Les Crimes de Grindelwald : la désolation de Gellert
Après un premier film reçu très positivement par le public et la presse, J.K Rowling et David Yates continuent de raconter le périple de Norbert Dragonneau et de ses animaux fantastiques. Victime d’une réception critique plus fraîche mais pour le moment toujours détenteur d’un box office sans faille, que reste-t-il de Fantastic Beasts : les Crimes de Grindelwald ?
Après avoir permis la capture du mage noir Grindelwald, Norbert compte de nouveau voyager, malgré le refus catégorique du ministère de la magie. Toutefois, l’appui de Dumbledore pourrait lui permettre, sous couvert de retrouver Croyance, de rejoindre Tina, avec qui il est en froid. Mais la fuite de Grindelwald, lui aussi a la recherche de Croyance, pourrait compliquer les choses…
Une critique objective ? Le problème d’écrire sur une continuation de l’univers magique de J.K Rowling avait déjà été soulevé dans notre analyse du premier Fantastic Beasts, et ses problématiques n’ont pas changé. Comment faire la part entre la joie de retrouver des personnages mais surtout le monde dans lequel ils évoluent, et les qualités réelles d’un objet cinématographique ? Impossible, et l’auteur de ces lignes rappelle, en guise de prévention sans doute un peu superflue ou évidente pour beaucoup de lecteurs, qu’il y a toujours un parti pris devant l’art, de quel côté qu’il soit. On ne peut s’en défaire et l’objectif est alors de le canaliser, ou d’en user intelligemment comme vecteur analytique : connaître l’œuvre a aussi ses avantages quand on veut traiter de sa continuation.
Une telle entrée en matière est d’autant plus nécessaire que la nouvelle pierre de développement proposée par J.K Rowling et son fidèle (pour le grand malheur de certains) David Yates n’échappe pas à une certaine conscience du poids de l’œuvre et de ses éléments les plus symboliques et cardinaux dans l’imaginaire contemporain. En témoignent certains éléments très superflus et s’intégrant assez mal dans l’intrigue, certes rares, tels que la présence d’un ou deux personnages tels que le professeur McGonagall ou Nicolas Flamel, qui non contents d’être uniquement cités ou rapidement personnifiés d’une manière assez interchangeable, sont aussi, on a pu le voir au vu des polémiques actuelles, vecteurs de confusion dans la propre cohérence de l’univers. On pourra bien sûr prévoir une justification, ici et là, de leur présence étonnante, certains comme votre serviteur s’y livrent déjà, mais il est possible et même souhaitable de déplorer tant de bruit pour des éléments aussi secondaires et inadéquats.
Bien heureusement, nos créateurs n’ont pas eu la main lourde et l’immense majorité des éléments de ce type sont parfaitement justifiés par une intrigue qui ose la complexité et un aspect choral dont on ne soupçonnait pas la maîtrise chez des faiseurs d’images dont, au fond, une des grandes habitudes étaient justement la linéarité, voir la simplicité. Sans pour autant qu’une telle richesse thématique, tout à fait volontairement politique et essentiellement dramatique, soit vecteur d’une trop importante confusion comme on a déjà pu le lire ici ou là, les éléments de décor et les quelques personnages connus qui l’accompagnent ont bien leur place, grâce à elle, dans le récit. Ainsi le miroir du Rised pourra t-il permettre à Dumbledore de mettre en image les sentiments complexes qu’il ressent à l’égard de son ancien amant Grindelwald, ou le collège Poudlard en lui même passer comme vecteurs, pour Norbert comme pour l’ambiguë Leta Lestrange, de souvenirs émus.
Cette richesse thématique, n’évite pas, comme a pu l’évoquer la métaphore politique, notamment par le biais de Grindelwald. Déjà fantôme de tyrans responsables de conflits mondiaux qui viennent (le film se déroule dans les années 1920, le personnage ne se prive pas d’être la force du film, qui par le vecteur d’un Johnny Depp dont le talent semblait jusqu’ici se faner se fait la pierre angulaire d’enjeux mondiaux et dramatiques, convaincant par un simple regard les esprits les plus osctracisés du système à rejoindre ses rangs. La métaphore est évidente et actuelle (la montée du fascisme et des totalitarismes à l’époque inquiétant encore aujourd’hui, quand bien des théoriciens font aujourd’hui le parallèle entre cette époque et la nôtre), et parfaitement déroulée par des dialogues et une iconographie à faire rougir de honte J.J Abrams et son traitement des mêmes enjeux bien plus putassier dans, par exemple, The Force Awakens.
Les Crimes de Grindelwald, pourtant, ne s’arrête pas aux thématiques sociales et politiciennes et pose au même titre au coeur de sa balance thématique un traitement complet et dépourvu de cynisme des relations humaines qui unissent ses personnages. La pierre angulaire n’est alors plus Grindelwald, de la même manière que durant le premier film d’ailleurs, Croyance. Sorte de Rey starwarsienne, encore, hésitant à choisir un camp, et se faisant d’ailleurs alors le miroir d’un Norbert toujours plus distant des choses du monde, Ezra Miller campe formidablement ce personnage que tout le monde recherche, et qui passe lui-même le film dans la quête d’une identité qui ne manquera pas, in fine, de surprendre. Mais cette révélation n’est au fond pas l’intérêt principal, celui-ci résidant plutôt dans la quête en elle-même, grand sujet du film qui mène également certains des personnages les plus positifs à faire de choix que l’on jugera sans doute désastreux, par facilité et par lutte contre cet ostracisme. Si elle a toujours été, ici et là, présente, la pensée politique et psychologique de J.K Rowling semble s’être affinée, pour le plus grand bien de sa création.
David Yates, lui, reste enfin tout à fait à la hauteur pour répondre, dans sa mise en scène, aux enjeux qui sont posés. Si il ne se départ pas (pourquoi le ferait il, si c’est sa patte) de la pâleur de son image, il propose également une mise en scène attachée à servir la complexité de l’intrigue, par une caméra mouvante et très fluide qui s’attarde ici ou là sur des détails qui font sens. La première scène du film, dédiée l’évasion de Grindelwald, témoigne de cette aisance du réalisateur à mettre en image l’action, dans toute sa confusion et sa fureur. Le tout reste très lisible malgré ce mouvement permanent, et témoigne d’un vrai soin apporté à la forme du film. Si il est possible de regretter, ici et là, l’aspect visuel de certaines créatures peu soignées, la plupart d’entre elles sont le vecteur de belles idées techniques, empruntés parfois aux iconographies asiatiques.
Les Crimes de Grindelwald témoigne donc comme des prédécesseurs de l’exigence de la saga auquel il appartient, et des créateurs qui la font vivre. Osant la complexité iconique, refusant la mise à distance cynique vis à vis de ses personnages ou de son intrigue, le film est à recommander comme un vent de fraîcheur. Osant la fin certes ouverte comme pouvait le faire le second volet du Hobbit, mais fermant bien l’intrigue installée comme pouvaient le faire les films précédents de la saga originelle, notamment le sixième, le film rend impatiente l’attente de sa suite, qui devrait arriver d’ici 2020.
AMD