BlacKkKlansMan: Noire révolte
« BlacKkKlansman » est sorti sur nos écrans le 22 août 2018. Réalisé et produit par Spike Lee, il a reçu le Grand Prix du Festival de Cannes et reste depuis, encensé par la critique.
Cette œuvre qui dénonce le racisme en Amérique décide d’attaquer le problème sous l’angle de la comédie policière. Rien que l’affiche montrant un Noir sous la terrible capuche blanche nous annonce déjà la couleur (sans mauvais jeu de mots ). Adapté du livre « Black Klansman » de Ron Stallworth, paru en français sous le titre : « Le Noir qui infiltra le Ku Klux Klan » chez Autrement, ce film retrace l’histoire vraie de Ron Stallworth, policier noir du Colorado qui a réellement enquêté sur cette organisation raciste. Attardons-nous donc sur ce sujet plus qu’intéressant.
Attention, cette critique contient des spoilers.
Tout commence en 1978 où Ron Stallworth, arborant une belle coupe afro, devient le premier policier noir à intégrer les effectifs de Colorado Springs. Accueilli par des supérieurs bienveillants, il essuie néanmoins le racisme ordinaire de ses collègues à coups de remarques méprisantes balancées en douces. Trop doué pour rester aux archives, il est muté aux renseignements, et trompe un jour son ennui… en répondant spontanément à une annonce du Ku Klux Klan. Souhaitant se faire recruter, il établi un long discours haineux sur « ces sales nègres qui posent leurs sales pattes sur sa soeur», ainsi que sur « les ritals, les latinos, et les juifs » qu’il ne supporte plus. Impressionné, le KKK l’intègre directement, et ce n’est que le début des ennuis ! De plus, la lutte contre le racisme dépasse bien plus le clivage Noirs/Blancs quand on apprend que sa doublure sera incarnée… par un Juif, Flip Zimmerman, joué par un Adam Driver bien plus à l’aise dans ce rôle que pour le maladroit Kylo Ren de Star Wars. Grâce à leur couverture, ils vont réussir à déjouer de nombreuses actions dangereuses du KKK, sur fond de manifestations pour les droits civiques des Noirs, menées par Kwame Ture, membre des Black Panthers. Ron va nouer une idylle avec Patrice Dumas, la présidente du « Comité de Coordination des Étudiants Non Violents », tout en continuant d’espionner le KKK à l’aide d’un micro posé sur Flip, son coéquipier, qui se rend auprès des suprémacistes blancs pour en savoir plus sur eux.
La description du Ku Klux Klan était très bien rendue à plusieurs niveaux. Déjà, le registre comique. Ces racistes ont tous un Q.I. limité, surtout l’un d’eux particulièrement abruti (Ivanohe, joué par un Paul Walter Hauser qui joue très bien la panne de cerveau…). Même le Grand Sorcier du KKK, David Duke, ne se doute pas une seule seconde d’avoir un Noir au bout du fil quand Ron Stallworth l’encense à coup de « Vive l’Amérique Blanche ! ». On ne peut s’empêcher de songer à cette scène mythique de « Django Unchained » de Tarentino, où des membres du KKK n’arrivent pas à se mettre d’accord pour les trous à faire dans leur capuche ! C’est un peu le stéréotype du méchant tellement bête qu’il tombe dans son propre piège, mais quand on sait que c’est inspiré de faits réels, ça ne laisse plus de place à aucun commentaire… Ensuite, il faut parler du réalisme. Le chef de l’organisation locale du Ku Klux Klan, Walter, joué par un extraordinaire Ryan Eggold, semble vraiment… « normal ». Exactement comme l’Américain moyen que l’on croise au travail et que l’on veut inviter chez soi… Cela en devient perturbant quand on sait qu’il adore s’entraîner à tirer à la carabine sur des pancartes en formes de « nègres », mais on ne sait plus quoi penser quand il dit qu’il est entré dans l’organisation suite au viol de sa femme par des Noirs. Comme si le film nous avertissait bien mieux que n’importe qui que tout le monde peut devenir un jour raciste et suprémaciste. Par amalgame, ou par ignorance.
