Mandela, un long chemin vers la liberté : ….et la qualité
En couvrant l’ascension de Nelson Mandela d’avocat renommé à Johannesburg à l’activisme politique de l’ANC, qui le conduira à trois décennies d’emprisonnement puis la présidence de l’Afrique du Sud démocratiquement, Justin Chadwick a un terrain narratif incroyablement riche. Mais, à de rares exceptions près, il reste trop en surface.
La vie, et les multiples hommages rendus à Nelson Mandela depuis sa mort le 6 décembre, sont assez riches en narration pour que de multiples livres, documentaires et émissions y aient été consacrés dans les deux dernières décennies. Le film, néanmoins, est une adaptation de son autobiographie « Un Long Chemin Vers la Liberté », et ce projet est porté par le producteur Anant Singh depuis une quinzaine d’années. L’analogie la plus facile est le « Gandhi » de Richard Attenborough, en essayant de fournir un portrait authentique de l’homme derrière la légende. Le pari est loin d’être réussi.
La plus grande qualité du film c’est qu’en couvrant plus de quarante ans de la vie de Mandela, les 2h26 de film sont largement rythmées et remplies. Mais puisque le film est sans temps mort, il ne semble pas assez soigner ses épisodes, et le Nelson de « Mandela » semble tiraillé entre charisme magique à l’hollywoodienne et activisme politique se rapprochant au maximum de son ascension dans une société sud-africaine définie par l’apartheid et la colonisation des Boers. Mais ce faisant, les infidélités de Mandela et l’échec de son premier mariage ainsi que l’explication donnée à des enfants qui semblent mal comprendre passent très vite, beaucoup trop vite. Au point où l’entrée de Winnie Mandela, puis leur union, sont acquis de facto, avec des scènes mièvres au possible qui n’existent que pour contraster avec l’incarcération à venir.
C’est là le défaut de « Mandela », qui est un écueil commun des biopics : puisque le choix est fait de se concentrer sur les temps marquants de la vie du sujet, autant les rendre icôniques et en tirer la substance la plus cinématique qui soit. Cette surenchère perd Justin Chadwick, qui n’est clairement pas dans son élément après le discret « Deux Soeurs Pour Un Roi », se perd dans les desideratas du film de commande. Malgré la conviction dans le portrait de l’horreur des émeutes civiles, et des représailles sanglantes de la part des autorités sud-africaines. On aurait pu envisager des choix musicaux plus inspirés : « The Revolution Will Not Be Televised » de Gil Scott-Heron ou « Fight The Power » comptent parmi les « protest songs » les plus connues mondialement, mais donnent l’impression d’une évidence agit-prop plus racoleuse que militante.
Ce qui sauve le film de s’embourber dans une hagiographie, ce sont ses acteurs et une reconstitution convainquante du poids indicible de l’incarcération de Mandela sur sa famille et sa vie de couple. Si l’interprétation d’Idris Elba, même enfoui sous des couches de latex pour le Mandela des années 1980, est toujours imposante et correcte. Il n’a certainement pas à rougir de son interprétation du leader de l’ANC, même si elle ne vient que confirmer son ubiquité sur les écrans, entamée avec « Pacific Rim » et Stacker Pentecoast. Mais c’est dans son portrait du gouffre qui se creuse entre sa femme et lui que le film trouve un semblant d’équilibre et d’honnêteté dramatique. Il est aidé par une interprétation habitée et convainquante de la part de Naomie Harris. Sa Winnie Mandela a une volonté de fer, et elle aide à amener le spectateur dans les tortures physiques et psychologiques, ainsi que les harcèlements des autorités envers ses enfants. Quand la Winnie de Harris parle, elle commande l’attention, et quand elle se radicalise, il y a peu de choses qui peuvent l’arrêter. Contre toute attente, ce focus sur Winnie est le vrai sel du film, et éclaire deux conceptions de la politique qui s’écartent de plus en plus au fil des années. De même, les antagonistes de Mandela sont présentés comme des xénophobes la bave aux lèvres, comme ce directeur de la prison de Kingston prenant les atours du méchant aux grands sabots, et frisant le ridicule. On ne peut qu’être choqué par la différence entre le Mandela d’Elba et celui décrit dans « Goodbye Bafana », par exemple.
Mais le « gloss » hollywoodien de « Mandela : un long chemin vers la liberté » est ce qui le perd, là où l’urgence documentaire requise par le film n’est que trop peu présente.