Gloria : Sexe, mensonges et paintball
Auréolé d’un ours d’Argent bien mérité pour sa protagoniste principale, Sebastian Lelió croque, avec « Gloria » un portrait de senior cru, subtil et plein d’énergie.
Disons-le carrément : « Gloria » comporte la meilleure utiliisation du « Gloria » d’Umberto Tozzi. Mais le quatrième long-métrage de Sebastian Lelio n’a rien de poussif ou daté. Gloria (Paulina Garcia) est mise en scène, se met en scène sur la piste dès le début du film, et rencontre Rodolfo (Sergio Hernández), gérant d’une entreprise de paintball. « Gloria » est un film qui s’ouvre et se referme sur une piste de danse, et toute la force du film se renferme dans le point de vue adopté par Lelio. Si Gloria retrouve une deuxième jeunesse à travers le film, hors de question de la tourner en dérision comme tant d’autres films où Mamie se mettrait à parler jeune et tomberait dans le cliché éculé et facile des « mamies cougars ». Lelio adopte une tendresse envers son personnage principal comme envers son actrice, figure du théâtre et de la télévision chilienne : il confie d’ailleurs que « Gloria » est un peu « une lettre d’amour à Paulina Garcia ».
Cette tendresse n’exclut pas une honnêteté et une crudité dans le portrait du quotidien de Gloria, et celui de Rodolfo. De longues scènes la voient chanter sur des disques de variété, en voiture, ce qui contribue à la rendre attachante pour le spectateur et nous plonger en immersion avec elle. D’autres séquences plus enlevées la voient fumer les joints laissées par son voisin de palier aux crises de nerfs homériques et dérangeantes. Les scènes de sexe entre seniors sont filmées comme celles de couples adultes plus jeunes, et comme une prolongation de Rodolfo qui se livre à elle, et a du mal à savoir quoi faire envers ses deux filles. Les grands plans du couple se retrouvent souvent contrariés, et le tumulte qui en résulte va révéler le comportement de senior-battante de Gloria. C’est, en définitive, dans ces longs regards au loin de son actrice principale que « Gloria » puise toute son énergie. Les moments de mélancolie sont ainsi rapidement remplacés par une volonté d’aller de l’avant : la tristesse est contenue chez le personnage. « Gloria » s’intéresse aussi à sa famille, et aux relations avec son ex-mari, teintées de ressentiment, et de ses enfants, dont sa fille, enceinte d’un Suédois et qui s’apprête à vivre une relation longue distance. Tout ce petit monde se retrouve lors d’une scène centrale de dîner qui révèle la mélancolie et le poids des années, mais aussi le ressentiment des enfants de Gloria pour leur père : ainsi, Lelio s’attarde sur le rejet d’Ana, leur fille, tout au long de la soirée. C’est dans ces études de personnage que Lelio brille : on a pas besoin de connaître le passé et le linge sale (existant) familial; les silences échangés et les réactions gênées aux photos de famille en disent assez long. En définitive, un bol d’air frais bien dessiné et assez rythmé, au point qu’on ne voit pas passer les quasi-2 heures. La bande-son composée de scies gnan-gnan des années 1970-1980 prend tout son relief lorsque l’on montre que son héroïne y croit. Et c’est bien en cela que « Gloria » fonctionne.