Grave : non, au fond, pas tant que ça
Il est né, le divin enfant. Enfin c’est ce qu’on entend partout sur Twitter, qui fête le renouveau du cinéma français avec la sortie de Grave, premier film de Julia Ducournau. Pour un résultat convaincant, et très inspiré.
Nouvelle venue dans une école de vétérinaires, Justine est sage, réservée et végétarienne. Mais les difficiles séances d’intégration à son nouvel univers pourraient bien changer la donne… Jusqu’à l’excès.
Quand le cinéma de genre est fait par de grands réalisateurs français, on parle d’élitisme et on y va pas. Non, je ne me suis toujours pas remis de l’accueil réservé par le public à Personal Shopper, preuve ultime qu’on est intéressé par le cinéma de genre en France que si celui-ci est démonstratif, un peu complaisant, coloré et pop. Ce qui n’était pas le cas du chef d’œuvre d’Assayas, mais bien celui de Grave, qui inscrit en lettres de sang son nom panthéon du cinéma gore comme, certes, peu de français l’ont fait avant lui. En bon défenseur du cinéma français contemporain (on critique l’industrie alors que, comme l’américaine, elle s’accompagne aussi de perles indés et de grands auteurs qu’il faut aussi aller chercher), j’étais forcément un peu circonspect en allant voir ce film dont les critiques les plus acerbes de notre cinéma vantait les louanges.
Dans les faits, le film m’a quand même convaincu. Je ne peux pas être persuadé que le cinema français soit en manque de ce genre de film tout simplement parce que ce n’est pas son identité culturelle. On souhaite que le cinéma français s’américanise alors qu’aux US, beaucoup ont voulu faire du cinéma grâce à des réalisateurs français … Toujours est il que Grave (qui se prononce à la française, grave n’est pas pour tombe mais pour, sans doute, la condition de la jeune héroïne) ne vient évidemment pas de nulle part et n’est original que dans le prime du cinéma français, bien qu’il marche clairement dans son jeu de couleurs et sa démonstrativité horrifique dans les pas de Gaspar Noé. Internationalement, le film de Julia Ducournau doit beaucoup au cinéma de Lucky McKee, qu’il s’agisse du jeu timide de Garance Marillier (emprunté consciemment ou non à May, ou de son jeu bestial (The Woman est clairement passée par là). Dans le traitement des intrigues et les thématiques d’ostracisme, d’horreur teintée d’humour et de pop et de poésie macabre, on est clairement sur le terrain de All Cheerleaders Die. Le cinema de genre s’auto-cite depuis sa création et Grave n’échappe en aucun cas à la règle, ce qui est une excellente chose car cela montre une vraie appropriation par Julia Ducournau des codes.
Dans son propos, Grave est essentiel. Le bizutage est montré dans un angle original de victimisation qui se révèle en fait relative en révélant des pulsions chez tous. L’homosexuel qui ressent du désir pour la jeune fille, la végétarienne qui rêve de viande humaine, les expériences sexuelles diverses et variées … La réalisatrice ne prend le parti ni des bourreaux ni des victimes et tente un tableau réussi de la psyché humaine répartie dans les deux rôles pour chacun. On craint franchement la redite durant le premier tiers du film mais Grave parvient à se tirer avec force du guêpier qui l’attendait, en défoncant au passage à grands coups de crampons acérés le dit guépier.
Ces coups de pieds, c’est la violence. Grave en regorge et on se demande parfois si le film n’en fait pas un peu trop. Il y a de la complaisance quand l’héroïne se gratte la peau jusqu’au sang, quand elle se bat comme une Bête avec sa sœur… Étonnant comme, comme Gaspar Noé avant elle, Julia Ducournau a l’air de penser qu’il faut surexposer une scène de violence et la faire durer alors que l’horreur ne vient pas du dégoût mais de la surprise. Quand la surprise est passée et que l’immonde continue, c’est de la gêne que l’on ressent. Paradoxal quand on parle de cinema horrifique mais ce n’est pas la durée qui fait que l’horreur est efficace ! À l’extrême, on aurait eu l’horreur en surprise permanence sans durée, screamers pathétiques dont Ouija était rempli. L’un est aussi gênant que l’autre parce qu’ils sont tous deux responsables de la mauvaise vision du cinema d’horreur par ceux qui n’en sont pas amateurs. Heureusement, Grave ne propose pas de surenchérisation systématique et sait souvent se contenir, voir sublimer la violence par l’humour.
On peut être heureux et admiratif de remarquer une telle connivence de Julia Ducournau avec son public, qui doit d’ailleurs sans doute à cela son très large spectre. Elle sait parler à tout le monde, et on a du mal à identifier le degré du film, parfois tout à fait sérieux dans son propos (les scènes de bizutage et de violence sont rarement là pour rigoler) et parfois totalement loufoque, comme quand sa sœur montre ses véritables penchants à l’héroïne. Le final, sans qu’on en dise plus, s’inscrit clairement dans l’ironie et le second degré et la réplique qui clôt le film rappelle les meilleurs Wes Craven, ou encore l’excellent We Are What We Are. Grave est un film très malin puisqu’il joue avec les perceptions du public qui ne sait pas trop ce qu’il regarde parfois (la scène sous les draps) mais reste hypnotisé par les images, qui le hantent bien après la projection. C’est la marque d’un film réussi.
Il faut des films comme Grave, c’est évident. On en a ! Il les faut en plus de ce que l’on a en ce moment, pour garantir une diversité qui pourrait peiner en ce moment sans des films comme Enter The Void, Martyrs, ou Personal Shopper. Il ne faut pas cette diversité à tous prix (on entend déjà certains dire qu’il faudra soutenir le prochain Besson quoi qu’il arrive car il s’inscrit dans le genre de la SF…). Mais il en faut. Grave est un bon exemple de ce que la France sait faire dans le domaine de l’épouvante. Un excellent exemple.
AMD