Magic in the Moonlight : on dirait de la magie
Après l’excellent Blue Jasmine, dans lequel il projetait toute sa névrose à la face du monde, Woody Allen varie les plaisirs (ou pas finalement) en réfléchissant sur le scepticisme et le doute. Le tout enveloppé dans un magnifique ruban comico-cinématographique
Un Woody Allen, c’est comme un cadeau de Noël
. D’abord parce que quoi qu’on en dise, Woody, c’est l’assurance d’une bonne qualité de film. Et d’autre part, on est sûr de ne pas trop se prendre la tête, de se détendre, tout en ne restant pas passif intellectuellement. Manhattan, Annie Hall en leurs temps étaient des modèles de ce genre. Magic in the Moonlight semble revenir à ces premiers amours. Dans ce film aux forts accents français (tourné dans le Sud de la France), Stanley Crawford (Colin Firth) est un magicien connu sous le nom de Wei Ling Soo, puisqu’il se déguise pour ses shows en Chinois. Au-delà de cela, c’est le type le plus misanthrope au monde. Mais c’est aussi, et jusqu’à la moëlle, un rationaliste irascible, et quand un vieil ami vient lui demander de confondre Sophie Baker (Emma Stone) et ses soi-disants pouvoirs de médium, Stanley ne résiste pas à l’appel de son ego et s’engage dans cette entreprise.
Difficile de ne pas voir dans ce film, en filigrane, une (nouvelle ?) introspection « allenienne », sinon sur le sens de la vie, du moins sur sa finalité. Le thème de la magie, qu’on a déjà vu dans Scoop, revient ici sur le devant de la scène. Mais la magie, la prestidigitation n’est qu’un prétexte pour Woody, d’une part pour se bercer d’une illusion contre une vie qu’on sait pertinemment implacable (dans une interview récente, il expliquait à quel point la vie n’a aucun sens, ca vous donne une idée), mais aussi, et c’est le sujet de ce film, pour révéler le sensible dans les personnages. Colin Firth campe ici un avatar de Woody, celui d’un homme dont la jeunesse finit de s’estomper, un homme blasé par la vie, rationaliste jusqu’à la trogne qui ne croit que ce qu’il voit, et qui a horreur des gens qui se bercent d’illusions (cf la ligne hilarante « les médiums, le Vatican, tout ca c’est des conneries ! »). Ce qui est paradoxal puisque lui vit de cette même illusion, faisant des spectacles à succès et se déguisant en ce qu’il n’est pas (tout le trait d’humour du personnage qui passe des manières anglaises à la rigidité chinoise). Stanley Crawford est une équation extrêmement complexe, dont la logique est pourtant implacable. Il fait penser à un mix entre Alceste, le Misanthrope de Molière, le robot Cutie (dans le livre d’Isaac Asimov, Les Robots), surnommé « Descartes-robot », qui se révolte contre ses créateurs du fait d’une logique basée sur des faits, et Sheldon Cooper, le physicien narcissique de The Big Bang Theory, aux raisonnements toujours frustrants de froideur. Même quand il ne joue pas lui-même, Woody nous laisse toujours, à travers ses personnages, un petit goût de Manhattan, d’Annie Hall…
Mais comme chacun le sait (ou en tout cas les mathématiciens), moins par moins, ca fait plus. L’arrivée de la belle mais non moins grugeuse et espiègle Sophie Baker, usant elle de magie pour rentrer dans les bonnes grâces des riches Catledge, va totalement ébranler sa conviction du « pour vivre heureux, vivons cachés ». Et si la réponse à son équation, c’était finalement l’aveuglement, celui crée par la magie bien sûr, mais aussi par l’amour, la beauté, qui pourrait le libérer de la rigueur de la vie ? La vie n’est certes pas un long fleuve tranquille, elle est même faite de flots tumultueux que seule une expérience de terrain peut apprivoiser, mais suivre certaines de ses ramifications, longues ou pas, constitue un beau moyen de s’offrir de douces parenthèses. Il est en tout cas certain qu’une créature telle que celle jouée par Emma Stone a fissuré un marbre qui ne sera plus jamais aussi solide. Vaut-il mieux vivre heureux dans l’illusion ou malheureux dans la vérité ? Sans jamais tomber dans la facilité ou le pathétique, Magic in the Moonlight tourne autour du pot, grâce à son esthétique sublime (vive notre Côte d’Azur !) et à sa bande-son si douce à l’oreille. Ceci sans oublier la muflerie si attachante des personnages estampillés « Woody Allen »
Conte à la fois comique, romantique, philosophique (ou quand Nietzsche rencontre Woody), Magic in the Moonlight, tout empreint de cette bataille entre fatalité et douce naïveté, est un film on ne peut plus agréable, à l’oeil comme à l’esprit, et porté par les splendides performances de ses deux acteurs : l’étoile montante Emma Stone complète par son charme et sa grâce le style « so british » et l’ironie mordante de Colin Firth, aujourd’hui valeur sûre du cinéma. Peut être pas le meilleur Woody, mais à ranger parmi ses bons films et à revoir au coin du feu.
Très belle critique, bien tissée et plaisante à lire! J’ai vu le film hier et j’ai passé un bon moment malgré quelques scènes un peu endormantes. Tout à fait d’accord sur le fait qu’Emma Stone est brillante, elle nous en donne plein la vue!
A quand le dernier Woody ?
Merci Océane 😉
Encore un beau film signé Woody en effet. Je puis comprendre que tu aies trouvé certaines scènes en dormantes, mais après tout, le film ne dure qu’une heure et demie, et au fond, le superflu n’est jamais vraiment superflu chez lui ! 🙂
Quant à Woody himself, il a un projet, toujours avec Emma Stone, mais aussi avec Joaquin Phoenix, ce qui annonce de belles surprises ! Le film est prévu pour l’an prochain, paraît il 🙂