Game of Thrones : Bilan d’une oeuvre au succès planétaire
En 1996 sortait aux Etats Unis le premier tome de la saga A Song of Ice and Fire de George R.R. Martin : A Game of Thrones. Dix-huit ans plus tard, cinq tomes sont sortis, tous traduits dans plus de vingt langages, et surtout : une série télévisée, crée par la célèbre chaîne HBO, en est à sa quatrième saison. L’occasion de revenir, à travers les trois dernières saisons, sur un phénomène planétaire.
Cela avait commencé avec Ned Stark, vieil ami du Roi Robert. Celui-ci lui avait demandé d’être sa Main, ce qu’il avait accepté. Il était donc parti pour la capitale avec ses deux filles : Arya et Sansa. Ses fils, Robb, Bran et Rickon, étaient restés à Winterfell avec leur mère, Catelyn Stark, née Tully. Jon Snow, le fils bâtard de Ned, s’était engagé à devenir un soldat au Mur, pour protéger le royaume d’une invasion de supposés Marcheurs Blancs.
A partir de cela, de nombreux liens, de nombreuses intrigues se développent sur un total de, pour l’instant, plus de quatre mille pages, et trois saisons. C’est d’ailleurs ce qui marque dans cette œuvre : les chiffres. Le nombre de personnages, déjà : suivre l’intrigue politique devient rapidement simple, à condition de retenir les généalogies des différents personnages. Ici, le présent se mêle au passé, étant entendu que la guerre est toujours imminente et que le dernier conflit ne date pas d’il y a très longtemps. Entre les frères, sœurs, cousins, bâtards, et les changements d’identités, il est parfois difficile de s’y retrouver. Si HBO, dans son adaptation du premier tome, a pu garder et la trame et les personnages, il n’en va pas de même pour l’adaptation du reste de l’oeuvre. Les scénaristes ont en effet du, sur certains points, épurer, et modifier. Ainsi, plusieurs personnages fusionnent en un, et des raccourcis, à la fois géographiques et au niveau de la narration, sont opérés. Cela reste relativement peu gênant, à la fois pour le lecteur des livres, et le simple spectateur de la série.
Dès sa première saison, Game of Thrones a été un grand succès : portée par un grand casting, elle n’affiche pourtant aucune star. Ainsi, personne ne vole la vedette aux autres : seul l’intrigue est au centre de l’attention. La réalisation est d’un niveau relativement égal le long des trois saisons, de même que les scénarios – même si les épisodes écrits par l’auteur lui-même sont d’une intensité et d’une importance plus grandes pour l’histoire. La musique, composée par Ramin Djawadi, accompagne toujours admirablement les épisodes.
En vérité, indépendamment de tout cela, Game of Thrones passionne : à l’inverse de phénomènes comme Harry Potter, où les livres étaient bien connus avant la sortie des films, ici, la saga écrite par Martin reste relativement dans l’ombre comparée à la série – en France, en tout cas, où la majorité des gens préfèrent regarder la série plutôt que de lire les livres. En effet, sur les réseaux sociaux à l’heure de la sortie des épisodes, on retrouve peu de débats questionnant la fidélité du travail de HBO à l’oeuvre originale : Game of Thrones semble vue comme une œuvre à part entière, indépendamment d’une série de livres qui, de par sa longueur, peut décourager. Cependant, le travail de comparaison entre la série et les livres est, à plusieurs égards, intéressant.
Déjà, ô lecteur francophone, il n’existe que cinq tomes de A Song Of Ice And Fire. Le travail des éditeurs français a fait que un nombre incalculable de tomes a été publié et que ces tomes ont ensuite été réunis en « intégrales ». Ces intégrales suivent en fait le découpage des tomes originaux. Deux tomes de plus sont prévus par l’auteur. Ces livres sont organisés en points de vue : chaque chapitre est écrit du point de vue d’un personnage en particulier. Il est bon de noter que les rois n’ont pas de point de vue : Robert n’en a pas, de même que Robb, Joffrey, Stannis ou Renly. Le nom du point de vue peut également changer lorsque le personnage change d’identité – ceci se voit surtout dans le quatrième tome, A Feast for Crows. Cette façon de procéder enlève le côté épique que la série peut avoir : en un plan général, on peut montrer énormément de choses, alors que dans le livre, il n’y a aucun point de vue général pour englober la situation. C’est en lisant, chapitre après chapitre, qu’on peut avoir une bonne vision d’ensemble d’un événement passé. L’intérêt de la lecture se trouve, justement, dans les détails : ainsi, les points de vue les plus intéressants sont le plus souvent ceux de Jon, personnage qui agit très peu mais qui observe beaucoup. Malgré les grandes qualités de la série, elle n’a aucun moyen plausible de rendre de petites pépites comme « pendant un instant Tyrion sembla aussi grand qu’un roi » (traduction littérale, mes excuses).
Là où le bât peut blesser dans l’adaptation, c’est, étrangement, au niveau des personnages. Par manque de temps, certaines choses, très complexes, sont résumées, raccourcies, et la caractérisation des personnages en pâtit. Cela est particulièrement marquant avec Daenerys : son personnage dans les livres est déjà dans une situation peu confortable en tant qu’elle est isolée, et sans aucune notion de ce qu’il se passe à Westeros. Dans le livre, Daenerys tue et sauve des vies et chacun de ses actes est montré de façon égale. Dans la série, elle fait la même chose, mais l’accent est mis sur le côté positif que ses actes ont. Ainsi, on se retrouve avec un personnage qui n’a aucune idée de ce qu’il se passe dans le royaume qu’elle veut conquérir, mais qui est en plus tellement glorifié qu’elle en devient, à la fin de la troisième saison en tout cas, un personnage totalement et sans développement – au contraire d’un personnage comme Sansa, moins attirant parce que ne correspondant pas au stéréotype de la femme dure à cuire, mais qui a, en trois saisons, connu une évolution incroyable pour se plier au jeu des trônes tel que le jouent Cersei ou encore Margaery. Même si ce genre de raccourcis est parfois compréhensible au vu des contraintes que le format de la série impose, il n’en reste pas moins regrettable.
A la fin de la troisième saison, nous en sommes à la moitié du troisième tome. On peut dire, après trois ans à regarder la série, que, si l’on peut sentir un détachement assez marqué, et parfois nécessaire de l’oeuvre originale, Game of Thrones se caractérise néanmoins par une grande qualité au niveau de la technique, et des décors et costumes, et de certaines performances d’acteurs : on saluera notamment la prestation de Michelle Fairley, constante tout le long des trois saisons, et particulièrement incroyable lors du neuvième épisode de la troisième saison.
A l’heure actuelle, au vu de la qualité globale des trois premières saisons et des audiences, Game of Thrones a d’ores et déjà été renouvelée pour deux saisons de plus. Il ne fait pas de doute qu’elle a encore de beaux jours devant elle, et si l’aficionado des livres peut parfois craindre le pire, des épisodes comme le deuxième épisode de la quatrième saison sont là pour le rassurer que, oui, il y a quelque chose de George R.R. Martin qui subsiste dans la série. A Song of Ice and Fire fera date dans la littérature fantasy, tout comme Game of Thrones fera date dans l’histoire des séries. Si tout n’est pas toujours parfait, le niveau global de la création de HBO est quand même dans la moyenne haute de ce qui se fait aujourd’hui. Et quand même bien on peut – toujours – trouver des petits défauts, il n’en reste pas moins que Game of Thrones passionne et surprend. Et croyez la lectrice que je suis : c’est loin d’être terminé !