Blade Runner 2049 : le temps et le souvenir
35 ans après Ridley Scott, Denis Villeneuve s’attaque à Blade Runner et rappelle Harrison Ford.
En 1982, le monde découvrait Blade Runner de Ridley Scott, adapté du roman Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de Philip K Dick. Le film se déroulait en 2019, époque dans laquelle les mégalopoles étaient devenues insalubres et délaissées pour la conquête de colonies, dans l’espace. Les humains avaient créé des robots identiques à eux-mêmes malgré une force supérieure, les répliquants, afin d’en faire leurs esclaves dans les colonies. Mais une vague de révolte souffle parmi les répliquants les plus perfectionnés, les Nexus 6. On ordonne d’éliminer les Nexus 6, le terme donné à l’agent chargé de cette mission est Blade Runner.
L’annonce d’une suite au film de 1982, restauré en 2015, n’avait pas été au goût de tout le monde et pouvait engendrer certaines craintes tout à fait justifiées. C’est finalement Denis Villeneuve (Sicario, Premier Contact…) qui sera annoncé comme réalisateur du projet, accompagné par un casting comportant (entre autres) Ryan Gosling, Ana de Armas, Harrison Ford et Jared Leto. Comme son titre l’indique, Blade Runner 2049 se déroule en 2049, soit des années après le retrait des Nexus 6 du système. Une nouvelle sorte d’androïde a été développée, les Nexus 8, conçus et suivis de sorte à être plus dociles que leurs prédécesseurs. Les Nexus 8 sont chargés de traquer et d’éliminer les rares Nexus 6 restants. L’officier K est chargé de cette mission lorsqu’une découverte l’amène à remettre en question ses origines et, de ce fait, sa nature.
Pour répondre directement à la question d’une part du grand public, il est possible de comprendre Blade Runner 2049 sans avoir vu le film de Ridley Scott au préalable. En revanche, il est bien plus intéressant d’avoir tout de même vu la première œuvre pour en saisir toutes les subtilités, autant sur un plan purement scénaristique que sur les réflexions engendrées par cette suite. Mais rappelons que, de manière générale, Blade Runner (1982) mérite de toute façon le détour.
En s’attaquant à la suite de Blade Runner, Denis Villeneuve ne s’attaquait pas à la simple suite d’un succès mais d’un film culte et de tout un univers, d’une esthétique particulière, visuelle comme sonore. Un des grands défis de ce Blade Runner 2049 était de proposer sa propre ambiance, dans la lignée de son prédécesseur, tout en conservant l’identité de l’univers. C’est chose réussie puisqu’on retrouve autant d’anciens motifs que de nouvelles idées aux inspirations diverses. Moins onirique, peut-être aussi moins radical mais à la portée tout aussi si ce n’est plus philosophique, Blade Runner 2049 n’est pas un blockbuster sans âme, au contraire. Villeneuve travaille la temporalité de son œuvre jusqu’à en faire un outil à part entière et s’autorise à s’arrêter sur les détails pour prolonger l’expérience sensorielle. Le film (d’une durée de 2h43) prend son temps, de façon à servir autant la réflexion qu’il engendre que l’intériorité de son personnage principal.
Comme nous l’expliquions précédemment, Blade Runner 2049 ne renie pas les questions philosophiques que pouvaient engendrer le livre ou le premier film, au contraire. Et il est laissé au spectateur le temps de faire cheminer sa réflexion, d’apporter sa propre réponse avant que l’avancée de l’histoire s’en charge. Cette implication du spectateur passe également par le personnage principal, cas à priori typique du héros en quête d’identité. Dévoiler l’intrigue sous le prisme de K pousse certes, par l’identification au personnage, à adhérer à ses doutes mais Blade Runner 2049 ne se contente pas de ce minimum syndical. Le film ne propose pas seulement un héros charismatique mais creuse à la fois sur le sillon de la psychologie, de l’intériorité, comme celui de la philosophie et du grand spectacle. L’écriture du personnage est remarquable d’autant plus que ses enjeux ne sont pas vains, les questions ne sont pas posées dans l’optique de meubler le film mais celui-ci est davantage articulé autour de ses questions. Enfin, on notera l’interprétation sans faute de Ryan Gosling dans ce personnage taiseux (mais dans une moindre mesure comparée à Drive). L’acteur, qui apparaît ici dans son premier blockbuster, prouve qu’il sait choisir ses projets et fera sans aucun doute taire ses détracteurs puisqu’il mène véritablement le film. Si les affiches nous vendaient une multitude de personnages, c’est bel et bien celui de Gosling qui est au centre de l’intrigue, les autres figures, bien que toutes aussi importantes, n’étant finalement, en termes de temps présence à l’écran, que des rôles secondaires (n’espérez pas ici voir beaucoup Jared Leto, bien que sa prestation soit tout à fait honorable). Denis Villeneuve apporte également, par un regard précis, une approche toujours intéressante du personnage qui, couplée au jeu d’acteur, le magnifie comme l’écrase par sa caméra. Ainsi, Gosling/K apparaît aussi magnétique que déchirant.
