Pioneer : Du pétrole et des idées
Entre reconstitution haletante d’exploits extrêmes et de la ténue collaboration entre la Norvège et les Etats-Unis et thriller conspirationniste qui ne lésine pas sur la tension, « Pioneer » refuse de choisir. Une vraie surprise parmi les sorties hivernales.
En 1980, d’immenses gisements sont découverts au large de la mer du Nord. La Norvège et les Etats-Unis se lancent à la course à l’or noir pour développer un pipeline pétrolier, et ainsi rendre la Norvège un des pays les plus riches du monde. Mais pour l’extraction de ces gisements, des plongeurs doivent être envoyés à des profondeurs jusqu’ici inatteignables pour l’homme. Une équipe émérite est formée, parmi laquelle Petter (Aksel Hennie), plongeur qui va devoir résister aux pressions notamment à l’aide d’un gaz expérimental qui va lui permettre de pouvoir respirer sous des conditions extrêmes. Mais lors de la première sortie en haute mer, un incident les met en danger. La remontée sera dure, et très vite, Petter est écarté du projet. Sa quête de vérité va le mener à de dangereuses découvertes….
Erik Skjoldbjaerg est un metteur en scène divisé entre deux écoles : les thrillers noirs qui l’ont fait connaître (Insomnia) et son départ aux Etats-Unis, où il a notamment réalisé Prozac Nation avec Christina Ricci. A partir de cette carrière internationale, il joint la necessité de rendre justice à ces héros ordinaires, dont le rôle a été primordial dans le boost de l’économie nationale, et celle de prouver sa compétence comme réalisateur d’action, et d’impliquer le plus grand nombre dans l’histoire de Petter. « Pioneer » c’est donc deux films en un : la première restitue la Norvège du début des années 1980, et des tensions entre Norvégiens et Américains, mais peut se voir comme une réplique à des films comme « Le Grand Bleu ». Difficile aussi de ne pas voir le cinéma de James Cameron dans les scènes sous-marines, aussi extrêmes que photographiées avec une dextérité probante. Le deuxième est la quête de Petter, de plus en plus isolé, se retirant sur son bateau, sa relation avec sa compagne partant en lambeaux… tout comme, le suppose-t-il, sa tête, alors qu’il enquête avec peu ou pas de soutiens.
Ce qui lie les deux, et c’est là la qualité du film, c’est qu’en épousant le point de vue de Petter, le film brouille les sens du spectateur : les absences du personnage sont autant de micro-ellipses, ses problèmes auditifs sont ressentis sur le mixage sonore, et les symptômes post-plongée de Petter se développant de plus en plus, le film redouble d’efforts pour syncoper son rythme. Un ressort bien connu pour épicer ce qui se révèle être un thriller : on pense au vertige dans « Sueurs Froides » de manière plus fameuse. Mais sur fond de pressions économiques fortes pour accélérer le projet, la partie Américaine est dépeinte sous son plus mauvais jour, et de fait les rôles tenus par Stephen Lang (clin d’oeil à Cameron, encore) et surtout Wes Bentley, une des égéries de Vampire Diaries, se réduisent à des Yankees colériques, arrogants et violents. Une caractérisation bêta qui ne fait pas baisser la tension du film, ni son empathie pour son personnage principale… mais qui teste les limites de son univers au fur et à mesure que les avatars spectaculaires se multiplient.
« Pioneer » n’en reste pas moins passionnant, en étant extrêmement didactique sur les défis relevés par l’équipe de plongeurs et l’entraînement physique strict auquel ils sont soumis. Mais le laisser-aller de la deuxième partie (fruit de cinq scénaristes, pas moins) fait preuve d’une certaine maladresse.