Glass: attention, film fragile (sans spoiler)
Vous aviez aimé The Visit ? Tant pis, vous êtes peu nombreux, ce ne sera pas ce film qui sera le maître étalon pour Shyamalan.. Vous aviez aimé Split ? Tant pis, Shyamalan vous a écouté, et en a fait une suite, Glass.
Alors que Kevin et sa vingtaine de personnalités ont réussi à s’enfuir et continuent à vivre une vie instable et faite de crimes en tous genres, David Dunn, l’homme de fer d’Incassable, le pourchasse. Tout se complique quand il se retrouve avec lui dans un hôpital psychiatrique, rejoignant ainsi l’odieux Mr Glass …
La boucle se répète et ne s’arrête jamais. Après avoir élevé M.Night Shyamalan aux nues pendant tout le début de sa carrière, les cinéphiles ont vu sa carrière exploser en vol avec Avatar ou After Earth, énormes ratages critiques et commerciaux. Alors qu’il a osé tenter un retour par la petite porte avec l’honnête The Visit, le réalisateur autrefois porté comme visionnaire l’est redevenu pour bien des gens avec Split, déjà dénoncé ici comme un producteur assez spectaculaire de poudre aux yeux, sans colonne vertébrale ni vraies surprises. Critiques, fans, votre idole vous a trop écouté : est tiré de Split et, pour une raison qui nous échappe encore, d’Incassable (ancien chef d’œuvre du monsieur, quand il ne connaissait pas encore son talent et avant qu’il le surestime), cette chose étrange qui va bientôt s’inviter sur vos écrans : Glass.
On ne sait pas vraiment quoi préférer : le Shyamalan d’Avatar, qui rate son film en étant honnête et conscient de ses limites, ou celui de Glass, qui rate son film en étant persuadé qu’il est magistral ? La question est bien sûr rhétorique mais il est vrai que Glass est le prototype d’un film fait avec la conviction profonde qu’il sera plus malin que le spectateur qui le regardera. Une sorte de Lars Von Trier familial, dont on aurait enlevé tous les plans scabreux (voir l’égorgement en hors champ, presque involontairement drôle), mais dont on aurait conservé la voix off, simplement transvasée dans des tunnels de dialogues interminables. Difficile de tirer quoi que ce soit de ce nouveau film, dont les maigres intérêts psychanalytiques sont soit évincés de cette façon (quand un personnage justifie l’action d’un autre en disant que ça se passe comme ça dans les comics), soit, pire encore, totalement désamorcés par le fait que le réalisateur, qui semble avoir oublié de voir ses propres films, pose des questions dont le spectateur a déjà les réponses.
L’exemple du personnage de Sarah Paulson illustre bien ce problème du film. Les trois personnages principaux, tous plus ou moins vecteurs de pouvoirs surnaturels, sont donc face à cette psychiatre apparente qui dit avoir pour but de prouver que leurs actes ne sont en aucun cas surnaturels, mais bien dus à des dépassements psychologiques justifiables par l’instabilité des personnages. Le réalisateur souhaite donc, flash backs à l’appui, que le personnage se pose aussi la question du réel. Soit. Mais Shyamalan n’ayant jamais fait preuve d’une subtilité réelle, le spectateur a déjà plusieurs fois été témoin des fameux pouvoirs surnaturels des personnages, de sorte qu’il ne se pose jamais les mêmes questions que les personnages et ainsi attend d’un œil détaché le retournement de situation concernant les vraies motivations de la psychiatre, qui ne manquera pas d’arriver. Et tout le film suit cette logique, celle de questionnements fascinants sur la réalité des perceptions, handicapés par des invraisemblances étonnantes pour un réalisateur si perfectionniste (il faudra suspendre votre incrédulité longtemps pour accepter qu’il n’y ait personne pour surveiller les couloirs de l’hôpital en cause, ultra sécurisé, et c’est loin d’être le pire du film), ou par le fait que le spectateur ait déjà les réponses aux questions, réponses qui selon l’acuité de ce spectateur pourront être parfois analytiquement plus riches que celles proposées par Shyamalan… d’où le lien avec Lars Von Trier, lui aussi coupable de tels écarts.
Ces lourdeurs explicatives ne sont qu’un des éléments qui font la lenteur générale du film, peu soigné au point qu’il montre parfois plusieurs fois la même chose (les déambulations de Glass dans l’hôpital, par exemple), ne dépassant les deux heures que par le biais de tels artifices. La faiblesse du script ne s’en fait que d’autant plus ressentir, cela étant ajouté au nombre assez important de personnages qui par logique ne voient aucuns de leurs aspects vraiment développés. Chaque personnage de Glass est secondaire, bien que le film tourne autour de Kevin, il est, lui aussi, empêché d’être développé par la nature même de son rôle aux vingt personnalités… toutes évacuées en une phrase chacune en fin de film. Un sentiment de trop plein ressort souvent du film, formant un paradoxe absurde au vu de la pauvreté de ses thématiques, bien démontrée par le jeu assez anémique de Willis, ou par l’ennui profond se dégageant de Jackson.
Tout juste le film s’échappe-il parfois de cette léthargie d’ensemble par sa mise en scène soignée, les quelques filtres de couleur permettant au spectateur de voir son intérêt tout relativement réveillé par ce qu’il regarde, invité qu’il est à s’interroger sur leur sens. Mais, même dans ces moments, impossible de s’empêcher de penser un peu méchamment que Shyamalan « fait l’auteur », et n’a au fond pas su faire autrement pour réveiller cet intérêt. Glass se regarde avec un agacement certain, qui n’est plus celui d’un gâchis de potentiel mais bien celui d’un trop plein de confiance d’un réalisateur dont, somme toute, il n’est pas interdit de s’interroger sur la réelle capacité à diriger un film intellectuellement stimulant depuis maintenant une bonne dizaine d’années.
Qui eut cru à l’époque d’Incassable que Shyamalan deviendrait un réalisateur à ce point mineur ?
AMD