Le Cinquième Pouvoir : premiers baisés
Le Cinquième Pouvoir prouve que le phénomène WikiLeaks, emmené par son charismatique et énigmatique fondateur Julian Assange ne pouvait pas passer outre les mailles des producteurs d’Hollywood. C’est une histoire digne des meilleurs blockbusters américains que le fondateur de WikiLeaks nous a offert: recherche de vérité, de justice, dénonciation de complot et tout cela sous fond d’humanisme et de protection grandes valeurs telles la transparence, le respect de la vie privée et des informateurs.
Une histoire qui a tout pour faire vibrer le coeur des Américains se plaçant comme les gendarmes du monde. Sauf que dans ce cas, c’est principalement l’Amérique qui a été placée sur le banc des accusés par Assange et son organisation.
Le scénario de Le Cinquième Pouvoirse concentre, en effet, sur la publication des documents concernant l’Afghanistan par la Private Chelsea Manning et celle des cables diplomatiques. Bien sur, WikiLeaks a oeuvré sur d’autres terrains (et c’est d’ailleurs exposé durant les deux heures) mais toute l’oeuvre tend vers cet événement qui, comme il est exprimé dans le film, “la plus grosse fuite de documents secrets l’histoire”. Le film couvre la période de 2007 à 2010. 2010 étant l’année où les logs d’Irak et d’Afghanistan ont été publié sur le site. Pour l’année de départ, nous n’assistons pas au début de WikiLeaks puisque que le site a été crée en 2006 par Julian Assange seul. Mais nous découvrons les méandres de l’organisation en même temps de Daniel, qui deviendra le “co-fondateur” de l’organisation par la suite.
Niveau réalisation, le travail est fait. Même si on fonctionne via flashback parfois, on ne se perd dans la chronologie. Les plans pour nous faire comprendre l’organisation de WikiLeaks avec sa salle plein de bureau et d’ordinateurs est bien trouvée. Il n’y a pas non plus de problèmes de rythme. Je ne me suis pas ennuyée une seconde car il y a toujours des rebondissements qui nous accrochent quand le rythme commence à baisser un peu (il faut bien qu’on se repose vu le torrent d’information qu’on se prend en pleine tête). Non vraiment, la réalisation, même si elle ne vaut pas un Oscar, n’est pas le reproche que je ferais au film.
Par contre sur le fond … Là j’ai plus de choses à regretter. Tout d’abord, la façon dont est dépeint Julian Assange. Benedict Cumberbatch lui même a déclaré que le réalisateur voulait faire passer Assange pour un mégalomane anti-social (cf Vogue magasin: http://archive.is/H6JCl ). L’acteur lui même semblait avoir un problème avec cette représentation du personnage. Mais il semblerait que le réalisateur ait gagné car dans le film, on a l’impression d’un Assange prophète et gourou de la secte de l’information. Le scénario est parsemé de grandes phrase syllabine que le personnage de Julian Assange prononce à chaque fois qu’un problème se produit.
Vous pouvez me dire qu’après tout, je ne connais pas Julian Assange donc je ne peux pas savoir si la représentation est fausse. Mais le problème, c’est que eux non plus. En effet, Julian Assange a refusé de collaborer au film. Il a échangé quelques mails avec Cumberbatch pour lui expliquer pourquoi le film ne serait pas représentatif. Il faut savoir que le film est en partie basé sur le livre de Daniel Berg, ex-associé de Julian Assange qui n’est pas parti sur de très bons termes et qui n’est donc pas non plus le mieux placé pour décrire la personnalité de Assange.
Cela rejoint un autre défaut au film: au final, on ne sait pas vraiment dissocier le vrai du faux, étant donné que personne qui est actuellement à WikiLeaks n’a participé au projet. Je ne dis pas que la production est en tord et que Assange et WikiLeaks disent forcement la vérité. On ne sauront probablement jamais la vérité sur cette période et sur l’organisation en général mais justement, faire un film quand il y a tellement de zone d’ombre n’était peut être pas la meilleure des idées. Ou alors c’était une occasion de laisser au grand public se faire sa propre idée ? J’en doute car le film n’a pas été présenté dans cet optique mais bien comme un biopic à la fois sur Assange et sur l’organisation qu’il a monté. Par contre, moi je vais vous laisser l’opportunité de vous faire votre propre idée en vous laissant regarder le film (et ma critique) et en vous mettant le lien du mémo écrit par WikiLeaks qui reprend point par point ce que, selon eux, est faux dans le film: http://wikileaks.org/The-Fifth-Estate.html#about
Il faut aussi savoir que ce film sort à une période charnière. En effet, Chelsea Manning (anciennement le Private Bradley Manning, qui a demandé à ce que l’on présente maintenant comme une femme) vient de faire une demande de grâce auprès du Président online casino Obama car son appel est en cours aux Etats-Unis. Je rappelle qu’elle a été condamnée a 35 ans de prison pour savoir donner des documents (logs) confidentiels sur la guerre en Irak et en Afghanistan appartenant à l’armée américaine (ainsi que des cables diplomatiques). L’affaire repasse donc devant un Grand Jury est l’opinion publique joue un rôle important au USA.
Ce qui m’a interpellé dans le film c’est qu’il est présenté comme quelqu’un ayant des problèmes mentaux … S’ils font référence au fait qu’il soit transgenre, je trouve cela assez dangereux et totalement inadmissible de la part de la production. De plus, c’est une tentative de décrédibiliser le travail et le geste qu’il a effectué pour WikiLeaks (et pour la transparence chère à l’organisation de Julian Assange).
Pour finir, ils ont tenté de nous dévoiler le passé de Assange. Quel est l »intérêt si le but premier est de comprendre son organisation ? Car si le film s »appelle The Fifth Estate, c »est que le sujet principal n »est pas que Assange mais bien WikiLeaks et son impact sur la politique internationale. Alors les passages où ils tentant de donner des explications sur la couleur de ses cheveux, de nous faire pleurer en nous disant qu »il n »a connu son père qu »à l »âge de 25 ans … C »est superflu ! Mais il y a quand même des informations sur le passé de Assange qui sont bien utilisée dans le film: comme comment il a commencé sa « carrière » de hacker alors qu »il était adolescent, le fait qu »il ait réussi à hacker la NASA. Là j »ai appris des choses (oui, j »ai vérifié après et c »était juste) et en plus, ça sert le scénario car on peut comprendre le cheminement qu »il a eu et qu »il a entrainé à être ce qu »il est maintenant.
Choisir Julian Assange et WikiLeaks et en faire un film était un pari très risqué. Le sujet est bien trop sensible et il y a trop peu de certitude pour en faire un bon film qui soit neutre et non partisan. Il semblerait que Bill Condon ne soit pas assez subtile pour réussir le pari qu’il s’était fixé. Disons pour finir qu’il nous a sorti un bon film d’espionnage digne des héros à la James Bond mais pitié ne vous basez pas sur ça pour vous faire un avis sur le travail de WikiLeaks. C’est quand même le comble pour un film sur une organisation qui vise à la transparence et à nous montre qu’il y a émergence d’un cinquième pouvoir au delà de la présentation des médias.
Elvire.