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Regarder tout Doctor Who (entre 1963 et 1996) – Patrick Troughton, Le Deuxième Docteur

Avec Patrick Troughton, Doctor Who n’est plus seulement une série pour enfants, c’est tout un univers. D’ailleurs, les premiers compagnons du Deuxième Docteur (qui étaient aussi les derniers du Premier) sont Polly et Ben, deux jeunes adultes, tandis que Dodo, l’archétype de la jeune fille adolescente, a disparu avant même cette régénération. La série acte donc un élargissement de son public, nécessaire à sa préservation.

 

Le premier Doctor William Hartnell

L’ère Patrick Troughton (1966-1969)

Patrick Troughton


Malheureusement, ce Second Docteur pâtit d’une chose indépendante de sa volonté : beaucoup d’épisodes sont manquants, y compris son premier arc entier, où il affrontait les Daleks. A mon grand regret, j’ai vite atteint la fin de son ère. Tout un paradoxe, quand on sait que c’est le premier Docteur que l’on voit prendre des notes sur ses aventures !

Patrick Troughton a vite amené une autre ambiance sur les plateaux, où il était très apprécié. Avec sa coupe au bol, sa veste noire trop grande pour lui, et son pantalon presque clownesque, le Second Docteur n’aurait eu besoin qu’une d’une moustache pour faire parodie de Charlie Chaplin. Très extraverti, Troughton aurait suggéré de nombreux changements de costumes, dont celui de pirate, à la production, qui aurait freiné ses ardeurs ; les deux parties se sont accordées sur l’idée d’un Docteur comme « clochard cosmique ».

Une description qui colle bien à la façon de jouer de l’acteur, autant qu’au personnage lui-même, même si elle est un peu incomplète. Le Docteur, personnage bien complexe, a fui sa terre natale, parce qu’il se sentait seul dans ses conceptions, et qu’il avait besoin d’une liberté totale que la société très cadrée des Seigneurs du Temps ne lui permettait pas. Ce faisant, il est devenu un personnage certes libre, vivant là où on veut bien l’accueillir (c’est-à-dire partout et nulle part dans l’espace-temps), mais prisonnier aussi de cette liberté qui le laisse sans autre interlocuteur que lui-même. Pire, quand il trouve des compagnons, c’est pour un temps limité, ceux-ci finissant par partir.

Patrick Troughton a très bien interprété cela, créant un rôle dans le rôle : celui d’un homme très humain, très attaché à la Terre (c’est là qu’il sera exilé à la fin de son ère), mais aussi à son libre-arbitre et ne supportant pas l’injustice, sous toutes ses formes. Caractériel autant que fin stratège, il n’hésite pas à braver le danger, surtout si ça implique de protéger les gens. Le meilleur exemple est The Enemy of the World, véritable carte blanche laissée au talent et à l’imagination de Troughton, où le Second Docteur fait face à un dictateur planétaire lui ressemblant comme deux gouttes d’eau ! Ou encore dans The Mind Robber, épisode fantastique où le Docteur affronte un écrivain connecté à une immense machine, lui permettant, d’un coup de plume, de tordre la réalité. Le Docteur doit alors confronter son imagination à celle de son adversaire, tous deux invoquant des personnages de l’imaginaire, comme Cyrano, Gulliver, Barbe Noire, Raiponce, Lancelot…

Douze ans plus jeune (46 ans contre 58) que William Hartnell, Troughton a fait passer le personnage de figure grand-paternelle à paternelle, d’abord avec Polly et Ben, mais surtout à Jamie (celui qui a eu, dans le « old Who », le plus long mandat de compagnon) et Victoria, puis Zoe, qu’il traite comme ses enfants. Les trois forment un trio très complet : Jamie est le bras armé (et la tête brûlée), Zoe est la conceptrice du plan, et le Docteur se charge de la mise en scène. Une relation hyper fusionnelle, d’où le vrai crève-coeur quand, dans The War Games, dernier épisode du Second Docteur, les Seigneurs du Temps ramènent Zoe et Jamie à leur époque d’origine, mais leur retirent leurs souvenirs d’avoir voyagé avec le Docteur.

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C’est à la toute fin de son ère, justement, qu’on apprend le nom de son peuple, les Seigneurs du Temps, et celui de leur planète, Gallifrey, car c’est lui qui les appelle. Une preuve de courage, puisque c’est lui qui a appelé les représentants de son peuple afin de régler la situation dans laquelle ses amis et lui se trouvent tout en sachant qu’il serait jugé.

C’est avec lui que, pour la première fois, le Docteur est mis face aux conséquences de ses actes passés (la fuite de Gallifrey avec un TARDIS volé) et actuels (il est accusé d’interférer avec l’Histoire et les sociétés). Dans un final de grande classe, Troughton, laissant libre cours à ce qu’il a sur les deux coeurs, défend l’essence même du Docteur (faire le bien, régler les problèmes qui peuvent détruire l’Histoire, même si ça implique d’interférer). Une occasion pour lui de plaider pour ce que son successeur Peter Capaldi, le Douzième Docteur, déclamera aussi à la fin de son ère : « faire ce qui est juste, ce qui est décent ». Mais il est aussi mis face à la malédiction qui suit le Docteur : quoiqu’il fasse, il perd des gens en route, même s’il en sauve l’immense majorité ; il met en danger des gens (ses compagnons) ; et malgré tout, malgré ses précautions, il touche à l’Histoire.

C’est en ce sens que les Seigneurs du Temps l’exilent sur Terre, avec un TARDIS inutilisable, et le forcent à se régénérer. Fidèle à son caractère, le Second Docteur refuse les propositions de nouveau visage faites par les Seigneurs du Temps, qui décident alors à sa place.

Ainsi se concluent trois années de mandat Troughton, qui ne voulait pas en faire plus, épuisé par les tournages et ne souhaitant pas devenir un acteur catalogué. Mais, très attaché à la série, il sera l’interprète qui reviendra le plus souvent : dans The Three Doctors, pour les dix ans de la série (1973) ; pour The Five Doctors, pour les vingt ans (1983), et pour The Two Doctors, épisode sous le mandat de Colin Baker, le Sixième Docteur. Troughton mourra deux ans plus tard, alors qu’il était à une convention Doctor Who.

C’est le Docteur qui a le mieux affirmé le caractère de la série et du personnage, établissant l’extra-ordinaire comme faisant partie de l’ordinaire de la vie de tous les jours. C’est sous l’ère Troughton que naît l’UNIT, unité militaire commandée par le Colonel puis Brigadier Lethbridge-Stewart, et chargée de traiter tous les phénomènes paranormaux.

Son interprétation du personnage est celle qui m’a le plus marqué de ce marathon. Matt Smith, le Onzième Docteur, ne s’y trompe pas non plus : il vante les mérites du nœud papillon, ayant choisi cet accessoire en hommage à son lointain prédécesseur…


Léo CORCOS

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