Autre point très important, l’utilisation des archives. Kwame Ture, cité plus haut, a réellement existé, ainsi que les nombreuses manifestations noires dans le Colorado. Plus impressionnant, Spike Lee nous propose toute une scène très intéressante avec la présence d’Harry Belafonte, qui nous raconte l’atroce lynchage d’un jeune Noir en 1916. Du nom de Jesse Washington, cet homme a été émasculé, couvert de pétrole et brûlé sur un bûcher par la foule, au Texas. Dans la réalité, Harry Belafonte est un chanteur d’origine martiniquaise et jamaïcaine âgé de 91 ans. Cependant, Harry a bien connu les manifestations pour les droits civiques, et est resté ami avec Martin Luther King jusqu’à son assassinat. Donc, la fiction et la réalité sont entremêlées. Le récit de cette exécution publique est présenté dans une scène parallèle à une cérémonie du KKK avec David Duke, ce qui permet une réponse entre les Noirs et les suprémacistes blancs magnifiquement suspendue dans le film. Les membres du KKK, alors que le récit du lynchage se poursuit, sont montrés en train de regarder « A Birth of a Nation », immonde film de propagation raciste immontrable aujourd’hui, qui est sorti en 1915, soit un an avant le drame. À noter que les photographies du calvaire de Jesse Washington sont elles, bien réelles.
Notre critique serait incomplète si nous ne saluions pas l’extraordinaire prestation de Jasper Pääkkönen, qui joue Felix, un membre du KKK. Félix est un redneck tout ce qu’il y a de plus taré. Son regard fixe et psychopathe ne cesse de détailler Flip Zimmerman de la tête aux pieds, soupçonnant jusqu’au bout ses origines juives. Il est tellement extrémiste que même les autres membres du KKK ont peur de lui, c’est dire. Voulant causer du tort à Patrice, il engagera sa femme, douce et rondelette (oui, même elle inspire la sympathie!) pour poser une bombe devant sa porte. Mais rien ne se passera comme prévu, et c’est lui qui finira tué accidentellement par sa femme. Comme quoi, ils ne sont pas doués au Ku Klux Klan…
Pour en revenir à Flip, il incarne à lui seul la meilleure scène du film, selon Spike Lee himself. Lorsque Ron le pousse à bout en voulant connaître ce qu’il pense vraiment du Ku Klux Klan, Flip laisse tomber la carapace du policier professionnel pour enfin se confier. jusqu’à présent, il n’avait jamais participé à des coutumes ou à des rites juifs, mais quand il se retrouve face à l’antisémitisme et au négationnisme du KKK, il finit ébranlé dans ses certitudes et se met, pour la première fois de sa vie, à réellement s’intéresser à ses racines juives. Même Spike Lee se dit très fier de cette scène, car il redoute que son film fasse trop lisse et académique, impasse que ce passage évite grâce à sa complexité. Et c’est bien l’un des défauts du long-métrage. On dirait que Lee a « trop voulu bien faire », ce qui fait davantage penser à un documentaire bien sous tous rapports, mais sans vraiment d’apport personnel. Un peu comme un bon petit travail scolaire gentillet qui ne parvient pas à dépasser le manichéisme du film. On est loin du gros impact de « Django Unchained ». C’est dommage. Autre inconvénient du film, la prestation de l’acteur principal, John David Washington, qui certes est impeccable, mais guère plus. L’acteur semble complètement dénué d’émotions, et paraît totalement vide de l’intérieur, même au feu de l’action. Tous les autres acteurs semblaient moins fades que lui à côté, ce qui est étonnant. Mais comme cela n’impacte pas la qualité du film, ce n’est absolument pas gênant.
En conclusion : n’hésitez pas à aller voir ce film pour sa bonne adaptation du livre dont il est tiré. Le véritable Ron Stallworth a été contacté par Spike Lee, et il a même tenu à confier son authentique carte d’adhérent du Ku Klux Klan pour les besoins du film. D’ailleurs, si vous voulez vous amuser à savoir quels sont les détails qui sont vraiment arrivés et ceux inventés pour les besoins du long-métrage, vous pouvez aller vérifier sur cet article
En visionnant le film, vous serez surpris de vous laisser aller dans l’ambiance entraînante des 70’s, et vous jubilerez en voyant les échecs successifs du Ku Klux Klan. Mais est-ce que tout va mieux en Amérique ? Certainement pas. Depuis l’élection de Trump, David Duke ne prend même plus la peine de prendre des gants et les manifestations racistes et nazies se sont multipliées. Le film finit sur des images abruptes de Charlottesville aux États-Unis, où un membre du Ku Klux Klan a foncé sur les manifestants en voiture, pour finir par écraser… une étudiante blanche, Heather Heyer, en août 2017. La dernière image de son portrait entouré de fleurs a jeté un tel froid dans la salle de cinéma, que tout le monde a gardé le silence. La lutte contre le racisme n’est pas terminée. « Si l’on n’en parle pas, les gens oublient » selon Ron Stallworth. En espérant que ce film soit diffusé dans toutes les écoles.
https://www.youtube.com/watch?v=IMsYunCW0i0