Si ce personnage est le centre des questionnements sur l’humanité, Blade Runner 2049 est également un film sur le temps – le temps et le souvenir. On se souvient tous du court mais percutant monologue du film de 1982 qui se terminait par cette phrase : « all those moments will be lost in time, like tears in rain”. On assiste, dans le film de 2017, à un suivi du souvenir individuel pour tendre vers le collectif. Il y a, de manière générale et ce tout au long de Blade Runner 2049, une volonté d’utiliser les thématiques et motifs du film de Ridley Scott tout en se les réappropriant. Villeneuve ne reprend ni la pluie continue ni l’obsession du film neo-noir que semblaient affectionner Scott mais amène la neige et les grands espaces. Aux limites de l’âme, Villeneuve apporte également les limites physiques. Si les scènes d’action sont très peu nombreuses compte tenu la durée du film, elles s’inscrivent dans une recherche de performances au cours desquelles l’humain né de façon naturelle comme le répliquant peut se voir perdre tout ce qui le définit. De ce fait, même si Blade Runner 2049 est par certains aspects plein d’espoir, il demeure un film très crépusculaire, à la fois memento mori et conscient du temps qui le sépare de son prédécesseur.
La mise en scène de Villeneuve est par ailleurs impeccable, pour ne pas dire splendide. On retiendra les scènes avec le (très intéressant) personnage de Ana de Armas, à l’écriture malléable mais à la réalisation inventive, qui leur confère à la fois un certain malaise et une dimension presque mélancolique, associée à un certain romantisme volontairement vain. Pour se reporter à présent davantage sur la forme pure du film, on peut noter la photographie toujours réussie de Roger Deakins mais sur laquelle ne s’appuie finalement pas trop (ce qui n’est pas forcément un mal) l’œuvre. Le travail sur les lumières est par ailleurs aussi remarquable que celui sur la décoration.
La composition musicale est assurée par Hans Zimmer. Succéder à Vangelis et à son Love Theme fascinant n’avait rien d’aisé mais la musique de Blade Runner 2049 ne prétend pas à l’égaler dans une tentative de reproduction modifiée. La composition reste ainsi splendide, propre à elle-même bien que parfois justement référencée. Son utilisation est fort heureusement bien dosée afin d’appuyer la dramaturgie des scènes plutôt que de noyer le tout dans un brouhaha permanent.
Si l’on peut peut-être faire un reproche au film, c’est de s’avérer un peu poseur sur certaines scènes concernant des personnages secondaires qui auraient, soit méritées d’être approfondies soit raccourcies (au choix). On ne prendra pas le risque d’en dévoiler trop mais le personnage de Leto apparaît dans une dimension qui peine à aller au-delà de son aspect mystique alors que l’on meurt d’en savoir plus. De son côté, celui de Ford se résume en grande partie à sa fonction. Mais tout cela n’est finalement pas un mal puisque la concentration est ainsi effectuée sur le personnage de Gosling, ce qui permet un vecteur humain si puissant.
En joignant habillement questionnements intimes, réflexions philosophiques, grand spectateur et splendeur visuelle, Blade Runner 2049 est un coup de pieds magistral dans les blockbusters sans saveur qu’a pu nous pondre Hollywood dans le passé. En tirant vraisemblablement ses inspirations ailleurs que dans l’industrie du grand spectacle américain et loin d’être corrompu par son le gros budget de son projet, Villeneuve s’impose comme véritable auteur, ô combien respectueux de l’œuvre de Scott sans pour autant se livrer à un fan-service ou trop de zèle.
Le terme de « suite » prend toute son importance quand on réalise que Blade Runner 2049 n’est pas une imitation mais tend par une véritable volonté de compléter le propos et les réflexions engendrés par le premier Blade Runner. On ne sait pas si on peut vraiment prétendre qu’il l’égale et on se gardera pour le moment d’aller aussi loin, c’est à présent au temps de juger.
Manon.