’ils étaient jetables, interchangeables, muséifiables (comme le demandait Toy Story 2) ou bien s’ils pouvaient prendre en main leur propre futur, entre acceptation de leur condition et affirmation de leurs principes.
C’est bien là la question posée : que faire quand on a épuisé ses artifices jusqu’à la moelle, face à la grande marche de la croissance d’enfant à ado puis adulte qui dès lors pointe les limites de la condition jouet ? Comment se manifeste l’instinct de conservation jouet ? La réponse universelle et à plusieurs variantes semble être l’angoisse : est traitée ici la faculté d’adaptation à cette modification de l’environnement autour de soi pour calmer cette inquiétude généralisée. Cela se manifeste par la fuite en avant, celle des jouets grimpant dans la voiture de la mère d’Andy pour aller à la garderie, où ils découvrent en la personne de Lotso et de son armée d’estropiés (jusqu’au singe surveillant tel le fétiche de Kirikou), façon jouets de Sid avec une conscience de leurs intérêts, la méthode de la prise de pouvoir dictatoriale, une sorte de Léviathan hobbésien avec nettement plus de contrition mais en réponse à un même problème : la peur de l’abandon. Fidèle à ses gags homemade (Buzz désacralisé en mode espagnol qui se met à draguer Jessie, la candeur des extraterrestres à trois yeux face à la « grande pince », versant qui finalement sauve les jouets par ce qui en a toujours fait le sel, c’est-à-dire l’absurde), Toy Story 3 n’a cependant de cesse de faire fuir ses protagonistes comme ses antagonistes face à ce spectre du délaissement, qui conduit même Woody, en offrant son amitié à Lotso, à faire face à la mort par l’ultime coup bas de l’ours. C’est certainement la scène la plus marquante de Toy Story 3 que celle des jouets, tous unis, main dans la main, prêts à être engloutis, ensemble, par le feu, jusqu’à la délivrance : la force de cette scène repose dans le fait que jusqu’au bout, l’incertitude demeure sur comment les jouets vont pleinement sublimer la fin de leur combat, qui pourrait se finir d’ailleurs par leur mort ; et cela se double d’une autre force quand à la fin ils finissent chez Bonnie, donnés par Andy, comme un passage de témoin à la génération suivante, du film et du public, attestant définitivement de leur statut spécial de pourvoyeur de plaisirs (pour Bonnie) et de porteurs de mélancolie et nostalgie (Andy).
Du reste, et avant ce dénouement empreint de soulagement, il y a une fort part d’obscurité, un spectre de fatalité, une ombre sombre, qui s’est jetée sur le monde a priori infantile de Toy Story, extension du problème du devenir que se posait Woody dans le premier épisode, où tout se joue dans l’ombre, indépendamment de leur volonté (le concile de Lotso et ses sbires) et où chaque recoin, chaque conduit d’aération, peut avoir son importance pour la survie. C’est cette veine forte qui donne à Toy Story 3 toute son intensité : l’incertitude, la possibilité de rester jouet et de pouvoir tenir vivace cette possibilité d’évoluer à jour découvert, voire s’accoupler (Buzz et Jessie) mais hors de la vue des humains, une idée de rencontre qui fait penser à Monstres et Cie dans l’unification de Boo et de Sully, ou dans la rencontre entre l’enfant et le vieil homme dans Là-Haut. Une recherche, tant matérielle que spirituelle, de l’innocence, en opposition à la volonté de jouets comme Lotso qui veulent outrepasser leur condition et donc attenter à ce qui fait d’eux quelque chose de spécial. Comme si, conscients de la magie qui entretenait leur perduration, les jouets s’attachaient tout de suite à vouloir la conserver, et qu’Andy renouvelle en jouant une dernière fois avec eux, avec Bonnie, à la toute fin du film.
Entre conte philosophique et chapitre final d’un roman qui tient sa ligne directrice jusqu’au bout sans jamais tomber dans la facilité niaise d’un aspect grand public qui en aurait souillé l’essence, récompensé en apothéose par un Bafta, un Golden Globe, et l’Oscar du meilleur film d’animation (et l’Oscar de la meilleure chanson), agrémentée de quelques guests sympathiques (Timothy Dalton en Mr Pricklepants, Michael Keaton en Ken, Whoopi Goldberg en Stretch) Toy Story 3 achève une trilogie passionnante, touchante, et surtout intemporelle. Et c’est peut-être son plus gros point fort.
Demain, ce sera au tour d’une autre suite, Cars 2, présentée par Adrien.